La marque “Put Putin In” est illicite
Dans un article récent, nous avons passé en revue, de façon assez détaillée, quelques principes essentiels qui régissent la validité d’une marque : le caractère distinctif, l’absence de caractère descriptif et la disponibilité.
Je vous propose aujourd’hui de nous intéresser à une autre condition de validité d’une marque, à savoir le caractère licite.
Selon le considérant 9 du règlement 2017/1001 sur la marque de l’Union européenne :
“Le droit sur une marque de l’Union européenne ne peut s’acquérir que par l’enregistrement, et celui-ci est refusé notamment si la marque est dépourvue de caractère distinctif, si elle est illicite ou si des droits antérieurs s’y opposent” (je souligne).
Le caractère licite renvoie, entre autres, à la conformité à l’ordre public et aux bonnes moeurs.
La règle est exprimée à l’article 7.1, f) du règlement 2017/1001 sur la marque de l’Union européenne :
“Sont refusés à l’enregistrement : les marques qui sont contraires à l’ordre public ou aux bonnes mœurs”.
La même règle est prévue à l’article 4.1, f) de la directive 2015/2436 rapprochant les législations des États membres sur les marques.
Et c’est précisément sur ce fondement que la marque UE “Put Putin In” a été refusée à l’enregistrement (EUIPO, refus d’enregistrement, 23 août 2023).
Cette marque a été déposée en classe 25 pour des vêtements et de la chapellerie.
Dans sa décision de refus, l’examinateur de l’EUIPO estime que, pour le public pertinent, le signe “Put Putin In” signifie “Enfermez Poutine”, “Emprisonnez Poutine”. Poutine étant, bien entendu, le président de la Russie.
L’examinateur considère ensuite qu’en voulant faire enregistrer ce signe comme marque, le déposant tente de tirer profit, à des fins commerciales, d’un évènement tragique, à savoir l’invasion de l’Ukraine par la Russie, qui a entraîné la mort de milliers de victimes civiles et de soldats (sans oublier les nombreuses autres conséquences de cette invasion, comme les flux de réfugiés, la crise de l’énergie, les pénuries de matières premières, l’inflation, l’impact négatif sur les pays émergents, etc.).
Ce faisant, l’examinateur arrive à la conclusion que la marque “Put Putin In” est contraire à la moralité publique et qu’elle doit être refusée sur la base de l’article 7.1, f) du règlement 2017/1001 sur la marque de l’Union européenne.
Il est intéressant de relever que l’examinateur n’exclut pas que le message véhiculé par cette marque (c’est-à-dire l’appel à l’emprisonnement de Poutine) soit perçu positivement par le public pertinent. Mais cette circonstance n’enlève rien au fait que la marque en cause poursuit un objectif contraire à la moralité publique.
En d’autres termes, tout aussi positif que pourrait être, dans l’esprit du public pertinent, le message véhiculé par cette marque, celle-ci n’en reste pas moins illicite, dans la mesure où son titulaire tente de générer des profits financiers à partir d’une tragédie aux nombreuses conséquences dramatiques.
La décision de refus est entièrement basée sur le caractère illicite de la marque “Put Putin In” en raison de sa contrariété à l’ordre public ou aux bonnes mœurs. A mon avis, cette marque aurait aussi pu être refusée sur la base d’un défaut de caractère distinctif.
En effet, on peut se demander dans quelle mesure le public pertinent percevrait l’expression “Put Putin In” comme une marque, c’est-à-dire comme une indication de l’origine commerciale des produits couverts par cette marque.
Imaginons que les mots “Put Putin In” soient imprimés sur un t-shirt ou cousus sur une casquette, je ne suis pas convaincu que le public pertinent y reconnaîtrait une marque. Je crois plutôt que le public pertinent y verrait un message politique. Ni plus, ni moins. Or, dans une telle hypothèse, le caractère distinctif ferait défaut.
Je pense donc que la décision de refus aurait également pu être basée sur l’article 7.1, b) du règlement 2017/1001 sur la marque de l’Union européenne, aux termes duquel :
“Sont refusées à l’enregistrement : les marques qui sont dépourvues de caractère distinctif”.
Si vous souhaitez en savoir plus sur le caractère distinctif, je vous renvoie ici.
Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles