Déposer une marque liée à un fait d’actualité

Déposer une marque liée à un fait d’actualité semble une tentation irrésistible pour certains.

Dans la foulée des attentats contre Charlie Hebdo, est née l’expression “Je suis Charlie”. Cette expression est devenue l’une des plus utilisées de toute l’histoire de Twitter. On a alors assisté à un drôle de phénomène : des tentatives massives de dépôts de marques pour “Je suis Charlie”. C’était en 2015 (voyez ici).

Quelques temps plus tard, le mouvement des “gilets jaunes” se développait en France. Rebelotte : moult tentatives de dépôts de marques pour l’expression “gilets jaunes” et différentes variantes. Ce qui ne manquerait pas de causer problème, comme je l’ai expliqué ici.

Puis vint le “Brexit”. Bis repetita. La Grande Chambre de Recours de l’EUIPO a même dû être saisie. Sa décision : il n’est légalement pas possible de déposer le terme “Brexit” comme marque, au motif notamment que le public ne verra pas ce terme comme une marque, mais simplement comme un fait d’actualité, un fait historique, une “référence au processus de sortie du Royaume-Uni de l’UE”. Je vous renvoie, pour les détails, ici.

Image par Gerd Altmann de Pixabay

Comme on pouvait le deviner, certains ont remis le couvert avec le coronavirus ou covid-19, qui frappe l’humanité toute entière en ce moment.

L’opération est vraisemblablement spéculative. Elle a, sans doute, pour but de faire du buzz, de surfer sur la vague, de faire un coup… Mais elle a peu de chances de réussir.

En effet, pour pouvoir être protégée, une marque doit être “distinctive”, c’est-à-dire être apte à être perçue par le public comme une marque.

La fonction essentielle d’une marque est de distinguer les produits et services d’une entreprise de ceux d’une autre entreprise. C’est cela le caractère distinctif – condition essentielle et fondamentale de validité d’une marque.

Or, les termes “coronavirus” et “covid-19” ont été tellement utilisés (on en parle tous les jours, partout, à la télévision, sur Twitter, dans la presse écrite ; dans les communiqués de presse gouvernementaux, de l’OMS etc.) que personne ne pourra apercevoir dans ces termes autre chose qu’une référence à une pandémie et à une situation (très) difficile.

Dans ce contexte, on voit mal comment les termes “coronavirus” et “covid-19” pourraient être perçus par quiconque comme une marque (c’est-à-dire comme l’origine commerciale de produits et services).

Ce que la Chambre de Recours de l’EUIPO a dit à propos du “Brexit” vaut exactement de la même façon pour le “coronavirus” ou le “covid-19” : le consommateur ne percevra derrière ces dénominations qu’un évènement d’actualité ou historique, et ne percevra pas une indication de l’origine commerciale spécifique de produits. Je cite de la Chambre de Recours :

“50. La grande chambre de recours estime que puisque les consommateurs connaissaient la signification du mot « Brexit » à la date considérée, à savoir un événement relatif à un processus historique et politique, la marque, qui combine le mot au drapeau du Royaume-Uni, serait perçue par les consommateurs, une fois appliquée sur des cannettes et des bouteilles de boissons, uniquement comme une désignation de cet événement, occultant dès lors toute possibilité qu’elle soit perçue comme une indication de l’origine industrielle ou commerciale spécifique des produits”.

L’avocat en droit des marques que je suis estime donc que les marques “coronavirus” ou “covid-19” n’ont pratiquement aucune chance d’être valablement enregistrées.

D’ailleurs, l’Office Benelux de la Propriété Intellectuelle a déjà publié un communiqué en ce sens, intitulé “Enregistrer une marque liée au coronavirus”.

Dans ce communiqué, l’Office prévient :

“Lorsqu’un évènement d’envergure est fortement médiatisé, comme l’épidémie du coronavirus, sa simple désignation prend vite un caractère descriptif. Un enregistrement de marque qui contient cette description sera donc refusé par nos services. En outre, ce type de demandes peut être jugé contraire à l’ordre public et/ou aux bonnes mœurs.

Vous avez l’intention de déposer une marque qui se réfère au coronavirus ? Sachez que votre demande d’enregistrement a de grandes chances d’être refusée”.

Attention donc avant de déposer une marque en lien avec un fait d’actualité ! Ce n’est pas forcément une bonne idée…

Si vous souhaitez en savoir plus sur le droit des marques, n’hésitez pas à consulter mon article intitulé Droit des marques : comment ça marche ?

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Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles