Droits intellectuels : la saisie-contrefaçon ou saisie-description

Introduction

En matière de propriété intellectuelle, il existe une procédure particulière qui permet d’obtenir la preuve de la contrefaçon (c’est-à-dire : de la violation d’un droit de propriété intellectuelle) par un tiers.

C’est ce que l’on appelle la procédure de “saisie-contrefaçon” (ou de “saisie-description”).

Pour faire simple, si vous soupçonnez un concurrent ou un autre opérateur sur le marché de porter atteinte à l’un de vos brevets, à l’une de vos marques, à l’un de vos dessins et modèles, à l’un de vos droits d’auteur (ou à tout autre droit intellectuel visé par la législation), vous pouvez obtenir, via cette procédure, le droit de vous rendre chez ce concurrent ou cet autre opérateur (à son siège social, dans ses locaux, etc.), accompagné d’un expert et d’un huissier de justice, pour trouver des preuves de la contrefaçon.

Et, bien entendu, ce concurrent ou cet autre opérateur ne sera pas mis au courant de votre visite, afin de garantir l’effet de surprise et d’éviter qu’il cache les preuves ou les documents pertinents. C’est pour cela que l’on parle de “saisie”.

Pour obtenir le droit de procéder à une saisie-contrefaçon, il faut saisir le juge sur requête unilatérale (c’est-à-dire que l’autre partie, celle chez qui la saisie sera effectuée, ne sera pas convoquée, et ce précisément en raison du nécessaire effet de surprise).

Cette procédure permet de “faire procéder en tous lieux, par un ou plusieurs experts que désignera ce magistrat, à la description de tous les objets, éléments, documents ou procédés de nature à établir la contrefaçon prétendue ainsi que l’origine, la destination et l’ampleur de celle-ci” (article 1369bis/1, §1er du Code judiciaire).

Le rôle de l’expert désigné par le juge est donc de décrire (d’où aussi le nom de “saisie-description”) ce qu’il trouvera chez le concurrent ou l’autre opérateur (le saisi), afin d’établir la contrefaçon, son origine, sa destination et son ampleur.

Quelles sont les conditions pour obtenir le droit de procéder à une saisie-contrefaçon ?

  • Il faut saisir le juge sur requête unilatérale.
  • Il faut montrer au juge que le droit de propriété intellectuelle dont on soupçonne la contrefaçon par un tiers (le futur saisi) est, selon toutes apparences, valable. Dans le jargon, on parle souvent de validité prima facie.
  • Il faut montrer au juge qu’il existe des indices de contrefaçon ou de menace de contrefaçon du droit intellectuel invoqué. Attention, il ne s’agit que d’indices ! Le but de la saisie-contrefaçon étant précisément d’obtenir des preuves de la contrefaçon, cette exigence d’indices de contrefaçon ne doit pas être entendue de façon trop extensive, sinon cela reviendrait à exiger des preuves de la contrefaçon et donc à priver la procédure de saisie-contrefaçon de son objet.

La procédure est redoutablement efficace car la saisie, dans les locaux de l’adversaire, aura lieu sans qu’il n’en soit au courant. Ce n’est qu’après la saisie qu’il pourra procéder à un recours (tierce-opposition) devant le juge qui a autorisé la saisie-contrefaçon. Mais, entre-temps, la saisie aura quand même eu lieu et la tierce-opposition n’a, en principe, pas d’effet suspensif.

Dans le cadre ce recours ultérieur, la discussion s’engagera souvent sur l’absence de validité prima facie du droit intellectuel invoqué par la partie saisissante et sur l’absence d’indices de contrefaçon.

En matière de brevets, en particulier, la question de la validité ou de l’absence de validité prima facie est assez complexe, car il est souvent difficile de dire – en apparence – qu’un brevet est valable ou non (cela requiert, la plupart du temps, de très longs débats au fond). Une abondante jurisprudence de la Cour de cassation s’est développée sur le sujet de la validité prima facie d’un brevet.

Une fois la saisie-contrefaçon effectuée, que se passe-t-il ?

Pour la partie saisie, il faut examiner s’il y a lieu d’effectuer un recours contre cette saisie, et s’il est possible de contester la validité prima facie du droit intellectuel invoqué par la partie saisissante et/ou de contester les indices de contrefaçon mis en avant par la partie saisissante.

Pour la partie saisissante (le titulaire du droit intellectuel), il faut introduire une action en fond dans un certain délai. A défaut, le résultat de la saisie (consigné dans un rapport) ne pourra plus être utilisé. Ceci s’explique par le fait que la saisie-contrefaçon a pour objet de recueillir des preuves de la contrefaçon. Par conséquent, une fois les preuves recueillies, la partie saisissante doit en faire usage et lancer une procédure au fond (action en contrefaçon ordinaire ou action en cessation).

Le recours de la partie saisie (tierce-opposition) et la procédure introduite au fond par la partie saisissante sur la base des preuves recueillies lors de la saisie (action en contrefaçon ordinaire ou action en cessation) sont donc souvent diligentées en parallèle et s’influencent mutuellement. Il y a donc des décisions stratégiques importantes à prendre pour que ces procédures parallèles ne se gênent pas (ou au contraire, si on est de l’autre côté de la barre, qu’elles se gênent).

Il faut faire appel à un avocat, que l’on soit la partie saisissante ou la partie saisie

Pour la partie qui souhaite procéder à une saisie-contrefaçon, il faut faire appel à un avocat notamment pour examiner votre dossier, vérifier les chances de succès, rédiger la requête (la rédaction est fondamentale, il faut penser à énormément de choses, notamment pour éviter des problèmes d’exécution en lien avec le libellé de l’ordonnance que le juge prononcera), la présenter et la défendre – le cas échéant – devant le juge, etc.

Du point de vue de la partie saisie, il faut immédiatement faire appel à un avocat, dès que l’expert et l’huissier arrivent dans l’entreprise, pour qu’éventuellement l’avocat puisse se rendre sur place et suivre les opérations de saisie.

Puis, l’avocat devra vérifier s’il est utile ou opportun de lancer une tierce-opposition et, si tel est le cas, rédiger l’acte de tierce-opposition et défendre la partie saisie dans le cadre de ce recours.

Enfin, il y aura – normalement – une procédure au fond (puisque la partie saisissante sera obligée d’en introduire une). Là encore, la partie saisie devra avoir un avocat pour se défendre dans le cadre de cette procédure au fond.

En conclusion

La saisie-contrefaçon est un outil extrêmement puissant et efficace pour obtenir la preuve de la contrefaçon qui serait commise par un tiers ; et il ne faut donc pas hésiter à y recourir. Mais c’est une procédure technique qui nécessite de consulter un avocat doté d’une expérience en la matière.

Pour plus d’informations, n’hésitez pas à me contacter et voyez encore ci-après un extrait de la contribution rédigée avec Carl De Meyer et Patricia Cappuyns à propos de la saisie-contrefaçon dans le contexte spécifique des brevets :

“204. Before launching proceedings on the merits, the patentee can file an ex parte request with the President of the Commercial Court to appoint one or more experts to examine the objects or processes that allegedly infringe the patent.

 205. This will allow the patentee to appreciate the strength of his claim in advance of proceedings on the merits, and include in the assessment also information not readily available in the public domain but obtained during the search by the appointed expert.

 206. This information can include details about the origin and the actual scope of an infringement, accounting data on sales and other relevant information found during the saisie (Article 1369bis/1 §1 of the Code of Civil Procedure).

 207. The requirements to obtain the saisie-contrefaçon order are similar to those needed to obtain a preliminary or interlocutory injunction but there is no requirement of urgency (Article 1369bis/1 §3 of the Code of Civil Procedure) : the applicant must show that the patent is prima facie valid and that there are prima facie indications of an infringement.

 208. The patent can be a Belgian patent, the Belgian part of a European patent or even a foreign patent to the extent that the evidence to be obtained is located in Belgium. However, it is unsure whether a foreign patent may be invoked to obtain a real saisie.

 209. As is the case for preliminary injunctions, the burden of proof for the patentee to demonstrate prima facie validity of a patent is relatively low, especially where the Belgian part of a European patent is at stake. However there has been a shift to a more severe approach to prima facie validity in recent years.

 210. The burden to prove prima facie infringement requires an argument from the patentee why the products or processes in question come within the scope of the patent rights.

However, to obtain a description of the alleged infringement, it cannot be required from the patentee to furnish watertight evidence of patent infringement, as the proceedings are precisely designed to collect such evidence for the ensuing proceedings on the merits.

Prima facie evidence of patent infringement or reasonable indications that there is a patent infringement suffices for the purpose of a descriptive saisie-contrefaçon application. However, the Belgian Supreme Court made it clear that the indications of prima facie infringement must exist before the Court grants a saisie-contrefaçon order. Evidence found during the inspection by the expert cannot serve to justify ex post facto (e.g., on appeal) an already granted saisie-contrefaçon order”  (Carl De Meyer, Frédéric Lejeune et Patricia Cappuyns, Global Patent Litigation : Structure and Practice (Belgium Chapter), Kluwer, Août 2016).

J’avais également déjà rédigé sur ce blog un billet en lien avec la saisie-contrefaçon, intitulé Saisie-contrefaçon : la cour d’appel de Gand penche pour la responsabilité objective.

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Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles