Conclusions de l’AG: le commerçant qui offre du WI-FI à ses clients n’est pas responsable des faits illicites commis par ses clients

Je vous parle depuis longtemps de l’affaire Mc Fadden, pendante devant la Cour de justice de l’Union européenne.

L’avocat général a – enfin ! – rendu ses conclusions dans cette affaire (mais il faut, évidemment, encore attendre la décision de la Cour de justice).

De quoi s’agit-il?

Comme je l’avais déjà expliqué ici:

  • Il est question d’un commerçant, Monsieur Mc Fadden, qui met à disposition de ses clients une connexion à internet WIFI, accessible gratuitement et sans restriction;
  • L’objectif de Monsieur Mc Fadden est d’augmenter la visibilité de son site internet (et donc celle de son commerce), et in fine d’attirer plus de visiteurs dans son magasin;
  • Le problème c’est que puisque la connexion WIFI offerte par Monsieur Mc Fadden n’est pas protégée, tout le monde peut l’utiliser (les voisins, les passants…) et Monsieur Mc Fadden n’a aucun contrôle sur les informations qui transitent via cette connexion;
  • Monsieur Mc Fadden ne maîtrise donc pas l’utilisation faite par ses clients, par les voisins, par les passants, etc., de la connexion WIFI qu’il met à disposition, et ce qui devait arriver arriva: un fichier musical protégé par le droit d’auteur a transité par la connexion internet de Monsieur Mc Fadden, pour être ensuite mis disposition d’un nombre illimité d’internautes via un site de partage en ligne;
  • Assigné en justice devant les juridictions allemandes, Monsieur Mc Fadden estime ne pas être responsable de cette mise à disposition illégale d’un fichier musical protégé par le droit d’auteur.

Alors responsable ou pas, Monsieur Mc Fadden pour le fait illicite commis par des tiers via sa connexion WIFI ?

Selon l’avocat général Maciej Szpunar : (i) Monsieur Mc Fadden n’est pas responsable pour le fait illicite des tiers commis via sa connexion WIFI; mais… (ii) Monsieur Mc Fadden peut néanmoins se voir imposer une injonction pour faire cesser ce fait illicite des tiers:

« Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par le Landgericht München I (tribunal régional de Munich I) de la manière suivante:

1)      Les articles 2, sous a) et b), et 12, paragraphe 1, de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur («directive sur le commerce électronique»), doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’appliquent à une personne qui exploite, de manière accessoire par rapport à son activité économique principale, un réseau local sans fil avec accès à Internet, ouvert au public et gratuit.

2)      L’article 12, paragraphe 1, de la directive 2000/31 s’oppose à la condamnation d’un prestataire de services de simple transport au titre de toute demande impliquant le constat de sa responsabilité civile. Cet article s’oppose donc à la condamnation du prestataire de tels services non seulement aux dommages et intérêts, mais également aux frais de mise en demeure et aux dépens en rapport avec une atteinte à un droit d’auteur ou à des droits voisins commise par un tiers, en raison des informations transmises.

3)      L’article 12, paragraphes 1 et 3, de la directive 2000/31 ne s’oppose pas à l’adoption d’une injonction judiciaire, passible d’une astreinte.

En adoptant une telle injonction, un juge national est tenu de s’assurer:

–        que les mesures en cause sont conformes à l’article 3 de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle, et, notamment, qu’elles soient effectives, proportionnées et dissuasives;

–        qu’elles sont destinées à faire cesser une violation spécifique ou à la prévenir et n’impliquent pas d’obligation générale en matière de surveillance, conformément aux articles 12, paragraphe 3, et 15, paragraphe 1, de la directive 2000/31, et

–        que l’application de ces dispositions, ainsi que d’autres modalités prévues en vertu du droit national, respecte un juste équilibre entre les droits fondamentaux applicables, en particulier ceux protégés, d’une part, par les articles 11 et 16 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe 2, de celle-ci.

4)      Les articles 12, paragraphe 3, et 15, paragraphe 1, de la directive 2000/31, interprétés au regard des exigences résultant de la protection des droits fondamentaux applicables, ne s’opposent pas, en principe, à l’adoption d’une injonction laissant au destinataire le choix des mesures concrètes à adopter. Il incombe néanmoins au juge national saisi d’une demande d’injonction de s’assurer de l’existence de mesures appropriées, conformes aux limitations résultant du droit de l’Union.

Lesdites dispositions s’opposent à l’injonction, adressée à une personne qui exploite un réseau local sans fil avec accès à Internet, ouvert au public, de manière accessoire par rapport à son activité économique principale, lorsque le destinataire de l’injonction ne peut s’y conformer que:

–        en arrêtant la connexion Internet ou 

–        en la sécurisant par un mot de passe ou 

–        en examinant toutes les communications transmises via cette connexion aux fins de vérifier si l’œuvre en cause protégée par le droit d’auteur n’est pas de nouveau illégalement transmise » (Je souligne).

Les commerçants peuvent donc être (provisoirement) rassurés: même si leurs clients (ou des tiers en général) commettent des actes illicites ou illégaux via leur connexion WIFI (i.e. fait illégal ou illicite d’un tiers), les commerçants ne peuvent pas être tenus responsables pour ces actes illicites ou illégaux émanant de ces tiers… Reste toutefois à attendre l’arrêt de la Cour de justice pour savoir si cette conclusion provisoire est définitivement confirmée.

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Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles