La notion d’intermédiaire clarifiée par l’arrêt Tommy Hilfiger (C-494/15)

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Introduction

Je vous ai déjà parlé de l’affaire Tommy Hilfiger (C-494/15) ici.

La question qui s’est posée, à l’occasion de cette affaire, est :

  • celle de savoir si la personne qui, sur une place de marché ou dans des halles, met des stands à la disposition de vendeurs individuels peut être considérée comme un intermédiaire au sens de l’article 11 de la Directive 2004/48 ;
  • et donc, in fine, celle de savoir si cette personne qui met des stands à disposition peut (en raison de sa qualité d’intermédiaire au sens de l’article 11 de la Directive 2004/48) se voir imposer une injonction s’il s’avère que les vendeurs qui utilisent les stands vendent des contrefaçons.

Pour rappel, le législateur européen a prévu la possibilité d’obtenir une injonction à l’encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par des tiers pour porter atteinte à un droit intellectuel, dès lors que les intermédiaires sont, bien souvent, les mieux placés pour empêcher une contrefaçon de survenir ou de se poursuivre via leurs services.

Cette possibilité est prévue aux articles 9 et 11 de la Directive 2004/48 :

  • “(…) une ordonnance de référé peut également être rendue, dans les mêmes conditions, à l’encontre d’un intermédiaire dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit de propriété intellectuelle (…)” ;
  • “(…) Les États membres veillent également à ce que les titulaires de droits puissent demander une injonction à l’encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit de propriété intellectuelle (…)”.

La décision de la Cour de justice

Dans son arrêt du 7 juillet 2016, la Cour de justice a répondu par l’affirmative à la double question qui lui était posée.

Oui la personne qui, sur une place de marché ou dans des halles, met des stands à la disposition de vendeurs individuels peut être considérée comme un intermédiaire au sens de l’article 11 de la Directive 2004/48 et oui elle peut se voir imposer une injonction :

“1)      L’article 11, troisième phrase, de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle, doit être interprété en ce sens que relève de la notion d’« intermédiair[e] dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit de propriété intellectuelle », au sens de cette disposition, le locataire de halles de marché qui sous-loue les différents points de vente situés dans ces halles à des marchands, dont certains utilisent leur emplacement pour vendre des marchandises contrefaisantes de produits de marque.

2)      L’article 11, troisième phrase, de la directive 2004/48 doit être interprété en ce sens que les conditions auxquelles est subordonnée l’injonction, au sens de cette disposition, adressée à un intermédiaire qui fournit un service de location de points de vente dans des halles de marché, sont identiques à celles, relatives aux injonctions pouvant être adressées aux intermédiaires sur une place de marché en ligne, énoncées par la Cour dans l’arrêt du 12 juillet 2011, L’Oréal e.a. (C‑324/09, EU:C:2011:474)”.

Dans cet arrêt, la Cour de justice :

  • rappelle l’interprétation large de la notion d’intermédiaire dont “les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit de propriété intellectuelle” (à propos de cette interprétation large, voyez ici le Rapport de la Commission à propos de l’application de la directive 2004/48/CE (du 22 décembre 2010, réf. COM(2010), 779 final) ;
  • précise, par ailleurs, que la seule question à se poser pour pouvoir qualifier un opérateur économique d’intermédiaire est celle de savoir si cet opérateur “fournit un service susceptible d’être employé par une ou plusieurs autres personnes pour porter atteinte à un ou à plusieurs droits de propriété intellectuelle, sans qu’il soit nécessaire qu’il entretienne une relation particulière avec cette ou ces personnes” (§23) ;
  • confirme qu’il n’y a pas lieu de réserver un sort différent aux intermédiaires selon qu’ils opèrent en ligne ou dans le monde physique : “la circonstance que la mise à la disposition de points de vente concerne une place de marché en ligne ou une place de marché physique, telle que des halles de marché, est sans incidence à cet égard. En effet, il ne ressort pas de la directive 2004/48 que le champ d’application de celle-ci soit limité au commerce électronique. Par ailleurs, l’objectif, énoncé au considérant 10 de cette directive, d’assurer un niveau de protection élevé, équivalent et homogène de la propriété intellectuelle dans le marché intérieur, serait substantiellement affaibli si l’opérateur qui fournit à des tiers un accès à une place de marché physique, telle que celle en cause au principal, sur laquelle ces tiers proposent à la vente des marchandises contrefaisantes de produits de marque, ne pouvait se voir adresser les injonctions visées à l’article 11, troisième phrase, de ladite directive” (§29).

Question non tranchée par la Cour de justice

La Cour de justice ne répond cependant pas à la question de savoir si certains autres opérateurs économiques, dont le lien entre (i) les services qu’ils fournissent et (ii) les activités contrefaisantes des tiers est plus ténu ou moins direct (à l’instar d’un fournisseur d’électricité), peuvent être qualifiés d’intermédiaires au sens de l’article 11 de la Directive 2004/48, et peuvent donc se voir imposer une injonction :

“Sans qu’il soit besoin de déterminer si d’autres prestataires de services, tels que ceux, mentionnés à titre d’hypothèse dans la décision de renvoi, fournissant de l’électricité aux contrevenants, entrent dans le champ d’application de l’article 11, troisième phrase, de la directive 2004/48, (…)” (§28).

Toutes les questions ne sont donc pas encore résolues en la matière.

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Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles