Droit d’auteur et originalité, une nouvelle affaire devant la CJUE

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Pour être protégée par le droit d’auteur, une oeuvre doit être originale.

Depuis 2009, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) s’est prononcée à de multiples reprises sur la notion d’originalité.

Je songe notamment aux arrêts Infopaq, BSA, Premier League, Painer, Football Dataco, SAS Institute, Renckhoff, Funke Medien, Cofemel et Brompton.

Malgré cette jurisprudence déjà bien étoffée, il semble que certaines questions persistent.

Une nouvelle affaire pendante devant la CJUE en témoigne.

Il s’agit de l’affaire Mio (C-580/23), dont le dossier est consultable en ligne sur le site de la Cour.

Les faits

En Suède, un distributeur de meubles (Mio) est poursuivi en justice pour contrefaçon de droits d’auteur.

Mio est accusé d’avoir contrefait des tables créées par deux frères, Mikael et Thomas Asplund.

Mio est condamné en première instance et décide d’interjeter appel.

C’est dans le cadre de cette procédure d’appel que le juge suédois va poser des questions à la CJUE.

Les difficultés rencontrées par le juge de renvoi

Après avoir rappelé la jurisprudence pertinente de la CJUE, ainsi que les grands principes qui s’en dégagent, le juge suédois estime, dans sa demande de décision préjudicielle, que ces grands principes ne sont pas suffisants, d’un point de vue pratique, pour déterminer concrètement si une oeuvre est, ou non, originale.

“23. S’agissant du premier de ces éléments, la Cour a jugé que, pour qu’un objet puisse être regardé comme original, il est à la fois nécessaire et suffisant que celui-ci reflète la personnalité de son auteur, en manifestant les choix libres et créatifs de ce dernier. En revanche, lorsque la réalisation d’un objet a été déterminée par des considérations techniques, par des règles ou par d’autres contraintes, qui n’ont pas laissé de place à l’exercice d’une liberté créative, cet objet ne saurait être regardé comme présentant l’originalité nécessaire pour pouvoir constituer une œuvre. Un objet peut satisfaire à l’exigence d’originalité, quand bien même la réalisation de celui-ci a été déterminée par des considérations techniques, pour autant qu’une telle détermination n’a pas empêché l’auteur de refléter sa personnalité dans cet objet, en manifestant des choix libres et créatifs (voir arrêt Cofemel, points 30 et 31, et jurisprudence citée, et arrêt du 11 juin 2020, Brompton Bicycle, C-833/18, ci-après l’« arrêt Brompton Bicycle », EU:C:2020:461, points 23 à 26).

24. En outre, la Cour a déclaré que, afin d’apprécier si une œuvre est une création originale, il revient à la juridiction nationale de tenir compte de tous les éléments pertinents tels qu’ils existaient lors de la conception de cet objet, indépendamment des facteurs extérieurs et ultérieurs à la création du produit (voir arrêt Brompton Bicycle, point 37).

25. Toutefois, la juridiction de céans estime que la manière dont il convient d’interpréter et d’appliquer les déclarations de la Cour concernant l’originalité d’une œuvre, à savoir que l’objet doit manifester les choix libres et créatifs de son auteur, n’apparaît pas de manière évidente. Plus précisément, une incertitude subsiste quant à la manière dont l’appréciation concrète doit être effectuée – et quels éléments doivent ou devraient être pris en compte – pour déterminer si un objet des arts appliqués reflète la personnalité de son auteur, en manifestant les choix libres et créatifs de ce dernier”.

Ce faisant, le juge suédois est en recherche de critères concrets pour évaluer l’originalité, au-delà des notions générales comme la “personnalité de l’auteur” et les “choix libres et créatifs”.

Cette position du juge suédois n’est pas étonnante.

En effet, et comme je l’ai notamment écrit dans mon ouvrage Le droit d’auteur en questions (p. 148, n° 138) :

    • “la Cour de justice, au-delà des critères vagues tels que la « création intellectuelle propre », « les choix libres et créatifs », la « personnalité », l’« esprit créateur », les « capacités créatives », la « touche personnelle », ne donne que très peu d’indications quant aux critères positifs et concrets permettant de déceler l’originalité”.
    • “dans un cas comme celui du vélo pliable « Brompton », il aurait été utile que la Cour explique au juge de renvoi quels critères positifs et concrets mobiliser pour rechercher l’originalité, plutôt que de se contenter d’indiquer (i) que toute une série de critères ne sont pas déterminants ou pertinents (multiplicité des formes, intention du contrefacteur…), (ii) que le vélo pliable peut être une oeuvre originale si sa forme ne répond pas exclusivement à une contrainte technique et (iii) qu’in fine, ce qu’il faut rechercher in concreto, c’est si l’auteur a exercé « sa capacité créative de manière originale en effectuant des choix libres et créatifs et a modelé le produit de sorte qu’il reflète sa personnalité ». La Cour en reste donc aux concepts vagues de « capacité créative », « choix libres et créatifs », « reflet de la personnalité »… Certains commentateurs n’ont, d’ailleurs, pas manqué de relever qu’objectivement, l’arrêt Brompton ne sera que d’un faible secours pour le juge de renvoi, lequel attendait des critères concrets”.

Les questions préjudicielles

En quête de critères précis et effectifs pour évaluer l’originalité, en particulier pour les objets des arts appliqués, le juge suédois va poser des questions assez détaillées à la CJUE.

Il va également faire le lien avec l’appréciation de la contrefaçon.

Les questions posées par le juge suédois sont formulées comme suit :

1. Comment convient-il d’effectuer l’examen visant à déterminer si un objet des arts appliqués mérite la protection étendue du droit d’auteur en tant qu’œuvre au sens des articles 2 à 4 de la directive 2001/29/CE, et quels sont les éléments qui doivent ou devraient être pris en compte pour déterminer si cet objet reflète la personnalité de son auteur, en manifestant les choix libres et créatifs de ce dernier ? À cet égard, la question se pose, en particulier, de savoir si l’appréciation de l’originalité doit se concentrer sur des éléments relatifs au processus de création et sur les explications fournies par l’auteur quant aux choix concrets qu’il a faits lors de la création de l’objet, ou sur des éléments relatifs à l’objet lui-même et au résultat final du processus de création et sur le point de savoir si l’objet lui-même exprime un effet artistique.

2. Pour répondre à la première question et à la question de savoir si un objet des arts appliqués reflète la personnalité de son auteur, en manifestant les choix libres et créatifs de ce dernier, quelle importance revêt le fait que :

a) l’objet est constitué d’éléments que l’on trouve dans les formes généralement disponibles ?

b) l’objet est développé à partir d’un dessin ou modèle déjà connu et en constitue une variation ou s’inscrit dans la tendance actuelle de ce dessin ou modèle ?

c) des objets identiques ou similaires ont été créés avant ou, indépendamment et sans connaissance de l’objet des arts appliqués que l’on entend protéger en tant qu’œuvre, après la création de l’objet en question ?

3. Comment l’appréciation de la similitude doit-elle être effectuée – et quelle similitude est requise – lorsqu’il s’agit d’examiner si un objet des arts appliqués prétendument contrefaisant relève du champ de protection d’une œuvre et porte atteinte au droit exclusif accordé à l’auteur de l’œuvre en vertu des articles 2 à 4 de la directive 2001/29/CE ? À cet égard, il s’agit notamment de déterminer si l’examen doit porter sur la question de savoir si l’œuvre est reconnaissable dans l’objet prétendument contrefaisant ou sur la question de savoir si l’objet prétendument contrefaisant produit la même impression globale que l’œuvre, ou sur quels autres éléments doit porter l’examen.

4. Pour répondre à la troisième question et à la question de savoir si un objet des arts appliqués prétendument contrefaisant relève du champ de protection d’une œuvre et porte atteinte au droit exclusif sur l’œuvre, quelle est l’incidence :

a) du degré d’originalité de l’œuvre sur l’étendue de la protection de cette œuvre ?

b) du fait que l’œuvre et l’objet des arts appliqués prétendument contrefaisant sont constitués d’éléments que l’on trouve dans les formes généralement disponibles ou sont développés à partir d’un dessin ou modèle déjà connu et constituent des variations de celui-ci ou s’inscrivent dans la tendance actuelle de ce dessin ou modèle ?

c) du fait que d’autres objets identiques ou similaires ont été créés avant ou, indépendamment et sans connaissance de l’œuvre, après la création de cette œuvre ?

A suivre…

Les questions posées dans cette affaire sont très importantes.

Il faudra donc suivre cette affaire, en espérant que la CJUE ira au-delà de ce qu’elle a déjà dit dans ses arrêts précédents.

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Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles