L’élection présidentielle 2022 et la propriété intellectuelle

Image par Gerd Altmann de Pixabay

Ca y est, l’élection présidentielle 2022 a livré son verdict et a reconduit à l’Elysée son précédent locataire – chose qui n’est pas commune (cela n’était plus arrivé depuis 20 ans) et qui ne s’est jamais produite en dehors d’une cohabitation.

Mais, l’objectif de cet article n’est, évidemment, pas de parler politique, ni même de science politique !

La campagne présidentielle 2022 a souvent été décriée et considérée comme pauvre en idées et en débats.

Une chose est sûre : cette campagne n’a pas été pauvre en incidents relatifs à la propriété intellectuelle.

Et cela, c’est croustillant pour un avocat en propriété intellectuelle et en droit d’auteur !

La condamnation d’Eric Zemmour pour contrefaçon de droits d’auteur

Le premier fait marquant, au regard de la propriété intellectuelle, c’est la condamnation d’Eric Zemmour pour contrefaçon de droits d’auteur en raison de sa vidéo “Je suis candidat à l’élection présidentielle”.

Dans la mesure où j’ai déjà analysé cette affaire en détail dans mon article Contrefaçon et droit d’auteur, retour sur l’affaire Zemmour, je me permets de vous y renvoyer.

Le jugement peut être consulté via le site Next Inpact.

Valérie Pécresse et la marque “Kärcher”

La campagne de Valérie Pécresse a, sans doute, permis à cette dernière d’en apprendre un peu plus à propos du droit des marques.

En 2005, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, répétait à l’envi qu’il allait nettoyer certains quartiers difficiles “au Kärcher”.

A l’occasion de sa campagne 2022, Valérie Pécresse a signalé, à plusieurs reprises, vouloir “ressortir le Kärcher de la cave”.

Ces propos de Valérie Pécresse ont fait bondir le groupe “Kärcher”, qui s’est empressé de rappeler que “Kärcher” est une marque enregistrée, et que cette marque ne peut pas être utilisée n’importe comment.

Le groupe “Kärcher” a appelé la classe politique à cesser toute utilisation de sa marque.

Valérie Pécresse aurait mieux fait d’utiliser les termes génériques “nettoyeur haute pression”, pour étayer son propos.

Lorsqu’une marque est utilisée comme la dénomination usuelle d’un produit, c’est une très mauvaise affaire pour le titulaire de cette marque, car cela veut dire que sa marque risque de “dégénérer” et de ne plus être perçue par le public comme une marque (c.à.d. comme un lien avec une entreprise en particulier), mais comme le nom (usuel, générique) d’un produit (toutes entreprises confondues).

Le groupe “Kärcher” n’a donc aucun intérêt à laisser utiliser sa marque “Kärcher” comme dénomination usuelle pour les nettoyeurs haute pression ; et se doit même de réagir, à chaque fois, que sa marque est utilisée publiquement comme une dénomination usuelle. A défaut, la marque “Kärcher” risquerait de dégénérer et de ne plus être une marque valable.

Du reste, au-delà de l’aspect purement juridique propre au droit des marques, le groupe “Kärcher” a le droit de ne pas vouloir être lié à un parti politique ; et a également le droit de ne pas vouloir être associé à des notions telles que la violence, l’insécurité…

La réaction du groupe “Kärcher” est donc tout à fait légitime ; et Valérie Pécresse devrait se montrer plus prudente, à l’avenir, dans ses propos à connotations négatives.

Le logo de Jean Lassalle (“R !”)

Retour sur le terrain du droit d’auteur.

Jean Lassalle a reproché à Eric Zemmour d’avoir copié son logo et l’a assigné en contrefaçon pour ce motif.

Le logo de Jean Lassalle est constitué d’un “R” suivi d’un point d’exclamation (pour “Résistons !”), le tout aux couleurs du drapeau français.

Le logo d’Eric Zemmour est constitué d’un “R” suivi d’un point d’exclamation (pour “Reconquête !”), le tout également aux couleurs du drapeau français.

Il existe quelques différences de détail (notamment au niveau des couleurs) entre les deux logos en cause.

Mais, au global, la similitude entre les deux logos est frappante.

Ceci étant, pour qu’il existe une contrefaçon en droit d’auteur, il ne suffit pas de conclure à la similarité entre deux logos.

Bien plus, il faut également, et avant tout, vérifier si les éléments communs aux deux logos en cause sont originaux (l’originalité étant la condition de protection du droit d’auteur).

Or, à mon sens, un logo constitué d’une seule lettre (“R”) suivi d’un point d’exclamation, sans typologie particulière, n’est pas créatif (c’est “du déjà vu et revu” ; à tout le moins, c’est “du trop simple”).

Quant aux couleurs du logo (les couleurs du drapeau français), elles sont des plus banales pour un logo lié à une campagne présidentielle en France.

Je doute donc qu’un logo “R !” aux couleurs de la France puisse être jugé original, et être protégé par le droit d’auteur. Mais nous verrons, bien entendu, ce qu’en décidera le tribunal saisi de ce litige.

Si vous souhaitez en savoir plus, à propos du droit d’auteur, voyez mon article intitulé Le droit d’auteur en définitions.

Tourner un clip devant la Pyramide du Louvre

Marine Le Pen a tourné un clip devant la Pyramide du Louvre (ci-après : “la Pyramide”).

Peu après la publication de ce clip, le Musée du Louvre a fait savoir que Marine Le Pen n’avait pas sollicité son autorisation préalable pour tourner ce clip devant la Pyramide ; et qu’il était en train d’étudier toutes les suites à donner à cette situation.

Pourquoi une telle réaction du Musée du Louvre (ci-après : “le Musée”) ?

Eh bien, parce que la Pyramide est une oeuvre architecturale encore protégée par le droit d’auteur (contrairement au Palais du Louvre, lui-même), et que c’est le Musée qui est, à l’heure actuelle, le titulaire des droits d’auteur sur la Pyramide.

En clair, dans la mesure où la Pyramide est encore protégée par le droit d’auteur, Marine Le Pen ne pouvait pas filmer cette Pyramide (ni a fortiori publier sur Internet le clip qui en découle) sans l’autorisation préalable du Musée.

Si vous voulez comparer la situation de la Pyramide du Louvre avec celle de la Tour Eiffel, voyez mon article intitulé La Tour Eiffel, entre droit des brevets et droit d’auteur.

Marine Le Pen pourrait tenter de s’en sortir en revendiquant l’application de l’exception de panorama (à ce sujet, voyez ici), mais il est fort peu probable que cette exception puisse trouver à s’appliquer.

En effet, l’exception de panorama ne peut, en principe, pas être admise lorsque l’exploitation litigieuse poursuit un objectif commercial (au sens large).

L’article L122-5, 11°, du Code de la propriété intellectuelle français est, d’ailleurs, très clair à ce sujet, puisqu’il exclut du champ d’application de la liberté de panorama, “tout usage à caractère commercial”.

En l’espèce, il fait peu de doutes qu’un tel clip de campagne est un usage à caractère commercial (au sens très large du terme). C’est, en effet, un usage promotionnel, dans le but de remporter une élection avec du profit à la clé (le but de lucre, in fine, est indiscutable).

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Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles