Au top de sa forme, le “Rubik’s cube” est protégeable comme marque 3D

Introduction

Hier, le Tribunal de l’Union européenne a rendu un arrêt intéressant dans l’affaire T-450/09 opposant la société allemande Simba Toys GmbH & Co à l’OHMI à propos du célèbre “Rubik’s cube”.

Les faits ayant mené au litige peuvent être résumés comme suit.

En 1999, la société qui gère les droits de propriété intellectuelle afférents au “Rubik’s cube” dépose la marque communautaire tridimensionnelle suivante pour des “puzzles en trois dimensions”:

Rubik s cube

En 2006, la société de droit allemand Simba Toys, demande l’annulation de cette marque tridimensionnelle au motif que cette marque couvre une forme qui comporte une solution technique (i.e. la capacité de rotation) qui ne peut être protégée que par un brevet, et non par une marque.

L’OHMI rejette cette demande dannulation et Simba Toys introduit un recours devant le Tribunal de l’Union européenne.

Raisonnement du Tribunal de l’Union européenne

Aux points 44 et 45 de son arrêt, le Tribunal examine d’abord les caractéristiques essentielles de la marque tridimensionnelle en cause:

“En l’espèce, ainsi qu’il est constaté au point 28 de la décision attaquée, la demande d’enregistrement de la marque contestée contient la représentation graphique, sous trois perspectives différentes, d’un cube dont chaque face présente une structure en grille formée par des bords de couleur noire divisant la face en neuf carrés de même dimension et disposés en tableau de trois sur trois. Quatre lignes noires épaisses, à savoir les lignes noires (voir point 21 ci-dessus), dont deux sont placées à l’horizontale et les deux autres à la verticale, quadrillent l’intérieur de chacune des faces dudit cube. Comme il est relevé à juste titre au point 21 de la décision attaquée, ces différents éléments donnent à la marque contestée l’apparence d’une « cage noire ».

Il ressort des points 16, 20, 28 et 30 de la décision attaquée que la chambre de recours identifie comme étant les caractéristiques essentielles de la marque contestée ce qu’elle qualifie de « structure cubique en grille », à savoir, d’une part, le cube en soi et, d’autre part, la structure en grille qui figure sur chacune des faces de ce cube”.

Pour le Tribunal, la marque tridimensionnelle en cause est caractérisée par une structure cubique en grille, c’est-à-dire le cube en soi et la structure en grille qui figure sur chacune des faces de ce cube (point 47).

Les caractéristiques essentielles de la marque tridimensionnelle en cause ayant été identifiées, il convient ensuite selon le Tribunal d’examiner si ces caractéristiques essentielles répondent à une fonction technique.

Selon la société Simba Toys, les lignes noires présentes sur les faces du cube remplissent une fonction de “séparabilité” sans laquelle les éléments individuels du cube ne seraient pas mobiles (point 51).

Le Tribunal ne souscrit pas à cette allégation de Simba Toys.

Selon lui, les lignes noires ne sont nullement la conséquence d’une prétendue capacité de rotation d’éléments individuels du cube en cause (points 52-55):

  • d’une part, parce qu’il est tout à fait possible qu’un cube sans lignes de séparation visibles puisse faire l’objet de mouvements de rotation (absence de lien nécessaire entre, d’une part, la capacité de rotation  et la présence, sur les faces dudit cube, de lignes noires épaisses ou d’une autre structure en grille);
  • d’autre part, parce que la marque tridimensionnelle en cause a été enregistrée pour les « puzzles en trois dimensions » en général, sans aucune limintation à ceux qui auraient une capacité de rotation, lesquels n’en constituent qu’un type particulier parmi nombre d’autres.

Le Tribunal poursuit en relevant que les lignes noires ne remplissent aucune fonction technique (en particulier: elles ne séparent pas les éléments individuels du cube en cause afin que ceux-ci puissent être bougés). Au point 58 de son arrêt, le Tribunal indique que:

“En réalité, l’argumentation de la requérante, ainsi qu’il ressort des écritures de cette dernière, repose essentiellement sur la connaissance de la capacité de rotation des bandes verticales et horizontales du Rubik’s cube. Or, il est clair que cette capacité ne saurait résulter des lignes noires en tant que telles ni, plus globalement, de la structure en grille qui figure sur chacune des faces du cube en cause, mais tout au plus d’un mécanisme interne à celui-ci, invisible sur les représentations graphiques de la marque contestée, et qui, comme il est d’ailleurs constant entre les parties, ne saurait constituer une caractéristique essentielle de cette marque”.

C’est donc un élément interne au Rubik’s cube qui confère au Rubik’s cube sa capacité de rotation.

Dès lors que ce mécanisme interne est invisible sur les représentations graphiques de la marque tridimensionnelle en cause, il ne saurait être pris en compte dans l’évaluation de la fonction technique (ou de l’absence de fonction technique) remplie par cette marque (point 59):

“Dans ce contexte, il ne saurait être reproché à la chambre de recours de ne pas avoir inclus cet élément invisible dans son analyse de la fonctionnalité des caractéristiques essentielles de la marque contestée. En effet, s’il ne saurait être interdit à la chambre de recours de procéder par déduction aux fins de cette analyse, encore faut-il que cette déduction se fasse le plus objectivement possible à partir de la forme en cause, telle que représentée graphiquement, et qu’elle ne soit pas purement spéculative, mais suffisamment certaine. Or, en l’espèce, déduire l’existence d’un mécanisme interne de rotation des représentations graphiques de la marque contestée n’aurait pas été conforme à ces exigences”. 

Et le Tribunal de conclure que (point 60):

“En fait, comme la chambre de recours l’a indiqué à juste titre au point 28 de la décision attaquée, les lignes noires et, plus globalement, la structure en grille figurant sur chacune des faces du cube en cause ne remplissent, ni même ne suggèrent, aucune fonction technique. Certes, la structure en grille, si elle constitue avant tout un élément ornemental et fantaisiste qui joue un rôle important dans la forme en cause en tant qu’indicateur d’origine (voir point 110 ci-après), a également pour effet de diviser visuellement chaque face dudit cube en neuf éléments carrés de même dimension. Toutefois, cela ne saurait constituer une fonction technique à proprement parler au sens de la jurisprudence pertinente. À cet égard, il y a lieu de rappeler qu’il n’était pas dans l’intention du législateur que fût refusée à l’enregistrement en tant que marque une forme de produit au simple motif qu’elle présentait des caractéristiques utilitaires, toute forme de produit étant, dans une certaine mesure, fonctionnelle”.

Pour rejeter le recours de Simba Toys, le Tribunal relève également que la marque tridimensionnelle en cause ne pourrait de toute façon pas être invoquée par son titulaire pour interdire à des tiers de commercialiser des puzzles en trois dimensions ayant une capacité de rotation (point 64).

La protection attachée à une marque ne s’étend, en effet, pas à la fonction technique (en l’espèce, la capacité de rotation), mais seulement à une forme (en l’espèce, un cube dont les faces sont munies de grilles ce qui lui confère une apparence de cage noire).

Les tiers pourraient donc, sans être inquiétés, commercialiser des puzzles en trois dimensions ayant une forme différente de celle d’un cube dont les faces sont grillagées, et ce que ces cubes aient une capacité de rotation ou non.

Le Tribunal ajoute d’ailleurs qu’au jour de la date de dépôt de la marque tridimensionnelle en cause, il existait déjà sur le marché nombre de puzzles en trois dimensions ayant une capacité de rotation et qui avaient des formes différentes de celle d’un cube et/ou présentaient des motifs différents de ceux d’une structure en grille.

Enfin, le Tribunal souligne le caractère distinctif de la forme de la marque tridimensionnelle en cause qui permet aux consommateurs d’immédiatement identifier le produit pour lequel cette marque est enregistrée, à savoir le Rubik’s cube (points 104-113):

  • il n’est pas établi que la forme protégée par la marque tridimensionnelle en cause (i.e. forme de cube aux faces grillagées) constituerait la norme dans le secteurs des puzzles en trois dimensions;
  • l’existence d’autres cubes, comme le cube Soma, qui est un puzzle de dissection, ressemblant à la forme couverte par la marque tridimensionnelle en cause ne suffit pas à démontrer que la forme en cause serait la norme dans le secteurs;
  • la forme en cause n’est pas descriptive (aucune indication n’indique que le cube peut être tourné);
  • la forme d’un cube n’est pas courante pour des puzzles en trois dimensions (a fortiori: la forme d’un cube avec des faces grillagées est encore moins courante);
  • même si la forme en cause était perçue comme représentant un puzzle en trois dimensions par les consommateurs, elle serait toujours uniquement associée au produit spécifique commercialisé par l’intervenante, à savoir le Rubik’s cube, et non à une sous-catégorie générique de puzzles en trois dimensions.

Au point 110 de son arrêt, le Tribunal conclut donc que “la marque contestée présente des caractéristiques suffisantes pour considérer qu’elle est dotée d’un caractère distinctif intrinsèque. En effet, outre le fait que l’apparence extérieure de la forme en cause ne peut être considérée comme une simple variante d’un puzzle en trois dimensions ordinaire qui vient naturellement à l’esprit, il doit être rappelé que la présence, sur chacune des faces du cube en cause, d’une structure en grille donne à la marque contestée, prise dans son ensemble, l’apparence d’une « cage noire » (voir point 44 ci-dessus). Ces caractéristiques sont suffisamment spécifiques et arbitraires pour conférer à cette marque un aspect original, susceptible de se graver facilement dans la mémoire du consommateur moyen et de lui permettre de distinguer les produits couverts par ladite marque de ceux ayant une autre origine commerciale”.

Conclusion

Le Tribunal rejette le recours de Simba Toys et confirme donc la validité de la marque tridimensionnelle en cause.

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Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles