Il ne faut pas confondre les dessins et modèles (designs) et les brevets (patents)

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Introduction

Récemment, l’un de mes clients m’écrit pour me dire qu’il a déposé un brevet.

Il avait quelques questions.

Nous nous voyons donc en rendez-vous.

Et là je comprends, en fait, qu’il n’a pas déposé un brevet ; mais un dessin et modèle.

D’où l’idée de ce petit article afin de vous expliquer les différences entre ces deux droits de propriété intellectuelle.

Ce que protègent les dessins et modèles

Les dessins et modèles (en anglais, “designs”) protègent la forme ou l’apparence extérieure d’un produit.

Selon l’article 3, a), du Règlement 6/2002 sur les dessins et modèles communautaires :

dessin ou modèle : l’apparence d’un produit ou d’une partie de produit que lui confèrent, en particulier, les caractéristiques des lignes, des contours, des couleurs, de la forme, de la texture et/ou des matériaux du produit lui-même et/ou de son ornementation“.

Une définition identique existe au niveau Benelux, même si elle est formulée un peu différemment. Je vous renvoie à l’article 3.1 (2) et (3) de la Convention Benelux en matière de propriété intellectuelle

Cette protection est importante. En effet, comme l’écrit le SPF Economie :

“L’apparence d’un produit joue un rôle stratégique pour son créateur. Entre deux produits de même qualité, le consommateur est susceptible de choisir le plus esthétique. C’est la raison pour laquelle nombre d’entreprises ou de créateurs choisissent de protéger l’aspect extérieur de leurs produits en les enregistrant en tant que dessins ou modèles”.

Ce que protègent les brevets

Les brevets (en anglais, “patents”) protègent les inventions techniques, c’est-à-dire les solutions techniques à des problèmes techniques.

Selon l’article 52 (1) de la Convention sur le brevet européen :

“Les brevets européens sont délivrés pour toute invention dans tous les domaines technologiques, à condition qu’elle soit nouvelle, qu’elle implique une activité inventive et qu’elle soit susceptible d’application industrielle”.

Le caractère technique est une condition essentielle de la brevetabilité :

“Pour être brevetable, l’objet revendiqué doit par conséquent avoir un ‘caractère technique’ ou – pour donner une définition plus précise – avoir pour objet un ‘enseignement pratique en matière technique’, c’est-à-dire qu’il doit enseigner à l’homme du métier comment s’y prendre pour résoudre un problème technique donné en mettant en œuvre certains moyens techniques (T 154/04, JO 2008, 46). Une condition implicite d’une ‘invention’ au sens de l’art. 52 (1) CBE 1973 est qu’elle doit présenter un caractère technique (critère de ‘technicité’)”.

La Jurisprudence des Chambres de recours de l’Office européen des brevets, 8ème édition, 2016,  I.D., 9.1.1, “Caractère technique d’une invention”.

Ces principes applicables aux brevets européens valent de la même façon pour les brevets belges.

Parfois, la forme est technique

Résumons-nous :

  • Le droit des dessins et modèles protège l’apparence d’un produit, son aspect extérieur, sa forme perceptible, son esthétique.
  • Tandis que le droit des brevets protège non pas quelque chose d’esthétique, mais quelque chose de technique, et plus particulièrement une solution technique à un problème technique.

Mais, et c’est là où cela se complique, dans certains cas, la forme d’un produit (qui est, en principe, protégeable par un dessin et modèle, et non par un brevet) peut avoir un effet technique (et donc, finalement, être protégeable par un brevet).

Ainsi, par exemple, à propos d’un modèle de bande de roulement de pneu, l’Office européen des brevets indique que ce modèle peut être brevetable s’il n’est pas seulement esthétique mais que sa forme améliore l’écoulement de l’eau. Car, en effet, l’amélioration de l’écoulement de l’eau est un effet technique.

A contrario, nous explique l’Office européen des brevets, la couleur particulière d’un flanc de pneu qui a un but exclusivement esthétique n’est pas brevetable.

L’Office européen des brevets donne un autre exemple : celui de la reliure d’un livre. Si la reliure d’un livre n’est pas uniquement esthétique, mais qu’elle a aussi une particularité technique, cette reliure est potentiellement brevetable.

Le cumul des protections est possible – c’est-à-dire protéger l’aspect ornemental d’un produit par un dessin ou modèle ; et protéger l’aspect technique du même produit par un brevet.

Mais ce cumul peut être gêné par les dispositions suivantes qui existent en matière de dessins et modèles :

  • Article 8 (1), du Règlement 6/2002 sur les dessins et modèles communautaires :

“Un dessin ou modèle communautaire ne confère pas de droits sur les caractéristiques de l’apparence d’un produit qui sont exclusivement imposées par sa fonction technique” ;

  • Article 3.2 (1), a) de la Convention Benelux en matière de propriété intellectuelle :

“Sont exclues de la protection prévue par le présent titre (…) les caractéristiques de l’aspect d’un produit qui sont exclusivement imposées par sa fonction technique”.

Les conditions de protection ne sont pas les mêmes

Autre différence : les dessins et modèles, d’une part, et les brevets, d’autre part, ne sont pas soumis aux mêmes conditions de protection.

Pour obtenir un dessin et modèle au Benelux et/ou en Europe, et pour que celui-ci soit valable, il faut essentiellement :

  • qu’il soit nouveau (aucun dessin et modèle antérieur identique n’existe) ;
  • qu’il présente un caractère individuel (il produit une impression globale différente de ce qui existe déjà / critère du “déjà-vu”).

Pour obtenir un brevet en Belgique (brevet belge) et/ou en Europe (brevet européen), il faut essentiellement que l’invention technique revendiquée :

  • soit nouvelle (l’invention prise dans son entièreté – de façon compacte – n’existe pas encore) ;
  • implique une activité inventive (elle ne doit pas découler d’une façon évidente de l’état de la technique antérieur, ou n’être qu’une variante évidente d’un objet ou d’un procédé déjà connu de l’état de la technique) ;
  • soit susceptible d’application industrielle.

Par ailleurs, en droit des dessins et modèles, le caractère individuel s’apprécie du point de vue de “l’utilisateur averti” ; tandis qu’en droit des brevets, l’activité inventive s’apprécie du point de vue de “l’homme du métier”.

Or, ces notions d’utilisateur averti et d’homme du métier sont différentes (voyez, sur ce point, l’arrêt PepsiCo de la Cour de justice de l’Union européenne, C‑281/10 P, §53).

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Bien entendu, d’autres différences existent entre ces deux droits de propriété intellectuelle, mais les développer ici nous mènerait trop loin par rapport à l’objectif du présent article.

Si vous avez des questions sur ce sujet complexe, n’hésitez pas à me contacter !

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Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles