Protéger un smiley par un brevet ?

Photo de Vladislav Klapin sur Unsplash

1.  Je lisais récemment un article intitulé “Comment l’inventeur du smiley est passé à côté de la fortune”, publié sur le site de La Libre.be.

L’auteur de cet article nous y explique que :

“(…) Ce petit bonhomme jaune et joyeux qui ponctue régulièrement les messages que nous nous envoyons a été inventé par Harvey Ball en 1963. Malheureusement, ce graphiste et militaire ne s’est absolument pas enrichi grâce au succès de son oeuvre.

(…)

Pour ses bons et loyaux services, la firme a rétribué l’homme à hauteur de… 45 dollars. Ni elle ni le dessinateur n’ont pensé à breveter l’oeuvre. C’est la raison pour laquelle l’origine du bonhomme ultra connu est d’ailleurs contestée et revendiquée par plusieurs autres artistes.

(…)

Une invention qui aura marqué l’histoire :)”.

2.  Cet article, qui ne fait que quelques paragraphes, contient un certain nombres d’imprécisions sur le plan de la propriété intellectuelle.

3.   Il y a d’abord une confusion entre oeuvre et invention ; et entre oeuvre et brevet.

Or, une oeuvre n’est pas une invention ; et une oeuvre ne peut pas être brevetée.

Une oeuvre peut être protégée par le droit d’auteur, mais pas par un brevet.

Seule l’invention technique (c.à.d. une solution technique à un problème technique) peut être protégée par un brevet.

Sur les principes, il faut donc éviter de confondre la protection par le droit d’auteur et la protection par le brevet.

3.  Ensuite, il est assez clair qu’un smiley (c.à.d. une création graphique) ne peut pas constituer une invention technique.

En effet, en quoi cette création graphique serait-elle une solution technique à un problème technique ?

De plus, l’article 52 (2) (b) de la Convention sur le brevet européen exclut les “créations esthétiques” du champ de la protection du brevet.

Donc, même si le créateur du smiley avait pensé à déposer un brevet, les chances qu’il obtienne ce brevet auraient été nulles (ou quasiment nulles).

4.  En faisant quelques recherches sur Google, je suis tombé sur un autre article à propos de l’origine et de la création du smiley.

Cet autre article, intitulé “Un opérateur russe veut breveter les smileys, en vain”, disponible sur nextinpact.com opère, quant à lui, une autre confusion : celle entre les brevets et les marques.

Le premier paragraphe de cet article parle de la tentative d’un citoyen russe de breveter des smileys :

“Alors que depuis un long moment Microsoft a déposé un brevet sur les smileys que l’éditeur a créés, un citoyen russe du nom de Oleg Teterin, également créateur d’entreprise, estime qu’il est lui aussi en droit de faire pareil. Et comble du paradoxe, il veut certes déposer un brevet, mais également permettre aux usagers de s’en servir gratuitement”.

Le troisième paragraphe du même article explique que ce n’est pas possible car les smileys ne peuvent pas bénéficier de la protection offerte par les marques :

“Mais Rospatent, qui fait autorité en la matière en Russie a déclaré que l’idée d’Oleg était particulièrement saugrenue, voire même idiote et a déclaré que les smileys ne peuvent pas être enregistrés comme une marque de commerce. Donc personne ne peut revendiquer des droits exclusifs pour leur utilisation” (je souligne).

Il est étrange de justifier qu’un brevet ne peut pas être déposé pour des smileys au motif que ceux-ci ne sont pas protégeables par les marques ; alors même que le droit des brevets et le droit des marques sont deux droits de propriété intellectuelle distincts :

  • le premier protège les inventions techniques ; et
  • le second protège les signes distinctifs (dont la fonction est d’indiquer qu’un produit ou un service provient de telle ou telle entreprise).

5.  En conclusion : les confusions entre le droit des brevets, le droit d’auteur, le droit des dessins et modèles (designs) et le droit des marques ont malheureusement la vie dure.

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Si vous souhaitez aller plus loin à propos des différents droits de propriété intellectuelle, je vous recommande de consulter les articles suivants :

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Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles