Le jugement d’adoption et l’exécution provisoire

Une excellente consœur m’a récemment transmis un jugement du 23 octobre 2014 (Rép. 14/4908) prononcé par le tribunal de la famille de Liège, division Verviers.

Ce jugement est remarquable à plus d’un titre et devrait, à l’évidence, faire l’objet de commentaires dans diverses revues, notamment parce qu’il prononce l’adoption plénière d’un enfant sollicitée par l’ex-compagne de la mère de cet enfant (adoption homosexuelle).

Mais ce qui retient aujourd’hui mon attention n’est pas le volet familial en tant que tel (c’est-à-dire celui de la question de l’adoption homosexuelle), mais le fait que le tribunal de la famille de Liège, division Verviers, ait cru bon assortir son jugement d’adoption de l’exécution provisoire au nom de l’intérêt de l’enfant (!):

“Attendu que dans l’intérêt de l’enfant, il convient d’ordonner l’exécution provisoire du présent jugement”.

Ce motif décisoire est particulièrement interpellant et critiquable.

1) L’exécution provisoire du jugement d’adoption : dans l’intérêt de l’enfant, vraiment?

En dehors de toute considération juridique, on est d’abord dubitatif quant à la justification en opportunité mise en avant par le juge, à savoir qu’il serait dans l’intérêt de l’enfant de prononcer l’exécution provisoire du jugement d’adoption.

Pour comprendre le caractère désuet de cette justification en opportunité, il faut en revenir aux fondamentaux: qu’est-ce que l’exécution provisoire et à quoi sert-elle?

Le régime de l’exécution provisoire peut être très succinctement synthétisé comme suit (pour une analyse plus détaillée, voyez Fr. Lejeune, “L’annulation d’un brevet et l’exécution provisoire, simple question d’opportunité ou véritable interdiction?”, Journal des Tribunaux, 2013, pp. 409 et s.):

  • Tout jugement a, dès son prononcé, vocation a être exécuté.
  • Ceci dit, les voies de recours ordinaires, comme l’appel et l’opposition, suspendent – en règle – l’exécution du jugement définitif (1397 C. jud.). C’est ce que l’on appelle l’effet suspensif des voies de recours ordinaires.
  • En d’autres termes, si un appel ou une opposition est introduite à l’encontre du premier jugement, celui-ci ne peut pas être exécuté avant que l’appel ou l’opposition n’ait été tranché ou vidé.
  • Sauf si… le premier jugement a été assorti de l’exécution provisoire (1398, C. jud.). Dans ce cas-là, ni l’appel ni l’opposition n’auront d’effet suspensif et le premier jugement pourra  être exécuté provisoirement, mais (!) aux risques et périls de celui qui procède à son exécution provisoire (en ce sens que si le premier jugement est réformé ou contredit par la décision rendue en appel ou sur opposition, celui qui aura procédé à l’exécution provisoire sera tenu d’indemniser l’autre partie du préjudice qu’elle aura subi du fait de l’exécution provisoire du jugement, finalement réformé ou contredit).
  • L’objet de l’exécution provisoire est donc de déroger à l’effet suspensif des voies de recours ordinaires.

En l’espèce donc, en accordant l’exécution provisoire, le tribunal de la famille de Liège, division Verviers, autorise ni plus ni moins la partie qui y a intérêt à exécuter provisoirement le jugement d’adoption prononcé, sans attendre le résultat d’un éventuel appel, et ce au nom de l’intérêt de l’enfant.

Je n’aperçois cependant pas en quoi il serait de l’intérêt de l’enfant que ce jugement d’adoption soit exécuté avant qu’un éventuel appel ne soit tranché.

Bien au contraire, imaginons le scénario du pire, à savoir celui où: (i) le jugement d’adoption serait effectivement exécuté, (ii) un appel serait introduit et (iii) l’appel infirmerait l’adoption prononcée par le premier juge.

Dans ce cas, le jugement d’adoption aura été transcrit et l’enfant aura été officiellement adopté, mais il faudra in fine revenir sur cette transcription et cette adoption pour se conformer au dispositif de l’arrêt rendu appel.

Ainsi, grâce à (ou, plus exactement, à cause de) l’exécution provisoire, l’enfant aura, dans ce scénario du pire, été provisoirement adopté, avant de ne plus l’être…

Où réside l’intérêt de l’enfant à être provisoirement adopté pour quelques semaines ou quelques mois? Cela n’a évidemment pas de sens, et impliquerait de nombreuses tracasseries pour revenir sur la transcription de l’adoption réalisée sur pied de l’exécution provisoire.

A mes yeux donc, l’intérêt de l’enfant ne justifie en rien le prononcé de l’exécution provisoire d’un jugement d’adoption rendu en première instance et encore susceptible d’appel (ou d’opposition).

2) Et l’article 1231.18 du Code judiciaire alors?

Ensuite, et bien plus fondamentalement, il faut pointer du doigt l’illégalité commise par le tribunal de la famille de Liège, division Verviers.

L’article 1231.18, al. 1er, du Code judiciaire interdit, en effet, au juge d’assortir de l’exécution provisoire la décision qu’il s’apprête à rendre en matière d’adoption: “Toute décision judiciaire rendue en matière d’adoption ne peut être exécutée si elle fait l’objet ou est encore susceptible d’appel ou de pourvoi en cassation”.

Les travaux préparatoires sont, à ce propos, très tranchants: “l’exécution provisoire d’une décision ne saurait se concevoir en matière d’adoption” (Projet de loi réformant l’adoption, 17 juillet 2001, Doc. 50 1366/001, p. 85).

Intérêt de l’enfant ou pas, le tribunal de la famille de Liège, division Verviers, ne pouvait donc pas prononcer l’exécution provisoire du jugement d’adoption qu’il venait de prononcer.

Il est particulièrement interpellant qu’un juge spécialisé (membre du tribunal de la famille) ait perdu de vue une règle aussi fondamentale, qui est de surcroît inscrite de longue date dans notre arsenal législatif (voyez par exemple A. Le Paige, Précis de droit judiciaire, Les voies de recours, IV, Brussel, Larcier, 1973, p. 89, qui cite déjà l’adoption comme un cas où l’exécution provisoire ne saurait se concevoir).

3) Sans oublier la violation du principe dispositif…

A côté de la méconnaissance de l’article 1231.18, al. 1er, du Code judiciaire, il faut également relever que le tribunal de la famille de Liège, division Verviers, a également violé le principe dispositif.

En effet, aucune des parties n’avait sollicité l’exécution provisoire (ce qui s’explique certainement par le fait que les parties savaient que pareille exécution ne se concevait pas en matière d’adoption).

Or, en octroyant une mesure qu’aucune partie n’avait sollicitée, le tribunal de la famille de Liège, division Verviers, a statué ultra petita, ce qui constitue une violation du principe dispositif

4) … et celle des droits de la défense

Enfin, il me semble également qu’en prononçant l’exécution provisoire de son jugement d’adoption, sans interpeller les parties à ce sujet à l’audience et sans procéder à une réouverture des débats pour entendre les parties sur ce point, le tribunal de la famille de Liège, division Verviers, a (et c’est donc une troisième illégalité) violé le principe des droits de la défense.

5) Conclusion

Le très court motif décisoire “Attendu que dans l’intérêt de l’enfant, il convient d’ordonner l’exécution provisoire du présent jugement” emporte, à lui seul, une triple illégalité:
  • violation de l’article 1231.18  du Code judiciaire;
  • violation du principe dispositif;
  • violation du principe des droits de la défense.

Chacune de ces illégalités pourrait d’ailleurs justifier un appel-nullité devant le juge d’appel sur la base de l’article 1066 du Code judiciaire, afin que celui-ci mette à néant l’exécution provisoire prononcée en violation de la loi ou d’un principe général.

A cet égard, l’on se rappellera, en effet, que la Cour de cassation dans son arrêt C.03.0231.N/1 du 1er juin 2006 a dit pour droit que:

“1. En vertu de l’article 1402 du Code judiciaire, les juges d’appel ne peuvent en aucun cas, à peine de nullité, interdire l’exécution des jugements ou y faire surseoir.  Cette disposition tend à empêcher que le juge d’appel remette en question l’opportunité de l’exécution provisoire accordée en première instance.
2. Cette disposition n’empêche pas que le juge d’appel annule l’exécution provisoire accordée par le premier juge lorsqu’elle n’a pas été demandée , lorsqu’elle n’est pas autorisée par la loi ou encore lorsque la décision a été prise en méconnaissance des droits de la défense.” (je souligne)

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Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles