Lewis Hamilton et le droit des marques

Photo de Felix Berger sur Unsplash

Introduction

Je vous parle régulièrement de droit des marques et de sportifs.

Ainsi, par exemple, et pour ne citer qu’eux, nous avons déjà évoqué les expériences de Roger Federer, Lionel Messi et Neymar en lien avec le droit des marques :

Aujourd’hui, c’est sur le cas de Lewis Hamilton, septuple champion du monde de Formule 1, que je vous propose de nous pencher.

Les faits

La société 44IP Limited est une société qui gère la propriété intellectuelle de Lewis Hamilton (44 faisant référence au numéro permanent utilisé par Lewis Hamilton dans le cadre du championnat du monde de Formule 1 ; et IP faisant référence à la propriété intellectuelle).

En juillet 2015, cette société dépose la marque “LEWIS HAMILTON” auprès de l’EUIPO (l’office européen de la propriété intellectuelle).

En décembre 2015, un fabricant de montres (la société suisse Hamilton International AG) s’oppose à l’enregistrement de cette marque, en invoquant une marque UE antérieure “HAMILTON”.

Le litige (qui se matérialise procéduralement par une opposition devant l’EUIPO) voit donc s’affronter la marque “LEWIS HAMILTON” et la marque antérieure “HAMILTON”.

L’opposition concerne des produits et services, en classes 14 et 35, liés aux métaux précieux, aux bijoux, à l’horlogerie, aux montres, etc.

La décision de la division d’opposition

En première instance, la division d’opposition de l’EUIPO va juger que l’opposition est fondée.

La marque “LEWIS HAMILTON” du champion de Formule 1 ne peut donc pas être enregistrée, car elle crée un risque de confusion avec la marque antérieure “HAMILTON” appartenant au fabricant de montres.

En substance, la division d’opposition considère (i) que les produits et services couverts par les marques en litige sont tantôt identiques, tantôt similaires et (ii) que les signes sont similaires vu la présence, dans chacune des marques en cause, du terme “HAMILTON” ; (iii) ce qui est susceptible de créer un risque de confusion dans l’esprit du public pertinent.

Le point intéressant dans cette est affaire est la notoriété de Lewis Hamilton (7 fois champion du monde de Formule 1) et l’impact de cette notoriété dans le cadre de l’examen du risque de confusion.

Et précisément, la société 44IP contestait l’existence d’un risque de confusion en raison de la grande notoriété de Lewis Hamilton.

Pour le dire de façon claire : les gens savent qui est Lewis Hamilton et ne le confondront jamais avec une entreprise suisse qui fabrique des montres.

La division d’opposition écarte cet argument au motif que, dans l’Union européenne, une partie non négligeable du public pertinent ne connait pas Lewis Hamilton.

A cet égard, la division d’opposition estime que la Formule 1, contrairement au football, n’est pas un sport extrêmement populaire et connu.

La prétendue notoriété de Lewis Hamilton ne permet donc pas, selon la division d’opposition, d’écarter tout risque de confusion entre la marque “LEWIS HAMILTON” du pilote de Formule 1 et la marque antérieure “HAMILTON” du fabricant de montres.

La décision de la chambre de recours (17 octobre 2023, R 336/2022-1)

Lewis Hamilton ne pouvait pas en rester là. Il a donc décidé donc d’interjeter appel devant la chambre de recours de l’EUIPO (via sa société 44IP).

A l’appui de son appel, Lewis Hamilton apporte de nouvelles preuves pour tenter d’établir sa grande notoriété dans toute l’Union européenne.

Car tel est véritablement l’argument principal de Lewis Hamilton :

“Due to the fame of Lewis Hamilton, no likelihood of confusion might arise” (§24).

En réalité, Lewis Hamilton n’avait pas vraiment d’autre choix en termes argumentatifs, vu l’antériorité de la marque du fabricant de montres, et vu la très grande proximité tant des signes que des produits et services.

La chambre de recours ne va pas suivre Lewis Hamilton. Selon elle, la société 44IP n’établit pas qu’en juillet 2015 (c.à.d. au moment du dépôt de la marque contestée), Lewis Hamilton était connu dans toute l’Union européenne.

La chambre de recours reconnait que, dans le milieu du sport automobile, Lewis Hamilton jouit d’une notoriété importante ; et qu’il y est connu tant sous le nom “Lewis Hamilton” que “Hamilton” tout court (son nom complet étant “Sir Lewis Carl Davidson Hamilton MBE”).

Mais, constate la chambre de recours, les produits en cause (bijoux, pierres précieuses, montres, etc.) s’adressent à tout le monde, et pas seulement aux fans de course automobile.

La notoriété de Lewis Hamilton doit, par conséquent, être établie au regard du public en général, et non du public (plus limité) qui s’intéresse au sport automobile. Et ce sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne.

La chambre de recours observe que la façon la plus pertinente de prouver la notoriété de Lewis Hamilton, en 2015, sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne, est de procéder par sondages. Or, de tels sondages n’ont pas été soumis à la chambre de recours.

Au lieu de cela, la société 44IP a déposé près de 6.000 pages de preuves.

Le problème de ces preuves est double. Territorialement, celles-ci prouvent une notoriété au Royaume-Uni (alors que la notoriété doit être établie pour l’ensemble de l’Union européenne). Chronologiquement, ces preuves sont, pour une partie, postérieures à 2015 (elles sont donc non pertinentes).

A côté de cela, la chambre de recours va relever que certaines pièces tendent à montrer que la Formule 1 est très peu connue dans plusieurs pays de l’Union européenne. Ainsi, par exemple, l’annexe 8 déposée par la société 44IP reprend des données statistiques sur les personnes qui regardent la Formule 1. Or, cette annexe ne fait aucune mention de la Bulgarie, de l’Estonie, de la Croatie, de la Lettonie et de la Lituanie. De plus, dans certains pays, la Formule 1 est uniquement diffusée sur des chaînes payantes – ce qui réduit le nombre de personnes qui ont accès à ce sport.

La chambre de recours rappelle qu’en tout état de cause, ce n’est pas la notoriété de la Formule 1 qu’il faut établir, mais bien celle de Lewis Hamilton. Or, ce n’est pas la même chose :

“However, Formula 1 is not at stake. Consequently, the reputation of Formula 1 has no direct impact on the perception of Lewis Hamilton by the public in the European Union. While it might be true that the average European public has heard about Formula 1 or watched a Grand Prix, this does not allow the conclusion that all drivers or a specific driver participating in Formula 1 are also well-known personalities to the public” (§81). 

La chambre de recours relève ensuite que, même si les données produites par la société 44IP en lien avec les réseaux sociaux sont non pertinentes (car elles sont postérieures à 2015), on peut quand même retenir de celles-ci que Lewis Hamilton a peu de followers sur les réseaux sociaux, en comparaison avec des sportifs célèbres comme Messi. Ainsi, par exemple, en 2022, Lewis Hamilton comptait 6 millions de followers sur Facebook ; là où Messi en comptait 106 millions.

La chambre de recours en tire la conclusion suivante :

“Despite his fame as a Formula 1 driver, the fame of Lewis Hamilton is not such as that of extremely famous sportsman gained in more popular sports, as Leo Messi (…)” (§88).

La chambre de recours relève également, chiffres à l’appui, que la (très grande) majorité des followers de Lewis Hamilton (quel que soit le réseau social concerné) est située au Royaume-Uni.

De façon plus générale, la chambre de recours relève que les preuves soumises par la société 44IP ne permettent pas de savoir quelle est la perception de Lewis Hamilton par le public en Bulgarie, en Estonie, en Croatie, en Lettonie et en Lituanie.

La chambre de recours évoque de nombreux autres éléments (des livres écrits sur Lewis Hamilton, des articles de presse, des publicités et contrats, etc.) ; mais ces éléments ne changent rien à son raisonnement.

En conclusion, la chambre de recours n’est pas convaincue qu’à la date du dépôt (à savoir en juillet 2015), Lewis Hamilton était connu dans toute l’Union européenne. Ces doutes sont d’autant plus importants pour la Bulgarie, l’Estonie, la Croatie, la Lettonie et la Lituanie.

Pour le reste, la chambre de recours confirme, en substance, l’existence d’un risque de confusion entre la marque “LEWIS HAMILTON” et la marque antérieure “HAMILTON”.

Par conséquent, la marque du septuple champion du monde de Formule 1 est refusée à l’enregistrement.

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Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles