Le droit d’auteur sur un aménagement intérieur

Photo de Adam Winger sur Unsplash

Introduction

Je vous ai déjà parlé du lien entre les oeuvres d’aménagement intérieur et le droit d’auteur.

Je vous propose de revenir aujourd’hui sur une décision intéressante, rendue dans une affaire où se posait la question de savoir si l’aménagement intérieur d’un salon de coiffure peut être protégé par le droit d’auteur.

Cette décision a été prononcée en France, par la cour d’appel de Douai (arrêt du 24 septembre 2014, N° RG : 13/04727), mais elle est transposable en droit belge.

En effet, les conditions de protection du droit d’auteur sont désormais harmonisées à l’échelle européenne, conformément à la jurisprudence de la CJUE (arrêts Infopaq, BSA, Premier League, Painer, Football Dataco, SAS Institute, Renckhoff, Funke Medien, Cofemel et Brompton).

Les faits ayant mené au litige

Le litige se situe dans le domaine de la coiffure.

Un franchiseur se prétend titulaire de droits d’auteur sur l’aménagement intérieur d’un salon de coiffure. Il s’agit d’un aménagement intérieur type que ses franchisés sont tenus de mettre en oeuvre dans leur(s) salon(s).

Le franchiseur reproche à un ancien franchisé de ne pas avoir suffisamment modifié l’aménagement intérieur de son salon, alors que le contrat de franchise a pris fin.

Ce faisant, l’aménagement intérieur type du franchiseur (qui constitue, selon lui, une oeuvre protégée par le droit d’auteur) est toujours exploité par l’ancien franchisé, et ce en contrefaçon des droits du franchiseur.

En première instance, le tribunal de grande instance de Lille estime que les modifications apportées par l’ancien franchisé à l’aménagement intérieur de son salon, sont suffisantes pour exclure toute contrefaçon sur le plan du droit d’auteur.

Le franchiseur décide d’interjeter appel de cette décision.

Pour être complet, il faut noter que, dans cette affaire, d’autres fondements étaient invoqués (contrefaçon de marques, manquements contractuels et concurrence déloyale). Ces autres fondements ne sont toutefois pas abordés ici, dans la mesure où cet article est spécifiquement dédié à la question de la protection par le droit d’auteur des oeuvres d’aménagement intérieur. Par ailleurs, s’agissant de la concurrence déloyale, elle fait l’objet d’interprétations différentes en jurisprudences belges et françaises, comme je vous l’ai déjà expliqué ici.

La décision de la cour d’appel de Douai

La cour d’appel de Douai constate que, conformément aux annexes du contrat de franchise (qui liait le franchiseur et l’ancien franchisé), l’aménagement intérieur type du franchiseur était précisément défini et formalisé.

Parmi les éléments qui caractérisent cet aménagement intérieur, la cour d’appel de Douai relève notamment :

– une entrée la plus vaste et la plus ouverte possible,

– un espace caisse avec une caisse proche du vestiaire et du mail, de forme courbe, avec à proximité un téléviseur LCD encastré diffusant les clips de collection et les shows relatifs aux événements du groupe,

– un espace vente, situé de l’autre côté de la caisse, sous forme d’un linéaire de distribution des produits à la vente,

– un corps de salon également conçu avec une courbe ‘généreuse’ par juxtaposition des espaces de coiffage et de miroirs,

–  un espace labo soit fermé conçu comme une tour, soit ouvert tel un bar à colorations, donnant à voir aux clients le travail de préparation, les bacs étant placés en rayonnement autour du labo,

– un espace shampoing en rayonnement autour du laboratoire, situé face à l’espace coiffage, permettant une circulation totale entre les bacs à shampoing et maintenant le client en spectateur de la coiffure,

– un espace coiffure aménagé en fonction du bâti, avec des postes de coiffage placés selon une courbe.

Mais ce n’est pas tout : la cour d’appel de Douai relève également que le logo du franchiseur est reproduit en petites touches sur de nombreux éléments de l’aménagement intérieur, tout comme la couleur rouge (qui est, en l’espèce, caractéristique du franchiseur).

A côté de cela, l’aménagement d’intérieur revendiqué par le franchiseur est également caractérisé par la forme, les couleurs et le positionnement des meubles ; ainsi que par le choix des matériaux et des textures.

Sur la base de l’ensemble de ces éléments, la cour d’appel de Douai conclut à l’originalité – et donc à la protection par le droit d’auteur – de l’aménagement intérieur revendiqué par le franchiseur :

“Ces éléments traduisent un travail de création et un parti pris esthétique de l’auteur qui n’est pas dicté par des contraintes fonctionnelles et donne au [salon de coiffure] une physionomie propre, différente des enseignes concurrentes et protégeable au titre du droit d’auteur”.

Voici donc un exemple concret d’aménagement intérieur (en l’occurence, d’un salon de coiffure) protégé par le droit d’auteur.

Sur le plan de la contrefaçon, la cour d’appel de Douai estime, contrairement au tribunal de grande instance de Lille, que les quelques modifications réalisées par l’ancien franchisé ne sont pas suffisantes, car l’agencement et le mobilier restent identiques. La cour ajoute que, dans l’ensemble, la clientèle retrouve le même aménagement intérieur que celui qui existait lorsque le contrat de franchise était encore en vigueur.

Mes réflexions

A mon sens, cette décision doit être approuvée.

L’originalité ne ressort pas uniquement de concepts, d’idées générales ou encore d’une liste d’éléments abstraits (par ex. la présence d’un espace vente, d’un espace labo, d’un espace shampoing, d’un écran LCD, etc.) – lesquels ne seraient pas protégeables, à défaut de mise en forme concrète.

Non, ce qui fait l’originalité, selon la cour d’appel de Douai, ce sont tous ces éléments, en tant qu’ils sont positionnés et agencés d’une façon particulière, les uns à l’égard des autres.

Bien que les plans concrets d’aménagement ne sont pas reproduits dans la décision de la cour d’appel de Douai, on comprend que de tels plans (assez précis) existent, et qu’ils règlent la position et l’agencement de ces divers éléments, et ce de façon concrète.

J’y insiste, la situation aurait été différente si le franchiseur avait revendiqué une protection sur une liste abstraite, sans concrétisation ou agencement spécifique. En effet, comme l’écrit Alain Berenboom (Le nouveau droit d’auteur et les droits voisins, 4e éd., Bruxelles, Larcier, 2008, p. 207), celui qui viendrait à réclamer une protection par le droit d’auteur sur une liste reprenant “une pièce ronde, un escalier en colimaçon, une piscine sur le toit entre deux tourelles”, ne pourrait pas être suivi. En effet, cette liste de caractéristiques est trop abstraite. A partir de ces caractéristiques (pièce ronde, escalier en colimaçon, piscine sur le toit, deux tourelles), il existe encore énormément de possibilités au niveau de la mise en forme et de multiples résultats possibles ; ce qui exclut toute protection par le droit d’auteur.

Par ailleurs, au-delà du positionnement et de l’aménagement des différents éléments, la cour d’appel de Douai relève de nombreux autres choix, de la part de l’auteur de l’aménagement intérieur, par exemple au niveau du mobilier choisi, des formes, des couleurs, des matériaux et des textures.

Et c’est en prenant tous ces éléments ensemble que la cour d’appel de Douai conclut à l’originalité de l’aménagement intérieur du franchiseur, et donc à sa protection par le droit d’auteur.

Ceci me parait rejoindre ce que je vous disais ici :

“L’originalité pourra être décelée dans la décoration particulière des lieux, le choix des couleurs, le choix des matières (revêtement de sol, murs et autres) ; dans le choix et la combinaison des meubles et autres objets mobiliers, et/ou dans leur création ; dans l’utilisation des espaces et/ou leur aménagement ; dans les jeux de lumières ; et dans beaucoup d’autres choses encore”.

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Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles