Jeu vidéo et droit d’auteur : quid du streaming ?

Photo de Fredrick Tendong sur Unsplash

Le monde des jeux vidéo m’intéresse, comme je vous l’expliquais dans mon article relatif au phénomène de l’abandonware.

Le jeu qui m’a le plus occupé ces derniers temps est The Legend of Zelda : Breath of the Wild, sur Nintendo Switch.

Quel open world magnifique !

Quand on prend la mesure de la richesse de ce jeu et, en particulier, de ses lieux et paysages, on se dit qu’il s’agit là d’un travail créatif de titan. Le développement a dû être très long et nécessiter de nombreuses ressources.

Aujourd’hui, je voudrais revenir avec vous sur une question que l’on m’a posée récemment : est-il légal de diffuser ses sessions de jeux vidéo sur Internet (par ex. via Twitch ou YouTube) ?

En droit belge, la réponse est, a priori, négative

En effet, si un jeu vidéo est protégé par le droit d’auteur, il est interdit de le reproduire et de le communiquer au public.

Or, enregistrer une session de jeu vidéo, c’est reproduire le jeu vidéo (en tout cas, les éléments de ce jeu vidéo qui sont visibles à l’écran, comme les personnages, les décors, les paysages, les dialogues, l’intrigue, le déroulé du jeu, les animations et séquences vidéo … ; même chose pour la partie audible, comme les musiques).

Et diffuser cet enregistrement sur Internet, cela revient à communiquer le jeu vidéo au public (peu importe que cette diffusion soit en direct ou à la demande).

Il n’est, d’ailleurs, pas nécessaire de jouer à l’entièreté du jeu, ni de diffuser l’entièreté du jeu, pour conclure à l’existence d’une reproduction et d’une communication au public au sens du droit d’auteur. Une (très) courte session de jeu peut également être problématique en droit d’auteur ! (voyez, à ce sujet, l’arrêt Infopaq de la CJUE, C-5/08, en matière de reproduction partielle d’articles de presse)

Et même pour aller plus loin : la simple diffusion en ligne d’une image (fût-elle fixe) de Mario, de Link, de Crash Bandicoot, de Sépiroth ou de Jill Valentine implique déjà une reproduction et une communication au public d’un personnage imagé, protégé par le droit d’auteur.

Diffuser en ligne une session de jeu vidéo (même si cette session est très courte), c’est donc reproduire et communiquer au public ce jeu vidéo, ce qui est strictement interdit … sauf autorisation du titulaire des droits sur le jeu vidéo.

Pour échapper au droit d’auteur, il faudrait soit (i) prouver que le jeu vidéo n’est pas protégé, soit (ii) se baser sur une exception au droit d’auteur.

Comme je l’écrivais ici, l’absence de protection d’un jeu vidéo restera, en principe, une hypothèse assez rare, vu les nombreuses composantes constituant un tel jeu (graphiques, scénaristiques, audiovisuelles …).

Quant aux exceptions au droit d’auteur, je n’en connais pas de spécifique pour la diffusion en ligne de sessions de jeux vidéo. Et je ne vois, a priori, aucune des exceptions existantes (courte citation, but d’information, illustration de l’enseignement …) s’appliquer à cette hypothèse.

Attention, il n’est pas exclu qu’au-delà du droit belge, de telles exceptions existent dans des législations étrangères. Cela pourrait avoir un impact, en cas de litige, selon la détermination de la loi applicable.

Du droit à la pratique…

A la lecture de ce qui précède, la conclusion semble imparable : le droit d’auteur s’applique dans toute sa rigueur au joueur qui enregistre et diffuse en ligne ses sessions de jeux vidéo ; et celui-ci doit, à peine de commettre des actes de contrefaçon, solliciter l’autorisation préalable des éditeurs de jeux vidéo (ou autres ayants droit).

Pourtant, en pratique, la plupart des joueurs qui diffusent leurs parties en ligne ne sollicitent pas une telle autorisation ; et les éditeurs, quant à eux, ferment généralement les yeux sur ces diffusions non autorisées.

La principale raison est économique : lorsque des joueurs très célèbres sur les plateformes de streaming jouent à un jeu vidéo, c’est une source de publicité inestimable et extrêmement efficace. Et cette publicité est totalement gratuite !

Même chose, du reste, pour les joueurs moins connus, l’essentiel résidant dans l’effet boule de neige : plus on joue à un jeu vidéo, plus on en parle, plus cela donne envie à d’autres d’y jouer et donc plus cela fait vendre.

Il y a cependant des éditeurs qui sont plus regardants que d’autres et qui requièrent régulièrement la mise hors ligne des contenus non autorisés.

Il est, enfin, intéressant de noter que certains opérateurs édictent des règles sur ce qui est acceptable ou non. Ainsi, par exemple, selon Nintendo :

“We encourage you to use Nintendo Game Content in videos and images that feature your creative input and commentary. For example, Let’s Play videos and video game reviews are within the scope of the Guidelines. However, you may not simply upload or livestream an existing Nintendo video, gameplay footage without your own creative input, or a copy of content created by someone else. For example, mere copies of Nintendo promotional trailers, tournaments, music soundtracks, gameplay sequences, and art collections are outside the scope of the Guidelines”.

Des conditions similaires sont prévues par SEGA.

Quelques chiffres pour terminer !

En 2020, les contenus “jeux vidéo” sur YouTube ont représenté 100 milliards d’heures de visionnage; et il y avait, pour la même période, plus de 40 millions de chaînes actives dédiées au “gaming” (voyez https://blog.youtube/news-and-events/youtube-gaming-2020/).

Le phénomène n’est donc pas marginal, loin de là …

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Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles