Protéger un smiley par un brevet?
1. Dans un récent article publié sur LaLibre.be, j’ai encore découvert une perle (!) en matière de propriété intellectuelle.

Cet article est intitulé « Comment l’inventeur du smiley est passé à côté de la fortune ».
L’auteur de cet article nous explique notamment que:
« (…) Ce petit bonhomme jaune et joyeux qui ponctue régulièrement les messages que nous nous envoyons a été inventé par Harvey Ball en 1963. Malheureusement, ce graphiste et militaire ne s’est absolument pas enrichi grâce au succès de son oeuvre.
(…)
Pour ses bons et loyaux services, la firme a rétribué l’homme à hauteur de… 45 dollars. Ni elle ni le dessinateur n’ont pensé à breveter l’oeuvre. C’est la raison pour laquelle l’origine du bonhomme ultra connu est d’ailleurs contestée et revendiquée par plusieurs autres artistes.
(…)
Une invention qui aura marqué l’histoire 🙂 » (je souligne)
Cet article, qui ne fait que quelques paragraphes, est pétri d’erreurs et d’imprécisions sur le plan de la propriété intellectuelle.
2. On le voit dès l’abord, il y a manifestement confusion entre invention et oeuvre, oeuvre et création graphique, et brevet: « inventé par Harvey Ball »; « graphiste »; « son oeuvre », breveter l’oeuvre », « une invention qui aura marqué l’histoire ».
Or, je le répète : une oeuvre n’est pas brevetable, mais est seulement susceptible de protection par le droit d’auteur.
Et il ne faut pas confondre les brevets et le droit d’auteur ! (tout comme il ne faut pas confondre les brevets et les designs, comme je vous l’indiquais récemment ici)
Seule l’invention technique (comprise comme une solution technique à un problème technique) est protégeable par le brevet.
3. Aussi – et c’est un euphémisme – , il est douteux qu’un smiley (i.e. la représentation graphique d’un petit bonhomme qui sourit) constitue une invention technique… car en quoi cette représentation graphique serait-elle une solution technique à un problème technique?
Par conséquent, le smiley:
- n’est pas une invention (contrairement à ce que prétend l’article : « Une invention qui aura marqué l’histoire »);
- n’est pas brevetable (contrairement à ce que laisse entendre l’article : « Ni elle ni le dessinateur n’ont pensé à breveter l’oeuvre »).
Donc même si le créateur du smiley avait pensé à breveter le smiley, les chances qu’on lui délivre un brevet pour le smiley auraient été – à mon sens – nulles ou quasiment nulles (à défaut pour le smiley d’être une solution technique à un problème technique).
4. Faisant quelques recherches sur Google pour préparer ce petit billet, je suis tombé sur un autre article sur le smiley, son origine et sa création.
Cet autre article intitulé « Un opérateur russe veut breveter les smileys, en vain », disponible sur nextinpact.com opère, quant à lui, une autre confusion: celle entre les brevets et les marques.
Le premier paragraphe de cet article parle de la tentative d’un citoyen russe de breveter des smileys:
« Alors que depuis un long moment Microsoft a déposé un brevet sur les smileys que l’éditeur a créés, un citoyen russe du nom de Oleg Teterin, également créateur d’entreprise, estime qu’il est lui aussi en droit de faire pareil. Et comble du paradoxe, il veut certes déposer un brevet, mais également permettre aux usagers de s’en servir gratuitement » (je souligne).
Le troisième paragraphe du même article explique que ce n’est pas possible car les smileys ne peuvent pas bénéficier de la protection offerte par les marques:
« Mais Rospatent, qui fait autorité en la matière en Russie a déclaré que l’idée d’Oleg était particulièrement saugrenue, voire même idiote et a déclaré que les smileys ne peuvent pas être enregistré comme une marque de commerce. Donc personne ne peut revendiquer des droits exclusifs pour leur utilisation » (je souligne).
C’est, pour le moins, étrange de justifier qu’un brevet ne peut pas être déposé pour des smileys au motif que ceux-ci ne sont pas éligibles à la protection par les marques; alors même que le droit des brevets et le droit des marques sont deux droits de propriété intellectuelle distincts:
- le premier protégeant – comme nous l’avons vu ci-dessus – les inventions; et
- le second protégeant les signes distinctifs (dont la fonction est d’indiquer qu’un produit ou un service provient de telle ou telle entreprise).
5. En conclusion : les confusions entre droit des brevets, droit d’auteur, droit des dessins et modèles (designs) et droit des marques ont – malheureusement ! – la vie dure…
Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles