Les oeuvres éphémères et le droit d’auteur

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Introduction

Une question qui revient souvent est celle de la protection des oeuvres éphémères.

L’on songe, par exemple, à un château de sable, à un objet en chocolat, à une statue de glace, à un montage floral ou culinaire, à l’apparence d’un gâteau, à un bonhomme de neige ou à une coupe de cheveux.

Sur le principe, ces oeuvres éphémères sont-elles susceptibles de protection par le droit d’auteur?

Que dit la législation ?

Pour répondre à cette question, rappelons d’abord que le droit d’auteur s’applique (i) à une création de forme (il doit s’agir d’une expression ou d’une composition, et non d’une simple idée) qui (ii) est originale.

Il faut bien admettre que, sur le principe, les oeuvres éphémères reprises en exemple ci-dessus ont bien une forme et sont bien des créations.

Oui mais quid de leur caractère éphémère ? Fait-il obstacle à la protection ?

En lisant les textes législatifs, l’on ne trouve pas clairement la réponse. Il existe cependant des indices qui peuvent nous orienter.

Ainsi, par exemple, l’article 2.1 de la Convention de Berne prévoit que les oeuvres orales peuvent être des oeuvres au sens du droit d’auteur. Parmi ces oeuvres orales, la Convention de Berne vise les “conférences”, les “allocutions” et les “sermons”, c.à.d. des oeuvres “fugaces” qui peuvent n’exister (si elles ne sont pas enregistrées, par exemple) qu’au moment où elles sont prononcées.

Les paroles s’envolent …

De même, l’article XI.172 du Code de droit économique protège, au titre de droit d’auteur, les manifestations orales de la pensée. Le même raisonnement s’applique ici : une manifestation orale de la pensée peut n’être que fugace (si personne n’enregistre cette manifestation orale).

Ces développements liés à la protection des oeuvres orales tendent à confirmer qu’une oeuvre au sens du droit d’auteur ne doit pas nécessairement être (fixée de manière) permanente, et qu’elle peut n’être que fugace ou éphémère.

La clarification apportée par la CJUE

C’est en réalité la Cour de justice de l’Union européenne qui, dans son arrêt Levola (C-310/17) a confirmé, sans la moindre ambiguïté, qu’une oeuvre au sens du droit d’auteur peut n’être que fugace ou éphémère.

Au §40 de cet arrêt, la Cour indique en effet que “la notion d’« œuvre » visée par la directive 2001/29 implique nécessairement une expression de l’objet de la protection au titre du droit d’auteur qui le rende identifiable avec suffisamment de précision et d’objectivité, quand bien même cette expression ne serait pas nécessairement permanente”.

En d’autres termes, pour être une oeuvre au sens du droit d’auteur la création de forme doit pouvoir être identifiée avec suffisamment de précision et d’objectivité, mais elle ne doit, par contre, pas être permanente.

Un château de sable, un objet en chocolat, une statue de glace, un montage floral ou culinaire, l’apparence d’un gâteau, un bonhomme de neige, une coupe de cheveux… peuvent ainsi être protégés par le droit d’auteur, même si ces créations sont éphémères.

Pour autant, bien sûr, (i) que leur forme soit bien identifiable (il faudra donc pouvoir prouver cette forme, par ex. via des photos ou des croquis) et (ii) que cette forme soit originale (mais la question de l’originalité est une question d’espèce, à examiner au cas par cas et in concreto – ainsi, par exemple, tous les châteaux de sables ne seront pas protégés; seuls ceux qui seront originaux pourront être protégés).

Le Pont Neuf emballé par Christo

Un célèbre exemple d’oeuvre éphémère est le Pont Neuf tel qu’emballé par Christo (c.à.d. une forme d’oeuvre de décoration ou d’aménagement extérieur).

Christo a, en effet, emballé le Pont Neuf et ses lampadaires au moyen d’une toile soyeuse tissée en polyamide de couleur pierre de l’Ile-de-France, avec des cordages particuliers – ce qui a été considéré par la cour d’appel de Paris comme une oeuvre susceptible de protection par le droit d’auteur, la cour relevant que Christo a, ce faisant, mis en relief la pureté des lignes du Pont Neuf et de ses lampadaires et que ce relief pouvait être vu de loin, tant de jour comme de nuit.

Cette oeuvre était éphémère: elle n’est restée en place que quelques semaines entre septembre et octobre 1985.

Cette caractéristique éphémère n’enlève rien à la possibilité de protection par le droit d’auteur, Christo étant d’ailleurs parvenu à faire condamner des photographes ayant pris des clichés de “son” Pont Neuf tel que empaqueté par lui.

Conclusion

Le caractère éphémère d’une oeuvre n’enlève rien à la possibilité de protection par le droit d’auteur, pour autant que la (mise) forme de cette oeuvre puisse être identifiée avec objectivité et précision.

Par ailleurs, la protection d’une oeuvre éphémère ne sera in concreto acquise que si cette oeuvre est jugée originale (ce qui dépend d’un examen au cas par cas).

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Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles