Copyright sur une grotte ? Quid du droit d’auteur sur les paysages ?

Le titre de ce billet peut prêter à sourire mais, lors d’une récente visite en Sardaigne, j’ai entendu qu’il était interdit de prendre des photos d’une grotte (la Grotte del Bue Marino)  en raison du « copyright » que la commune de Dorgali détiendrait sur cette grotte…

Annonce qui n’a, bien entendu, pas manqué d’interloquer le praticien du droit d’auteur que je suis.

Un « copyright » (ou, en français, un « droit d’auteur ») sur une grotte!? Je n’avais jamais entendu cela !

Et, en soi, un copyright ou un droit d’auteur sur une grotte, cela n’a pas beaucoup de sens.

Pourquoi?

Parce que le copyright ou le droit d’auteur a pour seule vocation de protéger des oeuvres qui sont originales.

Or, le concept d’originalité renvoie nécessairement à un travail de création de l’homme.

En effet, comme je l’écrivais ici, l’originalité se définit comme suit  (arrêt Painer (C‑145/10) de la Cour de justice de l’Union européenne) :

  • « le droit d’auteur n’est susceptible de s’appliquer que par rapport à un objet (…) qui est original en ce sens qu’il est une création intellectuelle propre à son auteur » (§87);
  • « une création intellectuelle est propre à son auteur lorsqu’elle reflète la personnalité de celui-ci » (§88) ;
  • « tel est le cas si l’auteur a pu exprimer ses capacités créatives lors de la réalisation de l’œuvre en effectuant des choix libres et créatifs » (§89) ;
  • pour que son œuvre soit originale, l’auteur doit être « en mesure d’imprimer sa «touche personnelle» à l’œuvre créée » (§92).

Les créations de Dame Nature (les paysages, les plaques tectoniques, les continents, les formations rocheuses, les montagnes, les grottes, etc.) ne sont donc pas des oeuvres (a fortiori originales) au sens du droit d’auteur, car elles ne sont pas des créations de l’homme.

Attention, cela ne veut pas dire que tous les paysages ou aménagements de paysage ne sont pas susceptibles de protection par le droit d’auteur. Des paysages ou des aménagements de paysage créés par l’homme (par ex. un architecte) pourront, à condition qu’il soient originaux, être protégés par le droit d’auteur. On songe à l’aménagement d’un jardin, d’un parc, d’un parterre de fleurs, etc.

En conclusion

  • Paysage 100% naturel : pas susceptible de protection (absence de création de l’homme)
  • Paysage naturel modifié par l’homme : susceptible de protection si original
  • Paysage créé par l’homme: susceptible de protection si original

Bien sûr la Grotte del Bue Marino est en Sardaigne et est donc soumise au droit d’auteur italien (que je ne connais pas). Il existe donc peut-être une règle spécifique au droit italien permettant à une commune de bénéficier d’un copyright ou d’un droit apparenté sur un paysage naturel. Mais j’en doute car le droit d’auteur (et, en particulier, la notion d’originalité) est harmonisé(e) à l’échelle européenne… Au sujet de la protection en Italie sur les paysages naturels, je vous renvoie toutefois à l’article suivant: “Tuscan town tries to copyright its landscapes” disponible sur http://bobkrist.com/tuscan-town-tries-to-copyright-its-landscapes/

PS. comme je n’ai pas pu prendre des photos de la grotte, c’est une photo de la mer (prise sur le chemin de la grotte, dont l’accès se fait en bateau) que je mets en tête d’article; ceci explique cela ;-)

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Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles