Selfies et droit d’auteur

Photo de Adam Birkett sur Unsplash

Les photographies sont des oeuvres susceptibles de protection par le droit d’auteur.

Mais, pour être effectivement protégées, elles doivent satisfaire à la condition d’originalité.

L’originalité doit être examinée au cas par cas et de façon concrète.

Il en découle que n’importe quelle photographie ne sera pas protégée par le droit d’auteur. Seules bénéficieront de la protection celles qui passeront avec succès le test de l’originalité.

Les selfies – qui ne sont rien d’autre que des photographies d’autoportrait prises avec un smartphone – ne dérogent pas à ces règles.

Et précisément, dans un arrêt du 12 mai 2023 (n° RG 21/16270), la cour d’appel de Paris a refusé, à défaut d’originalité, la protection par le droit d’auteur à un selfie qui avait été pris dans un ascenseur.

Je vous propose aujourd’hui de revenir sur cette décision intéressante.

Les faits et le litige

Une influenceuse exploite un blog sur lequel elle diffuse notamment des selfies pris dans un ascenseur. L’objectif est de présenter aux internautes qui visitent son blog des tenues et des vêtements qu’elle porte.

Une société active dans le prêt-à-porter et les accessoires de mode lance une campagne publicitaire relative à sa nouvelle collection automne-hiver.

L’influenceuse reproche à cette société d’avoir utilisé, à l’occasion de cette campagne publicitaire, un cliché qui serait très similaire à l’un de ses selfies :

  • tant au niveau de la mise en scène, du cadrage, de la posture et du décor ;
  • qu’au niveau du mannequin choisi pour ce cliché, qui ressemblerait à l’influenceuse.

Ne parvenant pas à un accord amiable, l’influenceuse introduit une action en justice contre cette société pour contrefaçon de droits d’auteur et pour concurrence déloyale. Le litige est porté devant le tribunal judiciaire de Paris.

Je précise que l’aspect concurrence déloyale ne retiendra pas mon attention ici (en particulier, car cette notion est interprétée très différemment en France et en Belgique).

L’originalité du selfie selon l’influenceuse

La cour relève que l’influenceuse justifie l’originalité de son selfie sur la base des éléments suivants :

  • “le choix du décor, une cage d’ascenseur au revêtement argent éclairée par une lumière artificielle et non un lieu à l’extérieur avec une lumière naturelle” ;
  • “le choix du sujet c’est-à-dire de se photographier elle-même avec un téléphone au lieu de faire appel à un photographe professionnel” ;
  • “le choix d’une posture particulière, la laisse de son chien dans une main, son téléphone portable dans l’autre main et le regard vers le bas” ;
  • “le choix de mettre en scène son chien” ;
  • “le choix du cadrage c’est-à-dire en optant pour un format vertical, permettant une photographie en pied et la mise en valeur de sa tenue”.

L’influenceuse met également en avant le choix de sa tenue et de sa coiffure.

La décision de la cour d’appel quant à l’originalité du selfie

La cour estime, tout d’abord, que le selfie litigieux semble, au niveau du décor, se limiter à une reproduction du réel, c.à.d. à une reproduction de l’ascenseur tel qu’il est et de l’éclairage de cet ascenseur tel qu’il est.

La cour ne voit pas en quoi l’influenceuse a opéré des choix (en termes de réglages, de luminosité, de contrastes…) qui lui seraient propres :

“le ‘selfie’ qu’elle oppose apparaît se borner à reproduire l’éclairage artificiel de l’ascenseur dans lequel il est réalisé sans autre intervention”.

La cour relève, ensuite, que le fait de se photographier, dans une cage d’ascenseur avec son chien, au moyen de la technique du selfie est une pratique courante chez les influenceurs.

Pour arriver à cette conclusion, la cour se base notamment sur plusieurs comptes Instagram d’influenceurs très connus, dont les selfies pertinents sont antérieurs au selfie litigieux :

“Ainsi que l’établit le procès-verbal de constat précité du 17 septembre 2020, était déjà connu sur les réseaux sociaux antérieurement au mois de juillet 2018, notamment chez les influenceurs, tel qu’il résulte des comptes Instagram de [E], [B] ou [Z] qui bénéficient d’une audience beaucoup plus étendue que celle du compte de Mme [N]-[L], le fait de se mettre en scène et de se photographier dans une cage d’ascenseur selon la technique dite du ‘selfie’ accompagné d’un chien”.

La conclusion n’est pas différente si l’on ajoute, au niveau de la posture, le téléphone dans une main, la laisse du chien dans l’autre main et le regard baissé vers le téléphone. Tous ces éléments sont déjà présents dans les selfies antérieurs d’autres influenceurs.

La cour relève aussi qu’un certain nombre de choix mis en avant par l’influenceuse pour justifier l’originalité du selfie litigieux sont, en réalité, inhérents à la technique du selfie.

A la lumière de tous ces éléments, la cour estime que l’originalité du selfie litigieux n’est pas établie.

Ce selfie n’est donc pas protégé par le droit d’auteur et l’influenceuse se voit débouter de l’ensemble de ses demandes fondées sur la contrefaçon.

***

Si le sujet de la protection des photographies par le droit d’auteur vous intéresse, vous pouvez consulter les nombreux articles que j’ai publiés sur ce sujet, comme par exemple :

FredericLejeuneLogo

Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles