Brevet, inventeur et intelligence artificielle

Image par Gerd Altmann de Pixabay 

Comme je vous l’indiquais il y a peu ici, l’Office européen des brevets a refusé la délivrance de deux brevets européens au motif que l’inventeur désigné dans les demandes de brevet était une machine appelée “DABUS”, décrite comme une forme d’intelligence artificielle.

Les références de ces deux demandes de brevets sont les suivantes :

  • EP 18 275 163 
  • EP 18 275 174

Depuis, l’Office européen des brevets a publié les motivations qui ont conduit à ce refus ; et elles sont dignes d’intérêt !

Selon l’Office, et de façon générale, les “non-personnes” n’ont tout simplement pas leur place dans la procédure d’obtention d’un brevet. Or, l’intelligence artificielle n’est pas une “personne” (ni physique, ni morale) ; c’est une “non-personne”.

S’agissant ensuite, plus spécifiquement, de la question de la qualité d’inventeur, la Convention sur le brevet européen ne vise pas n’importe quelle personne, mais uniquement la personne physique (à l’exclusion de la personne morale). Les travaux préparatoires de la Convention sur le brevet européen le confirment. Ceci renforce la position selon laquelle un inventeur en droit des brevets doit absolument être une personne physique.

Historiquement, on a voulu protéger l’inventeur originaire (la personne physique qui a concrètement réalisé une invention). Pour ce faire, la Convention sur le brevet européen lui confère un certain nombre de droits, parmi lesquels le “droit au nom”, c’est-à-dire le droit d’être mentionné comme inventeur dans le texte du brevet. L’inventeur originaire (la personne physique) dispose également du droit de déposer le brevet ; et ce n’est que si cet inventeur originaire transfère ce droit à un tiers que ce tiers peut déposer le brevet à sa place.

L’Office indique ensuite qu’une intelligence artificielle ne peut pas disposer de droits. Elle n’a pas de personnalité juridique. Les personnes physiques ont la personnalité juridique. Les personnes morales ne l’ont que par le truchement d’une fiction juridique. Cette fiction juridique doit être expressément prévue par la loi ou, à tout le moins, reconnue par une jurisprudence constante. Or, en l’espèce, il n’existe aucune loi ni aucune jurisprudence constante qui confère la personnalité juridique à l’intelligence artificielle. L’Office en déduit qu’une intelligence artificielle ne peut pas disposer des droits reconnus à l’inventeur au sens de la Convention sur le brevet européen. Une intelligence artificielle ne peut, dès lors, pas se prévaloir du droit d’être mentionnée, dans un brevet, comme inventeur.

Procédant ensuite à une analyse de droit comparé, l’Office constate que la circonstance qu’un inventeur doit être une personne physique est un “standard” reconnu et applicable internationalement. L’Office se base sur des jurisprudences judiciaires nationales mais également sur des décisions d’offices des brevets en Chine, au Japon, en Corée et aux Etats-Unis.

En réponse à un autre argument qui était invoqué devant lui, l’Office indique également qu’une intelligence artificielle ne peut pas être salariée et qu’elle ne peut pas transférer des droits. Puisqu’une intelligence artificielle n’a pas de personnalité juridique, elle ne peut pas signer un contrat de travail. Dans le même esprit, une intelligence artificielle ne peut pas être propriétaire des résultats de son travail inventif et ne peut pas le céder (puisqu’elle ne peut pas signer de contrat).

L’Office réfute ensuite la comparaison avec les mineurs et leur incapacité à exercer (totalement) leurs droits. Les mineurs ont une personnalité juridique. Ils ont la capacité de jouissance (titularité de droits). Simplement, les mineurs ne peuvent pas exercer (tous) leurs droits personnellement (capacité d’exercice). Tel n’est pas le cas de l’intelligence artificielle : le problème n’est pas une question d’exercice ou de capacité d’exercice, mais plus fondamentalement un problème d’absence de personnalité juridique et donc d’absence de droits.

Pour tous ces motifs, l’Office confirme qu’une intelligence artificielle ne peut pas être mentionnée dans un brevet comme inventeur.

En résumé :

  • Premièrement, tout indique que l’inventeur doit être une personne physique (le texte conventionnel, les travaux préparatoires, la raison d’être…). Or, l’intelligence artificielle n’est pas une personne physique.
  • Deuxièmement, être inventeur confère des droits. Or, l’intelligence artificielle ne pourrait pas disposer de ces droits (ni a fortiori les exercer), puisqu’elle n’a pas de personnalité juridique.

A mon sens, une autre question fondamentale se pose : que faire si toute l’activité inventive est réalisée par l’intelligence artificielle ?

Plus précisément : qui peut déposer un brevet lorsque toute l’activité inventive émane de l’intelligence artificielle ?

Je pense qu’il existe un vrai risque que, dans une telle hypothèse, personne ne puisse déposer un brevet. Ou alors qu’une personne physique soit désignée comme inventeur pour les besoins de la cause (usurpant, par là même, la qualité d’inventeur).

Le droit doit évoluer sur ces questions et si une intelligence artificielle ne peut pas être un inventeur (ce qui peut se comprendre), il faut alors régler la question de savoir qui doit être (ou présumé être) l’inventeur dans l’hypothèse où l’intelligence artificielle est suffisamment autonome pour inventer par elle-même, sans intervention humaine.

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Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles