Bob & Bobette et le Vlaams Belang : analyse du raisonnement de la CJUE

Je vous l’annonçais avant-hier : la Cour de justice de l’Union européenne a rendu son arrêt dans l’affaire Bob et Bobette (C‑201/13).

L’arrêt est intéressant à plus d’un titre.

Quant à la définition de la “parodie”

La Cour de justice indique tout d’abord qu’en l’absence de toute définition de la notion de “parodie” dans la directive 2001/29, il faut se référer au sens habituel de ce terme (point 19 de l’arrêt).

Or, selon la Cour, au sens habituel, la “parodie” présente les caractéristiques suivantes (point 20) :

  • elle évoque une oeuvre existante ;
  • tout en présentant des différences (que la Cour qualifie de “perceptibles”) avec cette oeuvre existante ;
  • elle constitue une manifestation d’humour ou une raillerie.

Cette définition livrée par la Cour de justice reprend la caractéristique structurelle et la caractéristique fonctionnelle de la parodie que l’Avocat général Cruz Villalon avait mises en avant.

Ceci étant, la Cour de justice se démarque nettement de son Avocat général lorsqu’elle précise que l’originalité n’est pas une condition de la parodie (points 21-23) :

 “Il ne ressort ni du sens habituel du terme « parodie » dans le langage courant, ni d’ailleurs, ainsi que le font observer à bon droit le gouvernement belge et la Commission européenne, du libellé de l’article 5, paragraphe 3, sous k), de la directive 2001/29 que cette notion soit soumise aux conditions, évoquées par la juridiction de renvoi dans sa deuxième question, selon lesquelles la parodie devrait présenter un caractère original propre, autre que celui de présenter des différences perceptibles par rapport à l’œuvre originale parodiée, devrait pouvoir raisonnablement être attribuée à une personne autre que l’auteur de l’œuvre originale lui-même, devrait porter sur l’œuvre originale elle-même ou devrait mentionner la source de l’œuvre parodiée.

Cette interprétation n’est pas remise en cause par le contexte de l’article 5, paragraphe 3, sous k), de la directive 2001/29, qui énonce une exception aux droits prévus aux articles 2 et 3 de cette directive et qui doit, dès lors, faire l’objet d’une interprétation stricte (voir, en ce sens, arrêt ACI Adam e.a., EU:C:2014:254, point 23).

En effet, l’interprétation de la notion de parodie doit, en tout état de cause, permettre de sauvegarder l’effet utile de l’exception ainsi établie et de respecter sa finalité (voir, en ce sens, arrêt Football Association Premier League e.a., C‑403/08 et C‑429/08, EU:C:2011:631, point 163)”.

Autrement dit : il suffit que la parodie présente des différences perceptibles par rapport à l’oeuvre parodiée. Il n’est, par contre, pas nécessaire que les éléments de distinction soient, en tant que tels, originaux ; pas plus qu’il n’est nécessaire que la parodie soit, en tant que telle, une oeuvre originale.

Le rejet par la Cour de justice de la condition de l’originalité semble destiné à permettre une interprétation plus large de la notion de parodie.

Autre point intéressant : la Cour de justice ne fait pas de différence entre ce que l’Avocat général avait appelé “les parodies de l’oeuvre antérieure” (la parodie moque l’oeuvre antérieure) et “les parodies au moyen de l’oeuvre antérieure” (la parodie vise à railler un sujet ou un objet tiers). Ces deux types de parodie tombent sous le coup de l’exception de parodie prévue à l’article 5, paragraphe 3, sous k), de la directive 2001/29. Cette précision est très intéressante car jusqu’ici, en droit belge, l’exception de parodie semblait limitée aux parodies de l’oeuvre antérieure, à l’exclusion des parodies au moyen de l’oeuvre antérieure (voy. par ex. A Strowel, « Droit d’auteur et droits voisins », in Les droits intellectuels, 2e éd., Bruxelles, Larcier, 2013, p. 351 ; et A. Berenboom, Le nouveau droit d’auteur – et les droits voisins -, 4e éd., Bruxelles, Larcier, 2008, p. 177).

Quant à la nécessaire balance des droits et intérêts

L’autre aspect intéressant de cette décision (même s’il est assurément plus politique et moins juridique) est celui de l’application de l’exception de parodie.

Peut-on, en toutes circonstances, invoquer la parodie si les caractéristiques structurelle et fonctionnelle de celle-ci sont présentes ?

On s’en doute, la réponse est négative.

La Cour de justice indique, à cet égard, que les exceptions au droit d’auteur prévues par la directive 2001/29 ont pour objectif de maintenir un “juste équilibre” entre (i) les droits et intérêts des auteurs et (ii) les droits et intérêts des utilisateurs des oeuvres protégées par des droits d’auteur (point 26). Et en particulier, l’exception de parodie permet de garantir la liberté d’expression ou d’opinion des utilisateurs des oeuvres protégées (point 25).

Mais, dit la Cour, il faut vérifier in concreto si le juste équilibre entre les droits et intérêts de chacun (c’est-à-dire du parodiste et du parodié) est assuré (point 28).

En d’autres termes :

  • l’exception de parodie a pour but  de garantir la liberté d’expression de l’auteur de la parodie ;
  • mais cette exception n’est pas absolue : si le parodiste exagère et porte démesurément ou inutilement atteinte aux droits et intérêts du parodié, l’exception de parodie pourrait ne pas s’appliquer.

Et c’est là où l’on voit poindre la dimension politique de cet arrêt. Après avoir rappelé que c’est au juge national d’apprécier si ce juste équilibre entre les droits et intérêts du parodiste et du parodié est respecté, la Cour de justice dicte de façon à peine voilée à la Cour d’appel de Bruxelles la solution à laquelle elle doit arriver (points 29-31) :

“Ainsi, s’agissant du litige dont est saisie la juridiction de renvoi, il y a lieu de relever que, selon Vandersteen e.a., dès lors que, dans le dessin en cause au principal, les personnages qui, dans l’œuvre originale, ramassaient les pièces de monnaie jetées ont été remplacés par des personnes voilées et de couleur, ce dessin transmet un message discriminatoire ayant pour effet d’associer l’œuvre protégée à un tel message.

Si tel est effectivement le cas, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier, il y a lieu de rappeler l’importance du principe de non-discrimination fondée sur la race, la couleur et les origines ethniques, ainsi que ce principe a été concrétisé par la directive 2000/43/CE du Conseil, du 29 juin 2000, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique (JO L 180, p. 22), et confirmé, notamment, à l’article 21, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

 Or, dans ces conditions, des titulaires de droits prévus aux articles 2 et 3 de la directive 2001/29, tels que Vandersteen e.a., ont, en principe, un intérêt légitime à ce que l’œuvre protégée ne soit pas associée à un tel message”.

En language clair : s’il était avéré que le dessin produit par le Vlaams Belang (i) transmet un message de discrimination fondé sur la race et (ii) a pour effet d’associer l’oeuvre Bob et Bobette à ce message, la Cour d’appel de Bruxelles doit rejeter l’application de l’exception de parodie.

Conclusion

Une parodie (i) évoque une oeuvre existante (ii) tout en présentant des différences perceptibles avec cette oeuvre existante et ce (iii) dans un but humoristique ou de raillerie (peu importe que la parodie concerne l’oeuvre parodiée ou un objet ou sujet tiers).

Une parodie ne doit pas être originale. Il suffit qu’elle se distingue de façon “perceptible” de l’oeuvre existante.

L’exception de parodie ne pourra s’appliquer que si elle permet d’assurer un “juste équilibre” entre les droits du parodiste et du parodié.

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Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles