Droit d’auteur et oeuvres orales

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Le droit d’auteur protège les oeuvres littéraires et artistiques (entendues dans un sens large), pour autant que ces oeuvres soient mises en forme et qu’elles soient originales.

Mais qu’en est-il des oeuvres (purement) orales ?

Celles-ci peuvent-elles être protégées par le droit d’auteur ?

Sur le plan des principes, la réponse est positive.

La Convention de Berne, en son article 2, indique que sont considérées comme des “oeuvres littéraires et artistiques” susceptibles de protection par le droit d’auteur “les conférences, allocutions, sermons et autres œuvres de même nature”.

Je vous ai d’ailleurs déjà entretenu des oeuvres de ce type dans mon article intitulé Reprise d’un discours et droit d’auteur, contrefaçon ?

On peut également songer aux plaidoiries des avocats et aux improvisations de toutes sortes.

Nul doute donc que les oeuvres orales, c’est-à-dire créées et/ou véhiculées oralement, sont susceptibles de protection par le droit d’auteur.

Cela dit, le caractère oral d’une oeuvre, de même que son caractère improvisé, peuvent, en pratique, poser un sérieux problème de preuve.

Songeons par exemple à la situation suivante. Un humoriste amateur réalise, lors d’un stand-up, une improvisation devant un public réduit d’une trentaine de personnes. L’un des spectateurs enregistre cette improvisation et l’envoie à un artiste déjà célèbre. Cet artiste trouve l’improvisation excellente et décide de la jouer dans ses propres spectacles. L’humoriste amateur aura énormément de difficultés à faire condamner le célèbre artiste pour contrefaçon. En effet, en raison du caractère improvisé et purement oral de sa création, l’humoriste amateur n’aura pas de preuves pour démontrer que c’est lui qui est l’auteur originaire.

Il faut donc distinguer deux points essentiels :

  • D’une part, la possibilité pour une oeuvre orale – c’est-à-dire : créée oralement (comme une improvisation) et/ou véhiculée oralement (comme un discours, une plaidoirie, une chanson, un sketch, un spectacle…) d’être protégée par le droit d’auteur ;
  • D’autre part, la preuve de la création et de l’existence de cette oeuvre orale.

Comme l’écrivent Fernand de Visscher et Benoit Michaux dans leur fameux Précis de droit d’auteur et des droits voisins (Bruxelles, Bruylant 2000, p. 12) :

“Certes la manifestation orale de la pensée est-elle protégée en vertu de l’article 8 §1er de la loi mais quelle œuvre pourra revendiquer son auteur qui ne pourra en produire aucune fixation et donc aucune preuve ? Même si, au plan théorique, la fixation ne parait pas requise, il nous semble qu’elle le sera nécessairement en pratique”.

Confrontée à un justiciable qui prétendait avoir créé oralement un programme d’ordinateur, la cour d’appel de Bruxelles a, dans un arrêt du 19 mars 2015 (A&M, 2015/3-4, pp. 292‑296), rappelé ce qui suit :

“Il soutient avoir verbalement mis en forme les travaux préparatoires de conception de nature à permettre la réalisation d’un programme d’ordinateur.

Le droit d’auteur se contente d’une mise en forme de l’idée.

Il n’exige pas une mise en forme par écrit.

Mais il ne suffit pas d’affirmer l’existence de cette mise en forme verbale, encore faut-il la prouver (…)”.

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Conclusion : lorsque vous créez une oeuvre orale ou que vous véhiculez oralement une oeuvre, ménagez-vous une preuve de votre création, par exemple en faisant enregistrer en live votre prestation orale ou en fixant par écrit le contenu de l’oeuvre que vous communiquez oralement. D’autres modes de preuve sont possibles, mais l’essentiel est de pouvoir prouver votre création ou votre prestation orale.

 

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Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles