Le droit d’auteur et l’utilisation d’oeuvres comme preuves en justice

Image par Laurent Verdier de Pixabay

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) vient de prononcer un arrêt intéressant (affaire BY contre CX, C‑637/19), aux termes duquel elle a jugé que transmettre à un tribunal, au titre de preuve en justice, une oeuvre protégée par le droit d’auteur (en l’occurrence, une photo) ne tombe pas sous la notion de communication au public au sens du droit d’auteur.

Autrement dit, le droit de la preuve devant un tribunal reste libre et ne peut pas être entravé par les revendications éventuelles d’un titulaire de droits d’auteur.

Ceci apparait, de prime abord, logique : pour trancher un litige, le tribunal saisi doit pouvoir accéder à tous les éléments de preuve que les parties souhaitent soumettre à ce tribunal – peu importe que ces éléments de preuve soient protégés, ou non, par le droit d’auteur.

A défaut, le droit à un procès équitable et le droit à un recours effectif pourraient être atteints.

Oui mais…

Un justiciable s’était opposé, devant un tribunal suédois, à la production par son adversaire d’un élément de preuve constitué d’un extrait tiré d’une page web sur lequel extrait se trouvait une photo. Se revendiquant titulaire des droits d’auteur sur cette photo, ce justiciable avait reproché à son adversaire de l’avoir utilisée en justice, en contrefaçon de ses droits (et postulait même une indemnisation au titre de cette contrefaçon).

On voit aisément poindre le risque et la dérive : si communiquer une oeuvre en justice (au titre de preuve) revient à communiquer une oeuvre au public au sens du droit d’auteur, il faudrait systématiquement l’autorisation de son adversaire (si ce dernier est le titulaire des droits sur l’oeuvre en question) pour pouvoir produire une reproduction de cette oeuvre devant le tribunal saisi de l’affaire. En d’autres termes : l’autorisation de son adversaire pour pouvoir produire une preuve devant le tribunal saisi de l’affaire. A défaut, le risque serait une condamnation en contrefaçon.

Après diverses hésitations, la juridiction suédoise, saisie en appel, a interrogé la CJUE.

La Cour de justice aborde la question sous deux angles.

La Cour relève d’abord que la notion de “communication au public” au sens du droit d’auteur requiert, comme son nom l’indique, un “public”.

Ce n’est donc pas toute communication qui tombe sous le droit exclusif de l’auteur, mais uniquement les communications “publiques” (ou, plus exactement, à “un public”).

Or, souligne, la Cour, un tribunal n’est pas un “public” au sens du droit d’auteur, c’est-à-dire “un nombre indéterminé de destinataires potentiels”.

Au contraire, un “tribunal” est un “groupe clairement défini et fermé de personnes investies de fonctions de service public au sein d’une juridiction”.

Ce faisant, la communication d’une oeuvre (protégée par le droit d’auteur) à un tribunal ne relève pas de la notion de “communication au public” au sens du droit d’auteur, puisqu’elle vise un nombre de professionnels individuels et déterminés, et non des personnes en général ou un nombre indéterminé de destinataires potentiels.

La Cour relève ensuite qu’en tout état de cause il faut toujours mettre en balance les droits fondamentaux. Ainsi, même si le droit d’auteur est considéré comme un droit fondamental (voy. l’article 17, §2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne), il existe d’autres droits fondamentaux, dont notamment le droit à un recours effectif (article 47 de la même Charte).

Ce droit à un recours effectif implique, entre autres, que :

“Toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues au présent article.

Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. Toute personne a la possibilité de se faire conseiller, défendre et représenter”.

– Article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Or, indique la Cour, ce droit fondamental à un recours effectif “serait sérieusement compromis si un titulaire de droit était en mesure de s’opposer à la communication d’éléments de preuve à une juridiction, au seul motif que ces éléments de preuve contiennent un objet protégé au titre du droit d’auteur” (§33 de l’arrêt).

Sur cette base également (balance entre deux droits fondamentaux), la Cour estime que le titulaire de droits d’auteur ne saurait s’opposer à la communication ou la transmission de preuves à un tribunal par le truchement de ses droit d’auteur.

Moralité : on peut produire devant un tribunal (ou, plus généralement, une juridiction), des preuves en justice, même si celles-ci sont des oeuvres protégées par le droit d’auteur.

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Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles