L’affaire “Tipik”, ou la nécessité de déposer sa marque

Photo by Tim Mossholder on Unsplash

L’actualité récente nous donne, à nouveau, l’occasion de parler de droit des marques.

La RTBF vient, en effet, de lancer un nouveau média appelé “Tipik” (voyez ici).

Or, il se fait qu’une agence de communication belge s’appelle déjà “Tipik” (voyez ) et utilise ce nom depuis 20 ans.

Les noms sont identiques ; et les produits et services sont, à tout le moins, (très) similaires :

  • médias, d’un côté (pour la RTBF) ;
  • communication de l’autre (pour l’agence Tipik).

Si l’on s’arrêtait à cet axiome, tout indiquerait que la RTBF est en infraction avec la législation sur le droit des marques, puisqu’elle utilise (i) un nom identique à celui utilisé antérieurement par un autre opérateur et ce (ii) pour des produits et services similaires.

Il y aurait sans doute un débat sur le risque confusion in concreto ; mais vu (i) l’identité des noms, d’une part, et (ii) la (haute) similarité entre les produits et services, d’autre part, il est loin d’être acquis que la RTBF sortirait victorieuse de ce débat sur le risque de confusion.

Sauf que… l’agence de communication, qui reproche à la RTBF d’avoir choisi un nom identique au sien, n’a pas déposé de marque pour “Tipik” ; et ne dispose donc d’aucune protection sur ce nom au titre de marque.

Quel dommage ! Sans marque, l’agence de communication, qui utilise pourtant “Tipik” depuis des années et ce bien avant la RTBF, se voit de facto privée de recours (vraiment efficace) contre la RTBF.

La RTBF, quant à elle, n’a d’ailleurs pas manqué de déposer deux marques “Tipik” au registre Benelux (en décembre 2019 et en juin 2020) :

Extrait du registre Benelux (OBPI)

Paradoxalement, donc, la RTBF est désormais en meilleure position, du point de vue de la protection du nom “Tipik”, que l’agence qui utilise ce nom depuis des années (mais qui n’a jamais déposé de marque).

En droit des marques, ce qui compte, c’est le dépôt (et l’enregistrement) ; et non le simple usage. Et le principe est : le premier qui dépose est protégé ; même s’il n’est pas le premier à utiliser (sous réserve d’une exception : le dépôt de mauvaise foi).

Moralité : le droit des marques s’acquiert par le dépôt (et l’enregistrement) et non par l’usage (même si cet usage est ancien) !

Il faut donc penser à déposer sa marque.

Certes, tous les recours ne sont pas exclus. On peut, par exemple, penser à la concurrence déloyale ; au nom commercial ; aux législations en matière de noms de domaine

Mais ces recours (i) sont soumis à des conditions particulières (à vérifier in concreto), (ii) sont plus délicats à manier et (iii) ne permettent pas toujours d’obtenir des injonctions aussi efficaces que le droit des marques.

Une autre voie à explorer pourrait, le cas échéant, être celle du droit d’auteur. En effet, celui-ci permet également de protéger les noms (par ex. le titre d’un journal ou le nom d’un personnage) et les logos (en ce compris les noms “logotypés”).

Mais, dans une stratégie efficace de protection de la propriété intellectuelle, on ne saurait conseiller de se passer d’un dépôt de marque, en espérant se rabattre en cas de besoin sur le droit d’auteur, car la protection par le droit d’auteur implique que la condition d’originalité soit satisfaite. Or, il peut être difficile de prouver l’originalité d’un nom comme “Tipik” (qui est très court et qui est une variante d’un mot existant dans le dictionnaire).

Le droit d’auteur pourrait donc être une voie de secours, dans le scénario du pire (aux côtés de la concurrence déloyale, de la protection tirée d’un nom commercial, de la protection tirée d’un nom de domaine, etc.). Mais cela ne saurait, en aucun cas, remplacer la bonne pratique consistant à déposer une marque, quand on veut protéger – le plus efficacement possible – son nom et/ou son nom logotypé (ce qu’en droit des marques on appellera une marque semi-figurative).

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Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles