Abandonware ou le logiciel abandonné, qu’en est-il en droit d’auteur ?

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Introduction

Les jeux vidéo m’ont, pour autant que je m’en souvienne, toujours passionné.

Depuis peu, je m’intéresse au retro gaming, arpentant les commerces bruxellois spécialisés en la matière ; et allant même parfois un peu plus loin.

Effectuant quelques recherches en ligne sur le retro gaming, je suis tombé sur des sites d’abandonware et – déformation professionnelle faisant – je me suis demandé si l’abandonware était légal et plus globalement ce qu’il advenait des droits d’auteur dans ce cas-là.

Ensuite de quoi, je me suis dit que j’écrirais un petit article pour vous résumer la situation.

Abandonware ou logiciel abandonné, kézako ?

Le terme “abandonware” est utilisé pour désigner un logiciel (le plus souvent : un jeu vidéo) qui n’est plus exploité commercialement et qui ne fait plus l’objet de support et/ou de mise à jour :

  • “Abandonware is software that is no longer being sold or supported by its author, copyright owner, or licensed distributor” (Aaron Schwabach, Internet and the Law : Technology, Society, and Compromises, 2nd Edition, 2014) ;
  • “Abandonware is a term used to describe computer software that is no longer sold or supported, or whose copyright ownership may be unclear for various reasons” (Frederic P. Miller, ‎Agnes F. Vandome, ‎John McBrewster, Abandonware : Computer software, Copyright, Office suite, Public domain, List of commercial video games released as freeware, Orphan works, 2009) ;
  • “Finally, abandonware enthusiasts collect and distribute software (especially gaming software) that is no longer published commercially” (Eric Goldman, The Challenges of Regulating Warez Trading, disponible sur http://eric_goldman.tripod.com/) ;
  • “Abandonware refers to games which are effectively out-of-print and unavailable, games which companies have ‘abandoned'” (Stephen Granade, Abandonware, disponible sur http://brasslantern.org) ;
  • “L’abandonware consiste à proposer en libre téléchargement d’anciens jeux qui ne sont plus disponibles dans le commerce à ce jour, et ce, depuis longtemps, et dont le service après-vente a été lui aussi abandonné” (Définition proposée par le site http://www.abandonware-france.org/).

On fait ce qu’on veut avec un abandonware ?

Eh non !

On ne fait pas ce qu’on veut avec un abandonware, car un abandonware est avant tout un logiciel ou un jeu vidéo.

Or :

  • Il est incontestable que les logiciels et les jeux vidéo sont protégeables par le droit d’auteur.
  • Très concrètement, cela veut dire que leur durée de protection s’étend potentiellement jusqu’à 70 ans après la mort de leur auteur.
  • 70 ans (après la mort de l’auteur) c’est très long… aussi, il est peu probable, au vu de la date d’apparition des ordinateurs, qu’en 2017 des logiciels (et a fortiori des jeux vidéo) soient déjà passés dans le domaine public.
  • Par ailleurs, quand on visite le site http://www.abandonware-france.org/, on s’aperçoit que le plus vieil abandonware disponible sur ce site remonte à 1980 ; cet abandonware est donc, à l’évidence, toujours sous protection d’un point de vue ratione temporis.

Pour échapper au droit d’auteur, il faudrait soit prouver que tel ou tel abandonware n’est pas protégé (par ex., parce qu’il n’est pas original), soit se baser sur une exception au droit d’auteur.

A mon sens, la première option restera d’application marginale – en tout cas, pour les jeux vidéo. En effet, un jeu vidéo est une oeuvre si complexe (avec de très nombreuses composantes : informatiques, graphiques, scénaristiques, audiovisuelles …) que les cas de jeux vidéo totalement dénués d’originalité seront, à mon avis, assez rares (sauf peut-être les jeux vidéo vraiment basiques).

Quant à la seconde option, on a beau lire et relire la liste des exceptions prévues par la législation européenne et la législation belge, on ne voit aucune exception qui permettrait de faire échapper au droit d’auteur les logiciels ou les jeux vidéo :

  • qui ne sont plus exploités commercialement ; et/ou :
  • qui ne sont plus compatibles avec les machines ou hardware contemporains ; et/ou :
  • dont les ayants-droit ont fait faillite ou n’existent plus pour une autre raison.

Je souscris ici totalement aux propos suivants d’Aaron Schwabach (Internet and the Law: Technology, Society, and Compromises, 2nd Edition, 2014) :

“Because personal computers have not been around for long enough for the copyright on any programs written for them to expire, all abandonware that was once copyrighted is still copyrighted.

Software that has been abandoned because its original publisher no longer exists is not automatically in the public domain (…)

Some distributors and sharers of abandonware argue that ethical objections to sharing copyrighted material do not apply to abandonware; the copyright owner is no longer selling the program, and thus is not being deprived on further sales (…) While there is some logic to this position, its is legally incorrect”.

Conclusion :

  • Le logiciel ou le jeu vidéo estampillé abandonware est légalement toujours soumis au droit d’auteur si son auteur n’est pas mort depuis au moins 70 ans.
  • Il faut donc l’autorisation expresse et préalable du titulaire des droits d’auteur pour communiquer ou distribuer (au public) cet abandonware et pour le reproduire (c’est-à-dire le copier ou le télécharger).

Cette conclusion est, par ailleurs, partagée par le site http://www.abandonware-france.org/ (référence française de l’abandonware) qui indique en guise de disclaimer : “Cette pratique est illégale et n’est que tolérée actuellement”.

Si vous avez des questions sur le droit d’auteur en général ou sur le droit d’auteur sur les logiciels, les jeux vidéo ou sur les abandonwares, sélectionnez “Save & Continue”, et n’hésitez surtout pas à me contacter ;-)

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Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles