Caméras cachées et droit d’auteur

Image par Joseph Redfield Nino de Pixabay 

Jean-Yves Lafesse, Raphaël Mezrahi, Laurent Baffie, Pascal Sellem, François Damiens et plus récemment Greg Guillotin, je dois dire que j’apprécie les caméras cachées.

Mais quel est leur sort en droit d’auteur ?

Sont-elles susceptibles de protection ?

Bien entendu, la réponse à cette dernière question est largement affirmative. Mais cette réponse appelle de multiples nuances, d’une part, en fonction de ce que l’on entend par “caméra cachée” et, d’autre part, en fonction de la personne qui pourrait revendiquer une protection (le comédien vs. le piégé).

Les caméras cachées : une réalité plurielle

Les caméras cachées (aussi appelées “cam cach”, “caméras invisibles” ou encore “caméras discrètes”) sont des programmes audiovisuels dans lesquels des personnes sont filmées à leur insu, alors qu’elles sont en train d’être piégées par un ou plusieurs comédiens, le plus souvent dans une situation improbable et/ou humoristique.

Il arrive parfois que la situation ne soit pas (du tout) humoristique pour les personnes piégées (comme par exemple, dans les épisodes du “Pire gendre” de Greg Guillotin) ; mais l’intérêt du programme réside toujours dans les réactions spontanées des personnes piégées – ces réactions pouvant se révéler amusantes même lorsque les personnes piégées sont confrontées à une situation difficile.

Au-delà de ce qui précède, il faut constater que les caméras cachées renvoient à une réalité plurielle.

Du micro-trottoir improvisé de Jean-Yves Lafesse au piège de plusieurs heures, totalement scénarisé, de Greg Guillotin, il y a évidemment de nombreuses différences.

Et entre ces deux extrêmes, il existe une multitude de sortes de caméras cachées, plus ou moins spontanées ou, au contraire, scénarisées.

Les micro-trottoirs improvisés

Un micro-trottoir improvisé peut s’apparenter à une oeuvre orale, et même à une oeuvre d’improvisation.

Or, les oeuvres orales, tout comme les improvisations, sont susceptibles de protection par le droit d’auteur. La protection effective dépendra de l’originalité de l’oeuvre orale improvisée (ce qui doit être examiné au cas par cas).

Une spécificité intéressante à relever ici est le cumul entre le droit d’auteur et le droit voisin de l’artiste interprète exécutant. En effet, dans un micro-trottoir totalement improvisé, le comédien qui improvise est à la fois celui qui crée l’oeuvre et celui qui l’interprète (puisque la création et l’interprétation sont simultanées).

Comme je l’explique dans mon ouvrage Le droit d’auteur en questions :

“Celui qui improvise, par exemple, une chanson ou un sketch, devant un public est à la fois en train de créer une œuvre et de l’interpréter. Il sera donc à la fois auteur et artiste interprète ou exécutant, et pourra revendiquer tant des droits d’auteur que des droits voisins. Il faut donc certes distinguer, sur les plans conceptuel et juridique, la création et l’interprétation de l’œuvre, car ces deux actes déclenchent des protections et des droits différents qui ne naissent pas forcément dans le chef de mêmes personnes. Mais, dans les faits, il est tout à fait possible que ces deux actes soient concomitants”.

 – F. Lejeune, Le droit d’auteur en questions, Anthemis, 2022, p. 63.

Les pièges totalement scénarisés

Les pièges totalement scénarisés ressemblent davantage à une pièce de théâtre ou à un film.

Ainsi, par exemple, le comédien Ted Etienne a révélé que, pour le piège du “Pire Gendre” auquel il a participé, il avait reçu 72 pages de scénario (voyez “A Table Les Copains #7 – Ted Cuisine Greg Guillotin”).

Schématiquement donc, dans le cas d’un piège totalement scénarisé, il y aura, d’une part, l’auteur du scénario et, d’autre part, les comédiens qui devront jouer ce scénario.

Les droits d’auteur reviendront à l’auteur du scénario; et les droits voisins aux comédiens.

Bien entendu, il peut aussi arriver que l’auteur du scénario tienne un rôle de comédien dans le piège. Dans une telle hypothèse, cet auteur à la double casquette bénéficiera aussi d’un cumul de droits (droits d’auteur + droits voisins).

Il me semble que c’est précisément le cas de Greg Guillotin.

Greg Guillotin est co-auteur du scénario de chaque piège du “Pire stagiaire” et du “Pire gendre” (avec David Tuil) et, en même temps, il joue, en qualité de comédien, le rôle principal dans ces pièges.

Ce faisant, Greg Guillotin peut cumuler droits d’auteur et droits voisins. Ce qui ne sera pas le cas des autres comédiens qui jouent le scénario sans l’avoir écrit, et qui pourront donc uniquement prétendre à des droits voisins.

Le comédien vs. le piégé

Comme nous venons de le voir, le comédien qui intervient dans une caméra cachée pourra, la plupart du temps, revendiquer une protection par le droit d’auteur et/ou par le droit voisin.

Des nuances peuvent cependant exister : le comédien qui n’a qu’un rôle de simple figurant ne bénéficiera ni de la protection par le droit d’auteur, ni de celle par le droit voisin.

Mais qu’en est-il du piégé ? Celui-ci peut-il prétendre à une protection par le droit d’auteur et/ou par le droit voisin ?

La réponse est négative.

En effet, par définition, le piégé ne sait pas qu’il participe à un canular (il en va de la réussite de la caméra cachée !).

Le piégé réagit donc spontanément, comme il réagirait dans la vie de tous les jours ; et il ne cherche ni à créer une oeuvre, ni à l’interpréter.

Or, à défaut de création, le droit d’auteur est exclu.

A défaut d’interprétation, le droit voisin est, lui aussi, exclu. Comme je l’explique dans mon ouvrage Le droit d’auteur en questions :

“Être soi-même face à la caméra ou simplement participer à un jeu télévisé, ce n’est, en principe, pas interpréter une oeuvre. Même chose pour la personne piégée dans une caméra cachée. Ainsi, par exemple, aucun des piégés de ‘François l’Embrouille’ ne peut prétendre à un droit voisin”.

– F. Lejeune, Le droit d’auteur en questions, Anthemis, 2022, p. 71.

Si les personnes piégées ne peuvent prétendre ni à une protection par le droit d’auteur ni par le droit voisin, il n’en reste pas moins qu’en vertu de leur droit à l’image, leur autorisation sera nécessaire pour la diffusion (et, plus généralement, pour l’exploitation) du piège dans lequel elles apparaissent. Il ne faut donc surtout pas négliger le droit à l’image de la personne piégée (même s’il s’agit là d’un question distincte de celle de la propriété intellectuelle).

Le “film” de la caméra cachée

En dehors du piège lui-même qui peut constituer une oeuvre en tant que telle, il faut également évoquer le “film” de la caméra cachée.

La plupart du temps, en effet, le ou les pièges vont être montés et retravaillés, à l’instar d’autres oeuvres audiovisuelles (reportages, documentaires, séries, courts ou longs métrages …).

Cela aboutira à ce que j’appelle le “film” de la caméra cachée.

Exemple : pour un seul piège de “François L’Embrouille”, François Damiens tourne, en général, de nombreuses heures avec beaucoup de personnes différentes. A l’issue de ces prises d’image, ne sont retenus que des extraits, pour un total de quelques minutes. Ces morceaux choisis sont montés dans un certain ordre (un épisode de “François L’Embrouille” montre, en général, plusieurs piégés en alternance). De la musique et des jingles sont également ajoutés. Tout ceci constitue le “film” d’un épisode.

Toute personne physique ayant collaboré créativement à la réalisation de ce “film” pourra revendiquer des droits d’auteur sur celui-ci. L’on songe, en premier lieu, au réalisateur du “film”, mais d’autres intervenants pourraient également se voir reconnaître des droits d’auteur selon les cas.

En droit belge, il peut être fait référence à l’article XI.179 du Code de droit économique en matière d’oeuvres audiovisuelles :

Etant ici rappelé que la liste des co-auteurs potentiels d’une oeuvre audiovisuelle n’est pas arrêtée limitativement par cet article XI.179.

D’autres pourraient donc revendiquer des droits d’auteur sur le “film” d’une caméra cachée, à condition de prouver leur apport créatif en droit d’auteur.

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Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles