Droit d’auteur, photo, Instagram de star et paparazzi

C’est une histoire assez étonnante que nous rapporte la BCC.

La chanteuse-mannequin Dua Lipa est poursuivie devant un tribunal américain pour avoir repris, sur son Instagram, une photo d’elle prise par un paparazzi dans un aéroport.

Le paparazzi en question lui réclame quelques 150.000 dollars pour violation de ses droits d’auteur ; ainsi qu’un ordre pour le futur enjoignant à Dua Lipa de ne plus recommencer (une sorte d’ordre de cessation pour prévenir de nouveaux actes de contrefaçon) ; sans oublier les frais de justice (qui, aux Etats-Unis, peuvent se révéler très élevés).

Photo by Zeg Young on Unsplash

Je ne vais pas traiter ici de cette question en droit américain, mais plutôt vous livrer quelques réflexions sur cette situation à l’aune du droit belge.

En droit belge, le paparazzi aurait peu de chances de succès et ce pour deux motifs.

D’abord, parce que n’importe quelle photographie n’est pas protégeable par le droit d’auteur (voyez ici).

Pour qu’une photographie soit protégée par le droit d’auteur, il faut qu’elle soit originale.

Or, les clichés pris par les paparazzis sont, la plupart du temps, dénués d’originalité (voyez ici).

En effet, les paparazzis sont, le plus souvent, totalement dépendants de la scène qui se déroule sous leurs yeux – et donc contraints par cette scène – (c.à.d. la configuration et la situation dans lesquelles les stars qu’ils veulent photographier se trouvent). De plus, les paparazzis doivent se dépêcher de “shooter” ces stars sans pouvoir choisir l’angle, l’éclairage, l’atmosphère, la pose, etc. Les paparazzis “shootent” en rafale ce qui se présente à eux ; ce faisant, ils se contentent de reproduire le réel à l’état brut, sans pouvoir l’influencer de façon créative.

Or, s’il n’y a pas d’originalité et donc pas de protection par le droit d’auteur, il ne saurait – par définition – pas y avoir de contrefaçon ou de violation de droits d’auteur ; et donc pas d’indemnisation (pas même un euro symbolique !).

Le deuxième motif qui, à mon sens, ferait que le paparazzi poursuivant Dua Lipa aurait peu de chances de succès devant un tribunal belge est lié au droit à l’image. En droit belge, par rapport à une photographie de portrait, il y a potentiellement deux personnes qui ont des droits sur cette photographie. D’une part, le photographe (droits d’auteur sur la photo) – mais uniquement si la photographie est originale (donc protégée). D’autre part, le sujet de la photo (droit à l’image de la personne photographiée).

C’est ce qu’exprime l’article XI.174 du Code de droit économique :

“Ni l’auteur, ni le propriétaire d’un portrait, ni tout autre possesseur ou détenteur d’un portrait n’a le droit de le reproduire ou de le communiquer au public sans l’assentiment de la personne représentée ou celui de ses ayants droit pendant vingt ans à partir de son décès”.

Nul ne peut exploiter la photo d’une personne, sans l’autorisation de cette personne.

Sous l’empire du droit belge, c’est donc plutôt Dua Lipa qui pourrait poursuivre le paparazzi et qui pourrait lui réclamer des dommages et intérêts, pour ne pas avoir respecté son droit à l’image et pour avoir violé l’article XI.174 du Code de droit économique (songeons aux nombreuses condamnations de journaux people pour avoir publié des photos de star prises par des paparazzis). De son côté, le paparazzi aurait peu de chances de succès vu la très peu probable protection, par le droit d’auteur, de sa photo.

Bien sûr, il peut y avoir des exceptions au droit à l’image de la personne photographiée, comme par exemple le droit à l’information du public ; mais il y a fort à parier que photographier Dua Lipa dans un aéroport n’est pas à ce point une information fondamentale qu’elle tombe sous l’exception tirée du droit à l’information du public.

A propos des photographies prises par les paparazzis et du droit à l’image, je trouve intéressant de rappeler ce que la Cour européenne des droits de l’homme a dit dans son arrêt Von Hannover c. Allemagne (no 2) du 7 février 2012 :

“103.  La Cour rappelle enfin que la liberté d’expression comprend la publication de photos (…). Il s’agit là néanmoins d’un domaine où la protection de la réputation et des droits d’autrui revêt une importance particulière, les photos pouvant contenir des informations très personnelles, voire intimes, sur un individu ou sa famille (…). Par ailleurs, les photos paraissant dans la presse dite « à sensation » ou dans « la presse du cœur », laquelle a habituellement pour objet de satisfaire la curiosité du public sur les détails de la vie strictement privée d’une personne (…), sont souvent réalisées dans un climat de harcèlement continu, pouvant entraîner pour la personne concernée un sentiment très fort d’intrusion dans sa vie privée, voire même de persécution (…)”.

Ceci aussi ferait qu’à mon sens, Dua Lipa aurait plus de chances, en droit belge, de faire condamner le paparazzi que l’inverse !

De manière plus générale, et au-delà du cas particulier des paparazzis, il faut retenir que, sous réserve d’exceptions, (i) le photographe doit obtenir l’autorisation de la personne photographiée (pour la photographier et pour exploiter la photographie) et doit pouvoir prouver cette autorisation ; et (ii) si la photographie est originale (ce qui n’est pas automatique !), la personne photographiée ne peut exploiter “son” portrait qu’avec l’accord du photographe.

Enfin, si la personne souhaitant exploiter la photographie est un tiers (c.à.d. ni le photographe ni la personne photographiée), elle doit en principe obtenir l’autorisation tant du photographe que de la personne photographiée.

Plusieurs autorisations sont donc nécessaires et doivent parfois se cumuler (autorisation de la personne photographiée, autorisation du photographe …).

Si vous voulez en savoir plus sur le droit d’auteur, c’est ici ; et sur le droit d’auteur en lien avec les photographies, c’est .

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Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles