Intermédiaires, droits intellectuels et injonctions : l’affaire Tommy Hilfiger (C-494/15)

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Introduction

En matière de droits de propriété intellectuelle, la Directive 2004/48 prévoit des recours au profit des titulaires de droits à l’encontre des intermédiaires :

Article 9 :

Les Etats membres veillent à ce que les autorités judiciaires compétentes puissent, à la demande du requérant (…) rendre à l’encontre du contrevenant supposé une ordonnance de référé visant à prévenir toute atteinte imminente à un droit de propriété intellectuelle, à interdire, à titre provisoire et sous réserve, le cas échéant, du paiement d’une astreinte lorsque la législation nationale le prévoit, que les atteintes présumées à ce droit se poursuivent, ou à subordonner leur poursuite à la constitution de garanties destinées à assurer l’indemnisation du titulaire du droit ; une ordonnance de référé peut également être rendue, dans les mêmes conditions, à l’encontre d’un intermédiaire dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit de propriété intellectuelle ; les injonctions à l’encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin sont couvertes par la directive 2001/29/CE” (je souligne).

Article 11 :

“(…) Les États membres veillent également à ce que les titulaires de droits puissent demander une injonction à l’encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit de propriété intellectuelle, sans préjudice de l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29/CE” (je souligne).

Si le droit intellectuel en cause est un droit d’auteur, il faut s’en référer à la Directive 2001/29 (“Directive société de l’information”), laquelle prévoit en son article 8 (3) une disposition similaire :

“Les États membres veillent à ce que les titulaires de droits puissent demander qu’une ordonnance sur requête soit rendue à l’encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin(je souligne).

Concrètement : a côté des mesures et des injonctions qui peuvent être directement obtenues à l’encontre du contrefacteur, il est également possible d’obtenir des mesures et des injonctions à l’encontre d’un ou plusieurs intermédiaires.

Quels intermédiaires ?

Les articles 9 et 11 de la Directive 2004/48 le précisent : les intermédiaires  dont “les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit de propriété intellectuelle”.

La notion d’intermédiaires est en principe très large, comme l’a confirmé le Rapport de la Commission à propos de l’application de la directive 2004/48/CE (du 22 décembre 2010, réf. COM(2010), 779 final), qui peut être consulté ici :

La directive interprète de manière très large la notion d’ « intermédiaires », pour inclure tous les intermédiaires « dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit de propriété intellectuelle ». Cela implique que même les intermédiaires qui n’ont aucun lien contractuel ni aucune relation avec le contrevenant sont soumis aux dispositions prévues par la directive.

(…)

Les intermédiaires qui transportent des marchandises soupçonnées d’enfreindre les droits de propriété intellectuelle (tels que les transporteurs, les transitaires ou les agents maritimes) peuvent jouer un rôle crucial dans le contrôle de la diffusion de marchandises portant atteinte aux droits de propriété intellectuelle. Les plates-formes internet telles que les marchés en ligne ou les moteurs de recherche peuvent aussi jouer un rôle essentiel dans la réduction du nombre d’infractions, par le biais notamment de mesures de prévention et de politiques de «notification et retrait».

Les fournisseurs de services internet influencent également de manière fondamentale la manière dont fonctionne l’environnement en ligne. Ils fournissent l’accès à l’internet et relient entre eux les réseaux, hébergent les sites web et les serveurs. En tant qu’intermédiaires entre tous les utilisateurs de l’internet et les titulaires de droits d’auteurs, ils se retrouvent souvent dans une situation compromettante en raison des actes illégaux commis par leurs clients. C’est pourquoi la législation de l’UE contient déjà des dispositions spécifiques limitant la responsabilité des fournisseurs de services internet dont les services sont utilisés pour porter atteinte à un droit de propriété intellectuelle” (je souligne).

Pourquoi les intermédiaires ?

Parce qu’ils sont parfois (et même souvent) les mieux placés pour empêcher une contrefaçon de survenir ou de se poursuivre via leurs services.

Agir contre un intermédiaire est plus facile (car ils sont identifiables, alors que les contrefacteurs ne le sont pas toujours) ; moins coûteux (que de poursuivre tous les contrefacteurs séparément et individuellement) ; et souvent plus proportionné et efficace.

L’affaire Tommy Hilfiger (C-494/15)

Dans le cadre de l’affaire Tommy Hilfiger, la question qui se pose est celle de savoir si la personne qui met, sur un marché, des stands à la disposition de vendeurs individuels peut être considérée comme un intermédiaire au sens de l’article 11 de la Directive 2004/48.

En d’autres termes, cette personne qui met des stands à disposition peut-elle se voir imposer une injonction s’il s’avère que les vendeurs qui utilisent les stands vendent des contrefaçons ?

Les questions préjudicielles adressées à la Cour de justice sont formulées comme suit :

“1) Le locataire d’une place de marché qui met à la disposition des différents marchands des stands et des emplacements sur lesquels les stands peuvent être implantés est-il un intermédiaire dont les services sont utilisés par des tiers pour porter atteinte à un droit de propriété intellectuelle au sens de l’article 11 de la directive 2004/48 ?

2) Le locataire d’une place de marché qui met à la disposition des différents marchands des stands et des emplacements sur lesquels les stands peuvent être implantés peut-il se voir imposer les mesures visées à l’article 11 de la directive 2004/48, dans les mêmes conditions que celles formulées par la Cour [dans l’arrêt du 12 juillet 2011, L’Oréal e.a., C‑324/09, EU:C:2011:474] en vue d’imposer lesdites mesures aux exploitants d’une place de marché en ligne ?”.

La réponse que la Cour de justice apportera à ces question sera intéressante car c’est, à ma connaissance, la première fois que la Cour de justice est saisie à propos d’intermédiaires dans un contexte physique (et non digital).

Affaire à suivre donc…

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Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles