La Tour Eiffel, entre droit des brevets et droit d’auteur

Introduction

J’ai récemment eu l’occasion d’écouter l’épisode de l’émission “Hondelatte raconte” (Europe 1) intitulé “La Tour Eiffel, un rêve fou”.

Cet épisode est basé sur le livre “La vraie vie de Gustave Eiffel” de Christine Kerdellant.

Cela a suscité mon envie d’évoquer avec vous quelques éléments de propriété intellectuelle sur la Tour Eiffel.

Le brevet 164 364

La Tour Eiffel a, tout d’abord, été protégée par un brevet : le brevet français n° 164 364.

Les dessins repris ci-dessus pour illustrer le présent article sont d’ailleurs tirés de ce brevet.

Ce brevet date de 1884. Il est donc bien évidemment expiré depuis longtemps.

Il y a deux éléments intéressants à relever en lien avec ce brevet.

D’une part, il ne concernait pas exclusivement la Tour Eiffel mais, de façon bien plus générale, toute pile et tout pylône métallique.

Ce brevet n’était pas un brevet de produit, mais plutôt un brevet de procédé couvrant une “disposition nouvelle permettant de construire des piles et des pylônes métalliques d’une hauteur pouvant dépasser 300 mètres”.

D’autre part, trois inventeurs sont repris dans la demande de brevet, puis dans le brevet tel que délivré : Gustave Eiffel, Emile Nouguier et Maurice Koechlin.

Or, l’on sait que ce sont ces deux derniers, Nouguier et Koechlin, qui ont véritablement réalisé l’invention.

Il est, par ailleurs, étonnant que l’architecte Stephen Sauvestre, qui a drastiquement retravaillé les premiers projets de Nouguier et de Koechlin, ne soit pas mentionné parmi les inventeurs.

Si vous voulez en savoir plus sur le droit des brevets, voyez le billet intitulé Un brevet, ça sert à quoi ?

Le droit d’auteur ?

Mais la Tour Eiffel, ce n’est pas que du technique.

C’est aussi des choix arbitraires, des choix esthétiques.

L’intervention de l’architecte Stephen Sauvestre a d’ailleurs consisté à transformer l’ouvrage essentiellement technique des ingénieurs Emile Nouguier et Maurice Koechlin en oeuvre architecturale :

  • “[Stephen Sauvestre] participe en 1884 à la conception architecturale de la tour Eiffel. Il revoit la conception du projet des ingénieurs Maurice Koechlin et Émile Nouguier. Ce n’était plus alors un projet d’ingénieur mais un projet d’architecte” (source: https://fr.wikipedia.org/wiki/Stephen_Sauvestre, 01/11/2021).

On peut donc considérer que, malgré ses aspects techniques et malgré l’existence du brevet n° 164 364 (lequel ne couvrait de toute façon qu’un procédé, et non l’édifice lui-même), la Tour Eiffel est aussi susceptible de protection par le droit d’auteur, en raison de son design, de sa forme, de son apparence extérieure… au titre d’oeuvre d’architecture (à propos du droit d’auteur des architectes, voyez ici).

L’arrêt Brompton de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) permet de comprendre l’articulation entre le droit d’auteur et le droit des brevets, et l’éventuel cumul des protections.

Ceci étant dit, la protection par le droit d’auteur ayant une durée de 70 ans post mortem (à compter de la mort de l’auteur), il est généralement admis aujourd’hui que la Tour Eiffel appartient, du point de vue du droit d’auteur, au domaine public.

Il n’est pas inintéressant de noter ici que l’auteur de la Tour Eiffel est difficilement identifiable. Est-ce Eiffel, Nouguier, Koechlin, Sauvestre … ?

En principe, en droit d’auteur, c’est la personne qui met en forme l’oeuvre qui est l’auteur. Paradoxalement, Eiffel ne devrait donc pas avoir la qualité d’auteur. L’auteur serait sans doute Sauvestre puisque c’est lui qui a dessiné l’oeuvre d’architecture. Quant à Nouguier et Koechlin, c’est plus discutable. En effet, d’un côté, ces deux ingénieurs ont dessiné les premiers plans de ce qui allait devenir la Tour Eiffel ; mais d’un autre côté, ces plans (i) étaient essentiellement techniques et (ii) ont été drastiquement retravaillés par Sauvestre.

Quoi qu’il en soit, Eiffel, Nouguier, Koechlin et Sauvestre sont tous morts il y a plus de 70 ans, de sorte que l’expiration des droits d’auteur ne fait pas débat.

De nos jours, il est donc possible de réaliser et d’exploiter des photos de la Tour Eiffel sans demander l’autorisation des ayants droit de la Tour (attention cependant aux éventuels droits des photographes !).

Tout comme il est possible de réaliser et d’exploiter librement des dessins, des adaptations, des objets dérivés, etc.

Voire même de reconstruire une Tour Eiffel à l’identique ailleurs…

Le droit d’auteur, oui mais de nos jours seulement “by night” !

Il faut apporter une nuance à ce qui vient d’être dit.

La Tour Eiffel vue de nuit est généralement considérée comme étant protégée par le droit d’auteur.

Comment est-ce possible ?

Eh bien parce que l’habillage de nuit de la Tour Eiffel, notamment par son éclairage, est généralement considéré comme une oeuvre au sens du droit d’auteur. Or, cet habillage est beaucoup plus récent que la Tour elle-même, de sorte que les 70 ans post mortem ne sont pas encore atteints.

J’en profite pour rappeler ici qu’habiller un monument (c.à.d. le décorer, le transformer, le modifier …, fût-ce de façon éphémère) peut constituer une oeuvre au sens du droit d’auteur. Exemple : le Pont-Neuf empaqueté par Christo. A propos des oeuvres éphémères, voyez ici.

Autres droits de propriété intellectuelle

Au-delà du brevet et du droit d’auteur évoqués ci-dessus, il faut aussi garder à l’esprit que d’autres droits de propriété intellectuelle peuvent exister en lien avec la Tour Eiffel, et notamment des marques (sur le nom et/ou l’image de la Tour).

Si vous voulez en savoir plus sur le droit des marques, voyez mon article intitulé Droit des marques : comment ça marche ?

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Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles