ABBA, droit des marques et principe de spécialité

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Je viens d’entendre, sur France 2, qu’à ses débuts, le désormais mondialement célèbre groupe ABBA a dû demander l’autorisation d’utiliser ce nom à une société suédoise, active sur le marché des conserves de poissons sous la marque « Abba ».

Cela me paraît étonnant.

En effet, si la société en question était active dans le domaine des conserves de poissons, je doute qu’elle ait déposé la marque « Abba » pour des produits ou services en lien avec le spectacle ou la musique.

Une rapide recherche dans le registre EUIPO montre, d’ailleurs, que les marques de cette société (telles qu’en vigueur actuellement) ne couvrent que de l’alimentaire.

Ainsi, par exemple, la marque ABBA est enregistrée pour les produits suivants en classes 29, 30 et 31 :

29. Viande, poisson, en particulier harengs, sprats en conserve, sardines et caviar, volaille et gibier; extraits de viande; fruits et légumes conservés, séchés et cuits; confitures et gelées; oeufs, lait et autres produits laitiers; huiles et graisses comestibles; produits en conserves, pickles.

30. Café, thé, cacao, sucre, riz, tapioca, sagou, succédanés du café; farines et préparations faites de céréales, pain, biscuits, biscuiterie, pâtisserie et confiserie; miel, sirop de mélasse; levure, poudre pour faire lever; sel, moutarde; vinaigre, vinaigre de vin, sauces; épices.

31. Produits agricoles, horticoles et forestiers destinés à l’alimentation; fruits et légumes frais; aliments pour animaux, sel pour bétail, malt; animaux vivants.

Il en va de même pour la marque Abba SINCE 1838.

Dans ce contexte, il parait peu probable qu’au début des années 70, cette société suédoise ait disposé de marques couvrant des produits ou services en lien avec le spectacle ou la musique.

Je ne vois donc pas pourquoi Agnetha, Björn, Benny et Anni-Frid auraient dû demander l’autorisation à cette société pour utiliser le nom « ABBA ».

En effet, le droit des marques est régi par le principe de spécialité – dont je vous ai déjà parlé à propos de Ferrari et de Lotus.

Selon ce principe, une marque n’est valable que pour les produits et services pour lesquels elle a été enregistrée (ainsi que pour les produits et services similaires).

Dans la mesure où le domaine de la musique n’est en rien similaire aux conserves de poissons, ni plus généralement au secteur alimentaire, la société suédoise (i) n’avait pas à donner son accord pour l’utilisation du nom « ABBA » par un groupe de musique ; et (ii) n’aurait pas pu s’opposer à une telle utilisation.

A mon sens donc (et sauf disposition particulière du droit suédois de l’époque), Agnetha, Björn, Benny et Anni-Frid auraient pu utiliser le nom « ABBA » pour leurs activités musicales sans demander la moindre autorisation.

Ceci dit, il est possible que la situation s’explique par la renommée dont bénéficiait peut-être la marque de conserves de poissons (à tout le moins, en Suède).

En effet, lorsqu’une marque est renommée, elle peut, sous certaines conditions, bénéficier d’une protection plus étendue, qui dépasse le principe de spécialité. Pour illustrer ceci, je vous renvoie à mon article Le cas Jaguar et la marque renommée

Si vous voulez en savoir plus sur le droit des marques, n’hésitez pas à me contacter ; ou à consulter les articles suivants :

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Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles