L’originalité du point de vue du droit anglais

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Introduction

Depuis le Brexit, on peut s’interroger sur l’évolution du droit d’auteur au Royaume-Uni.

J’épingle aujourd’hui une décision intéressante rendue par trois juges anglais, siégeant en degré d’appel, Lord Justice Moylan, Lady Justice Asplin and Lord Justice Arnold.

Il s’agit d’une décision du 20 novembre 2023, dont la référence est la suivante : [2023] EWCA Civ 1354.

La motivation est celle de Lord Justice Arnold, laquelle est approuvée par les deux autres magistrats.

Cette décision a essentiellement trait à l’originalité.

Je vous propose donc aujourd’hui d’aller voir ce qui se passe au-delà des frontières belges et de faire un peu de droit comparé.

Situation factuelle

Dans cette affaire, il est question de contrefaçon de programme d’ordinateur, dans le contexte d’une séparation entre deux associés.

A l’occasion des débats judiciaires, se pose alors la question de la protection du programme litigieux par le droit d’auteur.

En effet, à défaut de protection, il ne saurait y avoir de contrefaçon.

Le premier juge conclut à la protection par le droit d’auteur, mais rejette la contrefaçon pour des raisons probatoires.

Appel est interjeté contre ce jugement, ce qui va conduire à la décision dont je souhaite vous parler aujourd’hui.

La décision du 20 novembre 2023 quant à l’originalité en droit anglais

Le premier juge avait conclu à l’originalité sur la base du test “skill and labour”.

Historiquement, ce test était celui qui prévalait devant les juridictions anglaises, avant que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) se prononce sur l’originalité dans l’arrêt Infopaq (et toute la jurisprudence ultérieure) :

“(…) the test he applied was that of “skill and labour”, which was the test applied by the English courts prior to Infopaq (…)” (§23 de la décision du 20 novembre 2023).

Le test “skill and labour” avait dû être abandonné, dans la mesure où le Royaume-Uni faisait partie de l’Union européenne.

La question intéressante qui se pose, en l’espèce, est celle de savoir si, à la suite du Brexit, les juges anglais doivent revenir à ce test “skill and labour”, ou s’ils doivent continuer à suivre les critères dégagés par la CJUE.

La décision du 20 novembre 2023 répond à cette question.

Au §15 de celle-ci, Lord Justice Arnold explique que le Copyright, Designs and Patents Act de 1988 doit, autant que possible, être interprété à la lumière de la jurisprudence de la CJUE telle qu’elle existe au 31 décembre 2020 (ce qui correspond à la date de la fin de la période de transition du Brexit).

Lord Justice Arnold renvoie alors aux arrêts Infopaq (2009), BSA (2010), Premier League (2011), Painer (2011), Football Dataco (2012), Funke Medien (2019), Cofemel (2019) et Brompton (2020).

C’est-à-dire pratiquement toute la jurisprudence de la CJUE en matière d’originalité telle qu’elle existe à ce jour.

Au §16, Lord Justice Arnold explique ensuite que, pour qu’une oeuvre soit originale au sens du droit d’auteur, il faut que l’auteur ait pu exprimer ses capacités créatives, lors de la réalisation de l’oeuvre, en exprimant ses choix libres et créatifs ; et qu’il ait pu ainsi marquer l’oeuvre de sa touche personnelle. Lord Justice Arnold ajoute que l’oeuvre ne sera pas originale lorsqu’elle est le résultat des considérations techniques, de règles et/ou d’autres contraintes qui ne laissent aucune place à la liberté créatrice.

Se penchant sur les griefs dirigés contre la décision du premier juge, Lord Justice Arnold confirme que ce dernier s’est trompé de test : il a appliqué le test “skill and labour”, et non celui tiré de la jurisprudence de la CJUE.

Or, ces deux tests sont très différents et le test UE est plus difficile à satisfaire.

“In my judgment the Defendants are right that the judge did not apply the correct test, which I have set out in paragraph 16 above. (…) 

It is because the test he applied was that of “skill and labour”, which was the test applied by the English courts prior to Infopaq (…) and not the test of “author’s own intellectual creation” laid down by the Court of Justice.

As can be seen from cases such as Football Dataco and Funke Medien, these two tests are not the same, and the European test is more demanding (…)” (§23 de la décision du 20 novembre 2023).

In fine, et c’est intéressant de le relever, Lord Justice Arnold conclut à l’originalité (§28 de la décision du 20 novembre 2023).

Ceci signifie donc que, malgré l’erreur de droit du premier juge quant au test à appliquer pour évaluer l’originalité, sa conclusion relative à l’originalité ne sera pas réformée en appel.

Conclusion

Cette décision est très intéressante.

Certes, le Royaume-Uni est sorti de l’Union européenne. Mais, malgré tout, les acquis européens en matière de droit d’auteur s’imposent encore.

A mes yeux, la question qui persiste est celle de savoir si les juridictions anglaises pourront se fonder sur la future jurisprudence de la CJUE ; et, par exemple, sur l’arrêt qui sera rendu dans l’affaire Mio.

D’un côté, cette future jurisprudence sera, par définition, postérieure au 31 décembre 2020. Or, Lord Justice Arnold insiste sur cette date (§15 de la décision du 20 novembre 2023 : “as interpreted prior to 31 December 2020 by the Court of Justice of the European Union”).

D’un autre côté, cette future jurisprudence ne sera – sauf revirement spectaculaire de la part de la CJUE – que la continuité de la jurisprudence existante. Il ne serait donc pas illogique de pouvoir s’y référer, précisément au nom de cette continuité.

Affaire à suivre !

Ou plutôt : “To be continued !”.

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Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles