Il ne faut pas confondre dessins et modèles (designs) et brevets (patents) !

1. Introduction.
Récemment, l’un de mes clients (s’il passe par ici, je le salue!) m’écrit pour me dire qu’il a déposé un brevet.
Il avait quelques questions. Nous nous voyons donc en rendez-vous.
Et là je comprends, en fait, qu’il n’a pas déposé un brevet ; mais qu’il a déposé un dessin et modèle.
D’où l’idée de ce petit billet pour expliquer les différences entre ces deux droits de propriété intellectuelle (et même: de propriété industrielle).
2. Les dessins et modèles ou « designs » protègent la forme ou l’apparence extérieure d’un produit.
- Article 3, a), du Règlement 6/2002 sur les dessins et modèles communautaires:
« «dessin ou modèle»: l’apparence d’un produit ou d’une partie de produit que lui confèrent, en particulier, les caractéristiques des lignes, des contours, des couleurs, de la forme, de la texture et/ou des matériaux du produit lui-même et/ou de son ornementation; » (je souligne);
- Article 3.1 (2) et (3) de la Convention Benelux en matière de propriété intellectuelle:
« 2. Est considéré comme dessin ou modèle l’aspect d’un produit ou d’une partie de produit.
3. L’aspect d’un produit lui est conféré, en particulier, par les caractéristiques des lignes, des contours, des couleurs, de la forme, de la texture ou des matériaux du produit lui-même ou de son ornementation ».
Comme l’écrit le SPF Economie :
« L’apparence d’un produit joue un rôle stratégique pour son créateur. Entre deux produits de même qualité, le consommateur est susceptible de choisir le plus esthétique.
C’est la raison pour laquelle nombre d’entreprises ou de créateurs choisissent de protéger l’aspect extérieur de leurs produits en les enregistrant en tant que dessins ou modèles ».
3. Tandis que les brevets ou « patents » protègent tout ce qui est invention technique, c’est-à-dire les solutions techniques à des problèmes techniques.
- Article 52 (1) de la Convention sur le brevet européen:
« Les brevets européens sont délivrés pour toute invention dans tous les domaines technologiques, à condition qu’elle soit nouvelle, qu’elle implique une activité inventive et qu’elle soit susceptible d’application industrielle » (je souligne);
- Article XI.3 du Code de droit économique:
« Sous les conditions et dans les limites fixées par le présent titre, il est accordé sous le nom de « brevet d’invention », appelé ci-après « brevet « , un droit exclusif et temporaire d’interdire aux tiers l’exploitation de toute invention, dans tous les domaines technologiques, qui est nouvelle, implique une activité inventive et est susceptible d’application industrielle » (je souligne);
- La Jurisprudence des Chambres de recours de l’Office européen des brevets, I.D., 9.1.1, « Caractère technique d’une invention » :
« Pour être brevetable, l’objet revendiqué doit par conséquent avoir un « caractère technique » ou – pour donner une définition plus précise – avoir pour objet un « enseignement pratique en matière technique », c’est-à-dire qu’il doit enseigner à l’homme du métier comment s’y prendre pour résoudre un problème technique donné en mettant en œuvre certains moyens techniques (T 154/04, JO 2008, 46). Une condition implicite d’une « invention » au sens de l’art. 52(1) CBE 1973 est qu’elle doit présenter un caractère technique (critère de « technicité ») » (je souligne).
4. Le droit des dessins et modèles protège donc l’apparence d’un produit, son aspect extérieur, sa forme perceptible, son esthétique. Par exemple: les contours d’un produit, ses couleurs, son ornementation, sa texture ou le matériau du produit.
Tandis que le droit des brevets protège non pas quelque chose d’esthétique, mais quelque chose de technique, et plus particulièrement une solution technique à un problème technique.
5. Attention et c’est là où cela peut se compliquer: dans certains cas, la forme d’un produit (qui est en principe protégeable par un dessin et modèle, et non par le brevet) peut revêtir un caractère technique et même être une solution technique à un problème technique (et donc être finalement protégeable par un brevet)!
Ainsi, par exemple, à propos d’un modèle de bande de roulement de pneu, l’Office européen des brevets indique que ce modèle peut être brevetable s’il n’est pas seulement esthétique mais que sa forme améliore, par exemple, l’écoulement de l’eau.
A contrario, nous explique l’Office européen des brevets, la couleur particulière d’un flanc de pneu qui n’a qu’un but purement esthétique n’est pas brevetable.
L’Office européen des brevets donne un autre exemple: celui de la reliure d’un livre. Si la reliure ou l’encollage du dos d’un livre n’est pas uniquement esthétique, mais a une particularité technique nouvelle et inventive, cette reliure ou cet encollage est potentiellement brevetable.
6. A l’inverse, il peut être (plus) difficile d’obtenir un dessin et modèle sur une forme qui apporte un avantage technique.
En effet, et précisément parce que c’est le droit des brevets (et non le droit des dessins et modèles) qui doit en principe protéger les créations techniques, les législations Benelux et européennes sur les dessins et modèles prévoient que:
- Article 8 (1), du Règlement 6/2002 sur les dessins et modèles communautaires:
« Un dessin ou modèle communautaire ne confère pas de droits sur les caractéristiques de l’apparence d’un produit qui sont exclusivement imposées par sa fonction technique »;
- Article 3.2 (1), a) de la Convention Benelux en matière de propriété intellectuelle:
« Sont exclues de la protection prévue par le présent titre (…) les caractéristiques de l’aspect d’un produit qui sont exclusivement imposées par sa fonction technique ».
7. Pour le reste, les dessins et modèles, d’une part, et les brevets, d’autre part, ne sont pas soumis aux mêmes conditions d’obtention et de validité.
Pour obtenir un dessin et modèle au Benelux et/ou en Europe, et pour que celui-ci soit valable, il faut essentiellement :
- qu’il soit nouveau (aucun dessin et modèle antérieur identique n’existe);
- qu’il présente un caractère individuel (il produit une impression globale différente de ce qui existe déjà / critère du ‘déjà-vu’).
Pour obtenir un brevet en Belgique (brevet belge) et/ou en Europe (brevet européen), il faut essentiellement que l’invention technique revendiquée:
- soit nouvelle (l’invention prise dans son entièreté – de façon compacte – n’existe pas encore);
- implique une activité inventive (elle ne doit pas découler d’une façon évidente de l’état de la technique antérieur, ou n’être qu’une variante évidente d’un objet ou d’un procédé déjà connu de l’état de la technique);
- soit susceptible d’application industrielle.
7. Bien d’autres différences existent entre le droit des designs et le droit des patents, mais les exposer et les développer ici irait bien au-delà de l’objectif du présent billet, à savoir bien distinguer dessins et modèles, d’une part, et brevets, d’autre part.
Si vous avez des questions sur ce sujet complexe, n’hésitez pas !
Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles