Droit des marques: comment ça marche? (Partie 1)

Introduction

Comme vous le savez, je suis avocat en propriété intellectuelle.

Or, les marques font partie de la propriété intellectuelle (tout comme, par exemple, les droits d’auteur, les brevets, les dessins et modèles).

Les questions relatives aux marques, les consultations et les litiges en la matière font donc partie de ma pratique quotidienne.

Ces derniers temps, j’ai constaté que la plus grande confusion régnait en la matière et il me semble donc aujourd’hui opportun de procéder à un récapitulatif à propos des marques, de leurs fonctions, de leur utilité…

Qu’est-ce qu’une marque?

1.    Une marque est un signe distinctif. Elle sert à distinguer les produits et les services d’une entreprise de ceux d’une autre entreprise.

Une marque ne protège donc pas nécessairement une création (contrairement au droit d’auteur, qui protège les oeuvres littéraires et artistiques ; et au droit des brevets, qui protège les inventions).

En effet, la marque peut très bien porter sur un terme existant, par ex. la marque  « Orange » pour des produits et services de télécommunication (anciennement Mobistar) ou par ex. la marque  « Mont Blanc » pour des produits de luxe (les fameux stylos Mont Blanc).

Le terme  « Orange » n’a pas été créé par la marque éponyme (c’est une couleur dans le dictionnaire ou le nom d’un fruit).

De même, le terme  « Mont Blanc » n’a pas été inventé par la marque éponyme (le point culminant de la chaîne des Alpes était déjà nommé ainsi avant la marque de luxe…).

Mais, à l’inverse, une marque peut très bien être le résultat d’une création ou liée à une création. Pensons aux diverses marques  « Tintin » déposées par la société Moulinsart. Le terme  « Tintin » est le résultat de la création d’Hergé. Ce n’est ainsi pas un terme (pré)existant (par ex. dans le dictionnaire) mais bien une création…

La marque protège donc des signes distinctifs, qui ne sont pas nécessairement le résultat d’une création mais qui peuvent l’être.

Les différents types de marques

2.    Une marque protège un signe distinctif qui peut revêtir l’une des formes suivantes:

a)  un mot ou une combinaison de mots (on parle alors de  marque verbale);

b)  une image, un dessin, un logo, … (on parle alors de marque figurative);

c)  un mélange de mot(s) et d’image(s), de dessin(s), de logo(s), de stylisation… (on parle alors de marque semi-figurative);

d)  une couleur, par ex. la couleur Pantone 137 C sur laquelle Veuve Clicquot dispose d’un droit de marque; cf. à ce sujet l’enregistrement Benelux n°0746608 et l’arrêt de la cour d’appel de Bruxelles du 24 juin 2004 (on parle alors de  marque de couleur);

les marques suivantes (qui sont des exemples donnés par l’EUIPO, l’Office européen des marques) montrent que des couleurs ou des combinaisons de couleurs peuvent être protégées par le droit des marques:

Source: EUIPO (https://euipo.europa.eu)

e)  une forme (on parle alors de marque de forme ou de marque tridimensionnelle), comme par exemple la marque suivante couvrant une forme de bouteille Coca Cola:

MUE 010532653 – Titulaire : The Coca-Cola Company

Le  « Rubik’s cube », discuté ici, était également enregistré comme marque de forme ou marque tridimensionnelle avant que la Cour de justice n’invalide finalement cette marque de forme dans un arrêt du 10 novembre 2016 :

Les marques de forme peuvent également contenir des éléments verbaux, comme la célèbre marque triangulaire « Toblerone » :

MUE 000031203 – Titulaire : Kraft Foods Schweiz Holding GmbH

3.    A côté de ces marques classiques ou traditionnelles, l’on assiste à de nombreux développements permettant de déposer des marques plus originales quant à leur objet, par ex. des marques sonores, des marques de position, des marques hologrammes, des marques multimédias, etc.

L’article 3 du règlement d’exécution (UE) 2018/626 sur la marque de l’Union européenne (REMUE) fait référence à ces marques un peu plus particulières.

4.    Par contre, les odeurs et les goûts ne peuvent, en l’état actuel du droit, pas être déposé(e)s comme marques – comme précédemment expliqué au point 5 de mon billet intitulé « Exclusion des goûts et des saveurs du droit d’auteur : mes premières réflexions ».

Il faut être prudent au moment de déposer de sa marque et être attentif à ce qu’on veut couvrir par sa marque (l’objet de la marque).

5. Je me souviens, par exemple, de ce client qui au moment de céder son entreprise me disait : « J’ai déposé le nom de mon activité comme marque et je souhaite donc valoriser cet aspect également ». Or, après avoir vérifié le registre, je me suis rendu compte qu’il avait déposé un signe uniquement figuratif (un logo pur) sans le nom !

Il ne disposait donc pas d’une marque verbale ou d’une marque semi-figurative couvrant le nom de son activité; mais simplement d’une marque exclusivement figurative couvrant un logo pur. Ce n’est évidemment pas la même chose surtout si l’on souhaite valoriser le nom…

Déposer (et donc protéger) un nom requiert le dépôt d’une marque verbale ou à tout le moins d’une marque semi-figurative (logo + nom), et pas le dépôt d’une marque figurative pure (sans que le nom ne soit inclus dans l’aspect figuratif).

Les erreurs sont très fréquentes et il faut donc être vigilant.

C’est un peu comme si vous déposez une marque de couleur (couvrant exclusivement la couleur), c’est alors la couleur et uniquement la couleur qui est protégée comme marque, et pas un nom.

A l’inverse, déposer un nom sur un fond coloré, ce n’est pas déposer une marque de couleur, c’est déposer une marque semi-figurative (un nom stylisé).

Attention donc à ce que vous voulez protéger (ce que vous souhaitez qui soit considéré comme marque):

  • nom pur;
  • nom avec stylisation/dessin/logo;
  • stylisation/dessin/logo pur(e);
  • couleur en tant que telle;
  • forme;
  • etc.

Une marque est « relative » : elle ne vaut que pour les produits et les services pour lesquels elle a été enregistrée (principe de spécialité)

6.    Contrairement à une idée reçue dans le grand public, une marque ne vaut que pour les produits et services pour lesquels elle a été enregistrée.

C’est la raison pour laquelle lorsque vous déposez une marque, vous devez choisir des classes de produits et de services.

En dehors de ces classes de produits et de services, vous n’aurez donc pas de monopole ni d’exclusivité, sous réserve d’une nuance (les produits et services similaires) et d’une exception (les marques renommées); nuance et exception discutées ci-après.

Ceci explique également que plusieurs marques identiques peuvent co-exister sur un même territoire pour des produits et services différents.

Exemple: une entreprise A dépose au Benelux la marque BOBOBO pour des biscuits; l’entreprise B dépose exactement la même marque au Benelux pour des services d’édition littéraire; il n’y a aucun problème à cette co-existence de la même marque (BOBOBO) pour le même territoire (Benelux) puisque les produits (biscuits) couverts par l’entreprise A ne sont pas identiques (ni similaires) aux services (édition littéraire) couverts par l’entreprise B.

Mais donc contrairement à l’idée reçue: ce n’est pas parce que vous avez déposé une marque que vous pourrez vous opposer à n’importe quelle utilisation de cette marque (ou d’une marque ressemblante) par un tiers ; vous ne pourrez vous y opposer que si cette utilisation porte sur des produits et services couverts par votre marque, ou à tout le moins sur des produits et services similaires (cf. point ci-dessous).

7.    Nuance: même si vous avez déposé une marque pour tels et tels produits et services, vous pourrez néanmoins (tenter de) vous opposer à l’utilisation de celle-ci (ou d’une marque ressemblante) pour des produits et services  qui ne sont pas strictement identiques, à condition que ces produits et services soient similaires et qu’il existe un risque de confusion dans l’esprit du public pertinent. Dans ces cas-là, le débat se cristallisera également sur la similarité (ou non) des produits et services et sur l’existence (ou non) d’un risque de confusion.

Exemple: une entreprise A dépose la marque européenne LALALA pour des compléments alimentaires; l’entreprise B dépose exactement la même marque européenne pour des services de conseils nutritionnels et de régime; les produits et services couverts par les deux marques ne sont pas strictement identiques mais ils sont similaires, les compléments alimentaires et les conseils en matière nutritionnelle et de régime pouvant émaner de la même entreprise et viser le même public-cible. Dans ce cas-là (produits et services similaires), un risque de confusion peut exister (le public risque de croire que les produits et services, bien que différents, émanent de la même entreprise – similarité + risque de confusion).

8.    Exception : si votre marque est « renommée », il est possible, à certaines conditions, de s’opposer à des marques identiques ou ressemblantes même si elles sont utilisées pour des produits et services qui ne sont ni identiques ni similaires aux produits et services pour lesquels vous avez déposé votre marque.

Les marques renommées permettent donc, à certaines conditions, de s’opposer à l’utilisation de celles-ci, même pour des produits et services différents. Mais la renommée de ces marques doit être prouvée !

Une marque est territoriale (principe de territorialité)

9.    Les marques sont des droits de propriété intellectuelle territoriaux.

C’est la raison pour laquelle une même marque désignant des services identiques peut appartenir à des opérateurs différents sur des territoires distincts; sans que cela ne pose de problème juridique (cela posera vraisemblablement un problème « commercial » ou « stratégique » à chacun de ces opérateurs, s’ils ne sont pas liés… car leur expansion territoriale risque d’être gênée, pour ne pas dire empêchée).

Exemple: une entreprise A dépose au Benelux la marque XOXOXO pour des produits de type software et logiciels; cinq ans plus tard, l’entreprise B (totalement indépendante de l’entreprise A) dépose en France exactement la même marque pour exactement les mêmes produits (software et logiciels). Ces deux marques peuvent, sur le principe, co-exister même si elles n’émanent pas de la même entreprise (ni d’entreprises liées) et même si elles sont en tous points identiques. Pourquoi? Car l’entreprise A n’a aucun droit de marque en France (elle n’a déposé aucune marque en France; ni aucune marque qui peut avoir effet en France, comme par ex. la marque européenne).

10.     La co-existence territoriale des marques pose de nombreux problèmes via Internet car sur Internet il est difficile de définir des « frontières ».

Si vous disposez d’une marque uniquement au Benelux, mais que votre site web est accessible dans toute l’Europe – et pire ! – que vous vendez dans toute l’Europe; alors qu’un autre opérateur a déposé la même marque dans un autre pays d’Europe (là où vous n’avez donc pas de marque)… un problème va vite se poser.

11.    Il faut donc bien réfléchir au moment de déposer sa marque aux questions suivantes: quelle est la nature des activités et quelle est la portée territoriale de celles-ci (va-t-on se limiter à un pays?; à une région?; à l’Europe?; etc.).

12.    A l’inverse, cela ne veut pas non plus dire qu’il faille automatiquement couvrir l’Europe entière voire le monde entier.

Cela peut être coûteux en termes de frais d’enregistrement.

De plus, après une certaine période de temps, il vous faudra être à même de prouver que vous utilisez effectivement – de manière sérieuse – votre marque partout où vous l’avez enregistrée. Autrement dit, si vous déposez pour le monde entier, mais que vous n’utilisez qu’en Belgique, cela risque après un certain temps de poser problème de toute façon.

Mais cela signifie que quand on dépose une marque, il est utile de réfléchir concrètement à la stratégie, à son marché, à son assise territoriale, etc. (tout comme il est nécessaire de réfléchir aux produits et aux services pour lesquels on souhaite déposer sa marque – cf. le point précédent à propos de la relativité et de la spécialité des marques).

13.    Pour montrer que cette question de territorialité n’est pas théorique du tout, je pense encore à cette affaire où l’un de mes adversaires opposait, en justice, à l’un de mes clients actifs en Belgique une marque française.

Une marque française n’ayant aucun effet en Belgique, sa demande a été rejetée par le juge…

Mais cet exemple a le mérite de montrer que les tentatives ou les confusions sont grandes en la matière ; et cela montre également que si cet adversaire avait disposé d’une marque valable en Belgique (marque Benelux ou marque européenne), la solution pour lui aurait peut-être pu être différente. Or, si cet adversaire voulait couvrir la Belgique et être actif en Belgique (en clair: s’opposer à l’utilisation d’une marque similaire en Belgique), il aurait dû déposer une marque valable en Belgique…

A suivre…

Dans la Partie 2, que je publierai sous peu, nous examinerons la question du caractère distinctif d’une marque (une marque pour être valable doit avoir un pouvoir distinctif et le public pertinent doit pouvoir percevoir le signe déposé comme étant une marque) et sur les problèmes qui attendent les marques descriptives ou génériques. Nous évoquerons également les avantages du droit d’auteur par rapport aux marques et vice-versa (notamment lorsqu’il est question d’expressions, de titres, de slogans, etc.). Et plein d’autres choses encore!

A suivre donc…

Pour aller plus loin…

Si, après avoir lu ce billet  contenant quelques clés et bases en matière de droits des marques, et en attendant la Partie 2, vous souhaitez approfondir certains sujets en la matière je vous renvoie entre autres aux articles suivants :

J’ai écrit d’autres billets en matière de droit des marques, pour une liste complète voyez : https://www.fredericlejeune.be/category/droits-intellectuels/droit-des-marques/ 

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Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles