Jugements avant dire droit et appel immédiat

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Mon article du 22 janvier 2016 intitulé Pot-pourri 1 : le retardement de l’appel des jugements avant dire droit est l’un des plus consultés de ce blog.

Il me paraît donc important de souligner qu’en date du 3 décembre 2020, la Cour de cassation a prononcé un arrêt C.19.0608.F (ECLI:BE:CASS:2020:ARR.20201203.1F.4) qui revient sur la notion de “jugement avant dire droit”.

Dans cet arrêt, la Cour de cassation décide qu’un jugement prononcé sur la base de l’article 19, alinéa 3, du Code judiciaire peut, si le juge épuise sa juridiction sur une question litigieuse, constituer un jugement définitif immédiatement susceptible d’appel.

Ce sera, par exemple, le cas lorsque l’opportunité de la mesure avant dire droit fait l’objet de débats entre les parties car, ce faisant, le juge doit trancher la contestation et donc épuiser sa juridiction sur l’opportunité de la mesure avant dire droit.

Le raisonnement de la Cour de cassation mérite d’être cité in extenso :

Aux termes de l’article 616 du Code judiciaire, tout jugement peut être frappé d’appel, sauf si la loi en dispose autrement.

Si l’article 1050 de ce code dispose, en son alinéa 1er, qu’en toutes matières, l’appel peut être formé dès la prononciation du jugement, même si celui-ci a été rendu par défaut, il prévoit, en son alinéa 2, que, contre une décision rendue sur la compétence ou, sauf si le juge en dispose autrement, une décision d’avant dire droit, un appel ne peut être formé qu’avec l’appel contre le jugement définitif.

Suivant l’article 19, alinéa 1er, du même code, le jugement est définitif dans la mesure où il épuise la juridiction du juge sur une question litigieuse, sauf les recours prévus par la loi.

Pareil jugement a, conformément à l’alinéa 2 de cet article, pour effet que le juge qui l’a rendu ne peut, sauf les exceptions prévues par le Code judiciaire, plus être saisi de la question litigieuse sur laquelle il a épuisé sa juridiction.

En disposant que le juge peut, avant dire droit, à tout stade de la procédure, ordonner une mesure préalable destinée, soit à instruire la demande ou à régler un incident portant sur une telle mesure, soit à régler provisoirement la situation des parties, l’article 19, alinéa 3, du Code judiciaire n’exclut pas que le jugement que rend alors ce juge soit, s’il épuise sa juridiction sur une question litigieuse, un jugement définitif au sens des deux premiers alinéas de cet article et puisse, dès lors, faire l’objet d’un appel immédiat en vertu de l’article 1050, alinéa 1er, du même code.

Le jugement attaqué constate, par référence au jugement d’avant dire droit rendu en la cause le 27 septembre 2018 par le tribunal d’appel, que le demandeur « sollicitait du premier juge qu’il […] désigne un expert judiciaire » tandis que la défenderesse « concluait au non-fondement de la demande d’expertise » et que ce juge « a déclaré la demande d’expertise recevable mais non fondée ».

En considérant que « le premier juge ne s’est ainsi pas prononcé quant à la recevabilité ou au fondement de l’action [du demandeur], la seule question litigieuse qui ait été débattue devant lui étant celle de l’opportunité d’une mesure d’expertise judiciaire », que le jugement entrepris, qui « rejette une telle mesure », « constitue donc bien un jugement d’avant dire droit au sens des articles 19 et 1050 du Code judiciaire, quand bien même cette mesure a fait l’objet d’une contestation entre les parties », et « est donc soumis au retardement de l’appel prévu par l’article 1050, alinéa 2 », de ce code, le jugement attaqué viole les dispositions légales précitées.

L’on sort donc enfin du brouillard, tant l’article 1050, alinéa 2, et l’interprétation de la notion de “décision avant dire droit” ont, depuis l’adoption de la loi pot-pourri I, suscité des controverses.

Dans l’attente d’une analyse approfondie de cet arrêt et si vous souhaitez en savoir plus sur cette problématique, je vous renvoie :

  • au Droit du procès civil – Volume 2, Bibliothèque de l’Unité de droit judiciaire de l’ULB, Anthemis, 2019, pp. 523 et s., sous le n°840 intitulé “Notions de jugement avant dire droit et de jugement définitif : à géométrie variable ?” ;
  • aux slides disponibles ici et, en particulier, aux développements sous le titre “L’appel différé : difficultés d’application”.
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Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles