Logiciels: la protection des fonctionnalités et le droit d’auteur

Les programmes d’ordinateur ou les logiciels sont protégés par le droit d’auteur, conformément:

Ceci dit, il faut encore s’entendre sur ce que  signifie protection des programmes d’ordinateur ou des logiciels par le droit d’auteur. Car il est, en cette matière, de nombreux malentendus.

Selon l’article 1er, al. 1, de la Directive 2009/24, « les États membres protègent les programmes d’ordinateur par le droit d’auteur en tant qu’œuvres littéraires au sens de la convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques. Les termes «programme d’ordinateur», aux fins de la présente directive, comprennent le matériel de conception préparatoire ».

L’article XI.294 du Code de droit économique, qui constitue la transposition de la Directive 2009/24, en droit belge confirme ce principe de protection: « les programmes d’ordinateur, en ce compris le matériel de conception préparatoire, sont protégés par le droit d’auteur et assimilés aux œuvres littéraires au sens de la Convention de Berne ».

Il découle de l’article 1 de la Directive 2009/24 et l’article XI.294 du Code de droit économique que:

  • les programmes d’ordinateur et les logiciels sont assimilés à des œuvres littéraires et sont, à ce titre, protégés par le droit d’auteur;
  • par conséquent, seul « le texte » (correspondant à l’œuvre littéraire) du programme d’ordinateur ou du logiciel est protégeable par le droit d’auteur;
  • « le texte » protégeable du programme d’ordinateur ou du logiciel est constitué de son code source ou de son code objet:

– Cf. l’article 10 (1) des Accords ADPIC, aux termes duquel « Les programmes d’ordinateur, qu’ils soient exprimés en code source ou en code objet, seront protégés en tant qu’oeuvres littéraires en vertu de la Convention de Berne »;

– Cf. également l’arrêt de la CJUE, Bezpečnostní softwarová asociace – Svaz softwarové ochrany, C-393/09, points 34-35: « Il en découle que le code source et le code objet d’un programme d’ordinateur sont des formes d’expression de celui-ci, qui méritent, par conséquent, la protection par le droit d’auteur sur les programmes d’ordinateur (…) Dès lors, l’objet de la protection conférée par cette directive vise le programme d’ordinateur dans toutes les formes d’expression de celui-ci, qui permettent de le reproduire dans différents langages informatiques, tels le code source et le code objet ».

C’est donc l’expression du programme d’ordinateur ou du logiciel qui est protégeable par le droit d’auteur; la façon dont ce programme d’ordinateur ou logiciel est rédigé.

Pour le dire encore autrement: ce à quoi il faut avoir égard pour déterminer le champ de protection d’un programme d’ordinateur ou d’un logiciel, ce sont les lignes de code qui constituent ce programme ou ce logiciel.

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A contrario, les « fonctionnalités » ou les « fonctions » réalisées par le programme d’ordinateur ou le logiciel, ne sont pas protégeables par le droit d’auteur.

La Cour de justice de l’Union européenne l’a confirmé dans son arrêt SAS Institute (C-406/10) (point 39):

« Sur le fondement de ces considérations, il y a lieu de constater que, pour ce qui est des éléments d’un programme d’ordinateur faisant l’objet des première à cinquième questions, ni la fonctionnalité d’un programme d’ordinateur ni le langage de programmation et le format de fichiers de données utilisés dans le cadre d’un programme d’ordinateur pour exploiter certaines de ses fonctions ne constituent une forme d’expression de ce programme au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 91/250. ».

Encore faut-il comprendre pourquoi de telles fonctionnalités ne sont pas éligibles à la protection. En réalité, l’exclusion des fonctionnalités du champ de protection du droit d’auteur se comprend aisément: les fonctionnalités ne sont que des idées. Or, la philosophie du droit d’auteur ne consiste pas à conférer à qui que ce soit un monopole sur les simples idées. La Cour de justice rappelle ce principe au point 40 de son arrêt SAS Insistute susmentionné:

«  (…) admettre que la fonctionnalité d’un programme d’ordinateur puisse être protégée par le droit d’auteur reviendrait à offrir la possibilité de monopoliser les idées, au détriment du progrès technique et du développement industriel ».

Dans ses conclusions prises à l’occasion de cette affaire SAS Institue (point 54), l’avocat général Bot donne un exemple très éclairant quant aux raisons pour lesquelles protéger les fonctionnalités n’est pas admissible:

« Prenons un exemple concret. Lorsqu’un programmeur décide de développer un programme d’ordinateur de réservation de billets d’avion, il y aura, dans ce logiciel, une multitude de fonctionnalités nécessaires à cette réservation. En effet, le programme d’ordinateur devra, successivement, être capable de trouver le vol recherché par l’utilisateur, vérifier les places disponibles, réserver le siège, enregistrer les coordonnées de l’utilisateur, prendre en compte les données de paiement en ligne et, enfin, éditer le billet électronique de cet utilisateur. Toutes ces fonctionnalités, ces actions, sont dictées par un objet bien précis et limité. En cela, elles s’apparentent donc à une idée. Dès lors, il peut exister des programmes d’ordinateur offrant les mêmes fonctionnalités ».

C’est donc précisément pour éviter que quelqu’un puisse monopoliser les concepts de « réservation de billets en ligne », « vérification des places disponibles », « réservation d’un siège », « enregistrement des coordonnées du client », etc. que les fonctionnalités, prises seules ou combinées, ne peuvent pas être protégées par le droit d’auteur.

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Pour faire la synthèse de ce qui précède, si un client me consulte avec un projet révolutionnaire de plateforme musicale impliquant des fonctionnalités vues nulle part ailleurs, je ne pourrai que lui répondre ceci:

  • Même si vous êtes le premier à avoir imaginé ces fonctionnalités, il n’est pas possible de les protéger, telles quelles, par le droit d’auteur;
  • S’agissant de ces fonctionnalités, la seule chose que l’on peut protéger au niveau du droit d’auteur, c’est la façon dont celles-ci sont « rédigées », et donc codées;
  • Et donc, en clair, si vos concurrents reprennent « vos » fonctionnalités, mais qu’ils les codent d’une autre façon, l’on ne pourra rien leur reprocher.

Bien évidemment, d’autres solutions existent pour « protéger » ou « optimiser » un tel projet révolutionnaire (accords contractuels avec les partenaires potentiels; privilège du pionnier associé à un marketing fort; etc.), mais c’est un tout autre débat!

Sans parler des autres aspects que ceux liés aux fonctionnalités et aux logiciels (marque, nom de domaine, layout, logos…), mais c’est là encore un autre débat que celui de la protection des fonctionnalités.

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Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles