“NOT MILK” n’est pas une marque valable

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Le 8 mai dernier, le Tribunal de l’Union européenne (TUE) a rendu une décision intéressante à propos d’une demande de marque UE portant sur le signe “NOT MILK” (affaire T‑320/23).

Cette demande de marque UE a été refusée tant par l’examinateur que par la chambre de recours de l’EUIPO.

En cause : le caractère descriptif du signe “NOT MILK” par rapport aux produits visés par la demande de marque, à savoir des succédanés de lait en classe 29 et des jus végétaux en classe 32.

La société déposante (qui – c’est amusant à relever ! – s’appelle “The Not Company”) saisit alors le TUE, en faisant valoir que le signe “NOT MILK” n’est pas descriptif pour des succédanés de lait et des jus végétaux.

Le TUE ne va pas suivre la société déposante et va confirmer le caractère descriptif du signe “NOT MILK” par rapport aux produits concernés.

Marques descriptives : rappel des principes

Pour bien comprendre cette affaire, il est utile de rappeler quelques principes.

En règle, une marque n’est valable que pour certains produits et services (qui doivent être désignés au moment du dépôt).

C’est ce que l’on appelle le principe de spécialité (dont je vous ai, par exemple, déjà parlé ici).

Il existe donc un lien essentiel entre une marque et les produits ou services couverts par celle-ci.

Et dans cette relation, il faut tenir compte d’une autre règle : une marque, pour être valable, ne peut pas décrire les produits ou services qu’elle désigne, ni plus généralement une ou plusieurs caractéristiques de ces produits ou services.

Comme l’explique l’EUIPO dans ses Directives relatives à l’examen, la raison d’être de cette règle “est d’empêcher la création de droits exclusifs sur des termes purement descriptifs que d’autres commerçants pourraient souhaiter utiliser également”.

Par ailleurs, un signe descriptif ne sera pas perçu par le public pertinent comme une marque (c’est-à-dire comme une indication permettant de rattacher les produits ou services à une entreprise en particulier), mais plutôt comme un signe utilisé pour désigner les produits ou services eux-mêmes ; ou pour mettre en avant certaines caractéristiques de ces produits ou services.

Dans mon article Droit des marques : comment ça marche ? (Partie 2), vous trouverez quelques exemples de marques descriptives : Orange ou Apple pour des services de vente de fruits et légumes ; Banque pour des services financiers ; Perle’ pour des vins mousseux ; PAILLETT’ pour des peintures, vernis et enduits…

Il faut encore noter que pour être exclu de la protection, le signe en cause droit être entièrement descriptif.

A l’inverse, si le signe n’est qu’en partie descriptif, celui-ci peut potentiellement constituer une marque valable (mais tout dépendra d’un examen au cas par cas, en tenant compte de l’ampleur et du caractère distinctif des éléments non descriptifs).

Par ailleurs, un signe descriptif peut éventuellement constituer une marque valable s’il est prouvé que ce signe a acquis un caractère distinctif en raison de l’usage qui en a été fait (voyez, à ce sujet, les explications de l’EUIPO dans ses Directives relatives à l’examen).

Si vous souhaitez en savoir plus sur le caractère descriptif, je vous renvoie à mon article Droit des marques : comment ça marche ? (Partie 2), et notamment aux titres suivants :

  • Une marque ne peut pas être descriptive

  • Le caractère descriptif : principes

  • La référence aux produits ou services, mais aussi aux caractéristiques de ceux-ci

  • Pour être exclue, la marque doit être “entièrement” descriptive

  • Pourquoi exclure les marques descriptives ?

  • Le lien avec le caractère distinctif

Au vu de ce qui précède, on comprend mieux l’enjeu de l’affaire “NOT MILK” dont je vous parle aujourd’hui.

En effet, si le signe “NOT MILK” est considéré comme (entièrement) descriptif pour des succédanés de lait et des jus végétaux, alors ce signe ne peut pas constituer une marque valable pour de tels produits.

Le raisonnement du TUE pour conclure au caractère descriptif du signe “NOT MILK”

Le TUE relève que le public pertinent, pour des succédanés de lait et des jus végétaux, est le “consommateur général”.

Ce consommateur général est doté d’un niveau d’attention moyen.

Le TUE ajoute que, dans la mesure où le signe en litige est rédigé en anglais (“NOT MILK”), il faut tenir compte du public anglophone.

Puisqu’il s’agit d’une marque UE, le public anglophone inclut a minima les consommateurs résidant en Irlande, à Malte et dans tous les Etats membres de l’Union européenne où l’anglais est une langue officielle.

Le TUE constate ensuite que le signe en litige est constitué des éléments verbaux “NOT” et “MILK” (disposés de façon verticale, l’un à côté de l’autre ; avec “NOT” écrit en noir et “MILK” en bleu clair).

Le TUE estime que le public pertinent (qui est anglophone) comprendra immédiatement, de façon naturelle et spontanée :

  • la signification de “NOT MILK” (pas du lait / pas de lait) ;

  • le fait qu’il s’agit d’une information pour indiquer que les produits concernés ne sont pas des produits laitiers ou qu’ils ne contiennent pas de lait.

Le TUE ne partage pas le point de vue selon lequel “NOT MILK” serait une expression fantaisiste. En effet, cette expression contient deux mots (“not” et “milk”) qui font partie du vocabulaire de base de la langue anglaise. Par ailleurs, la juxtaposition de ces deux mots n’est pas inhabituelle. En anglais, il est courant de faire suivre le mot “not” d’un nom commun.

Au demeurant, le TUE relève que le consommateur général comprendra, de façon évidente et sans effort cognitif particulier, que “NOT MILK” renvoie à des produits qui ne sont pas des produits laitiers ou qui ne contiennent pas de lait.

Quant à la circonstance que le signe en litige est formulé de façon négative (“NOT MILK”), le TUE estime que ce n’est pas déterminant. En effet :

  • “(…) confronté à un signe qui renvoie à l’absence de lait ou de produits laitiers, apposé sur l’emballage d’une boisson constituant l’un des produits en cause relevant de la classe 29 ou de la classe 32, le public anglophone pertinent comprendra immédiatement et directement ce signe comme un message à caractère informatif relatif à la composition de ladite boisson, selon lequel cette dernière ne contient pas de lait ni de produits laitiers” (§40 de l’arrêt) ; ceci suffit pour retenir le caractère descriptif du signe “NOT MILK” pour des succédanés de lait et des jus végétaux (§41 de l’arrêt);

  • ” (…) le fait que l’expression ‘not milk’ soit perçue comme une information relative à une caractéristique ‘négative’ des produits en cause, c’est-à-dire à un ingrédient qu’ils ne contiennent pas, n’empêche pas qu’il soit descriptif d’une de leurs propriétés facilement reconnaissables (…)” (§42 de l’arrêt) ;

  • “(…) les consommateurs sont de plus en plus enclins à inspecter les emballages des produits alimentaires, pour des raisons diététiques, comme le souhait de suivre une alimentation végétalienne, ou de santé, en présence par exemple d’allergies. Partant, confrontés à l’expression ‘not milk’ apposée sur l’emballage des boissons constituant les produits en cause, ces consommateurs ne seront pas surpris et comprendront qu’il s’agit d’une information sur leur composition” (§45 de l’arrêt).

Sur la base de tout ce qui précède, le TUE considère que le signe verbal “NOT MILK” est descriptif pour des succédanés de lait et des jus végétaux, et que la chambre de recours n’a commis aucune erreur de ce point de vue.

Mais la marque “NOT MILK”, telle que déposée, n’est pas uniquement verbale. Elle comporte également des éléments graphiques. Il s’agit donc d’une marque semi-figurative.

Vient alors la question de savoir si les éléments graphiques permettent de remédier au caractère descriptif.

Le TUE estime que tel n’est pas le cas, dans la mesure où :

  • la police de caractères utilisée pour représenter le signe “NOT MILK” est standard, facilement lisible, et donc insignifiante ;

  • l’utilisation des couleurs (noir pour “NOT” et bleu clair pour “MILK”) n’est ni originale, ni inhabituelle dans le secteur des boissons ;

  • la disposition verticale répond à un besoin fonctionnel (compte tenu de la forme étroite et allongée des emballages).

Le TUE en conclut que la stylisation et les couleurs utilisées ne sont pas susceptibles de détourner l’attention du public pertinent de l’élément le plus important, à savoir “NOT MILK”, qui est descriptif des produits en cause.

La marque telle que déposée est donc jugée descriptive, malgré les éléments graphiques.

Le TUE estime que cette conclusion n’est pas remise en cause par le fait que la société déposante dispose d’autres marques sur le marché qui sont, elles aussi, composées de deux mots disposés verticalement. Le TUE rappelle, en effet, qu’il doit statuer sur la seule marque en litige, sans prendre en compte d’autres marques prétendument similaires dont serait titulaire la société déposante.

D’autres arguments étaient également avancés, mais je ne les commenterai pas ici car ils sont moins intéressants par rapport à ce dont je voulais vous parler aujourd’hui.

Du reste, aucun de ces autres arguments ne sera suivi par le TUE, avec pour conséquence que le recours de la société déposante est intégralement rejeté, et que sa marque “NOT MILK” ne sera donc pas enregistrée (sous réserve d’un éventuel pourvoi devant la CJUE).

Si vous souhaitez lire cette décision intéressante, c’est par ici.

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Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles