Qui est le titulaire des droits d’auteur ?

Image par Dimitris Vetsikas de Pixabay 

Une question fréquente…

A qui appartiennent les droits d’auteur ?

Cette question revient fréquemment dans ma pratique d’avocat en droit d’auteur.

Elle semble poser des difficultés, car la réponse peut paraître contre-intuitive. Il parait donc utile de clarifier les choses.

Le créateur originaire

Il faut retenir un principe fondateur et transversal : c’est toujours le créateur originaire qui est le titulaire des droits d’auteur.

Et par créateur originaire, il faut comprendre la personne physique qui crée l’oeuvre.

En effet, une personne morale (une société, une association…) ne peut pas, à proprement parler, créer. La personne morale ne sera donc jamais titulaire originaire des droits d’auteur. Pour pouvoir être titulaire de tout ou partie de ces droits, la personne morale devra obtenir une cession de droits à son profit (à prouver par écrit vis-à-vis de l’auteur originaire ; et d’interprétation restrictive, toujours en faveur de l’auteur originaire).

L’article XI.170 du Code de droit économique (“CDE”) pose ce principe fondateur et transversal.

De ce principe fondateur et transversal découlent tous les enseignements qui sont exposés ci-après.

L’employeur

L’employeur n’est jamais titulaire originaire des droits d’auteur ! Il doit acquérir les droits de la part de ses employés par une cession expresse à son profit (à prouver par écrit ; et d’interprétation restrictive, toujours en faveur de l’auteur originaire).

Par ailleurs les seuls droits que pourra acquérir l’employeur sont les droits patrimoniaux (car les droits moraux sont incessibles et restent toujours, quoi qu’il arrive, dans les mains du créateur originaire, en l’occurence : l’employé).

La seule existence d’une relation de travail et le seul paiement d’un salaire à l’employé ne suffisent donc pas à présumer une cession des droits d’auteur au profit de l’employeur. Voyez à ce sujet mon article intitulé Droit d’auteur et créations d’employés : attention aux idées fausses. Il existe quelques exceptions à ce principe, mais elles sont de stricte interprétation.

Comme le résume fort bien Christophe Caron, “le salariat ne chasse pas la qualité d’auteur” (Droit d’auteur et droits voisins, 5e éd., LexisNexis, 2017, p. 177).

Le commanditaire ou le donneur d’ordre

Et celui qui commande une oeuvre alors ?

Même réponse que pour l’employeur : le commanditaire ou le donneur d’ordre n’est jamais titulaire originaire des droits d’auteur.

Il doit acquérir les droits de la part du créateur sur commande par une cession expresse à son profit (à prouver par écrit ; et d’interprétation restrictive, toujours en faveur de l’auteur originaire). Cette cession ne peut concerner que les droits patrimoniaux (puisque les droits moraux sont incessibles).

La seule existence d’une relation de commande, d’un contrat de commande et/ou d’un prix pour la commande (ou d’une rémunération dans le chef du créateur sur commande) ne suffisent donc pas à présumer une cession des droits d’auteur au profit du commanditaire ou du donneur d’ordre.

Ce principe existe de longue date et a été mis en place par le législateur en connaissance de cause (Rapport Erdman II, p. 7).

Le législateur se prononçant exactement de la même façon pour les donneurs d’ordre et commanditaires que pour les employeurs a indiqué (Rapport Erdman II, p. 7) :

  • l’existence d’un contrat de louage d’ouvrage ou de services n’emporte pas de dérogation au droit d’auteur” ;
  • “l’employeur ou l’entrepreneur peut obtenir la cession du droit d’auteur” mais, pour ce faire, “le contrat doit expressément prévoir que ces droits sont transférés à l’employeur ou à l’entrepreneur”.

Attention aux idées fausses donc ! Ce n’est pas parce que vous commandez une oeuvre, que vous en êtes automatiquement titulaire des droits. Que du contraire : en l’absence de cession expresse (à prouver par écrit), les droits restent dans les mains de l’auteur, même s’il a créé sur commande.

L’éditeur

L’éditeur a, lui aussi, besoin d’un contrat… sans quoi les droits restent dans les mains de l’auteur, c.à.d. du créateur personne physique originaire. Ce contrat ne peut concerner, comme il a déjà été dit ci-dessus, que les droits patrimoniaux.

L’éditeur n’est donc jamais présumé titulaire des droits d’auteur, ni automatiquement titulaire de ceux-ci.

La loi prévoit d’ailleurs des dispositions particulières (art. XI.195 à XI.200 CDE) qui régissent le contrat d’édition.

Sans contrat, l’éditeur est dans l’illégalité s’il exploite l’oeuvre du créateur originaire.

Il faut noter, en passant, qu’en général on conçoit l’édition comme l’édition littéraire (roman, bande dessinée, etc.). Mais, en réalité, l’édition est beaucoup plus large et peut concerner tout type d’oeuvre (édition musicale, édition de logiciels, édition de jeux vidéos…). Ce qui caractérise l’édition, c’est : l’obligation pour l’éditeur (i) de fabriquer des supports de l’oeuvre (fabrication matérielle ; le “tirage”) et (ii) de diffuser ou distribuer ces supports, et ce à ses risques et périls ainsi qu’à ses frais. Si l’auteur doit payer pour être “édité”, ce n’est pas un contrat d’édition (mais un contrat à compte d’auteur). Par ailleurs, en général, l’éditeur doit rémunérer l’auteur. La loi prévoit même que la règle – sauf stipulation contraire -, c’est la rémunération proportionnelle aux recettes.

Le producteur ou le promoteur

Est-ce différent pour le producteur ou le promoteur ? C’est-à-dire pour la personne, physique ou morale, qui prendrait l’initiative d’un projet et de sa création (souvent avec des collaborations multiples ; avec le concours de nombreux auteurs…). Par exemple : le promoteur d’un spectacle vivant ou le producteur d’une oeuvre audiovisuelle ?

Ne pourrait-on pas dire que puisque le producteur ou le promoteur prend l’initiative de la création, il disposerait forcément des droits d’auteur ?

La réponse à cette question est négative. La notion d’oeuvre collective ou dirigée, c.à.d. d’oeuvre créée sur initiative, financement et contrôle d’un producteur ou d’un promoteur, même si elle a été envisagée lors de l’élaboration de la loi de 1994, n’a finalement pas été retenue en droit belge.

Aussi, le producteur ou le promoteur n’est jamais titulaire ab initio des droits d’auteur et doit donc obtenir ceux-ci de la part de toutes les personnes qu’il implique dans son projet.

Ce n’est pas illogique dans la mesure où un producteur/promoteur est souvent dans une situation similaire à celle du commanditaire ou du donneur d’ordre (la seule différence qui existe, c’est que le producteur ou le promoteur sera souvent confronté à beaucoup plus d’auteurs ; conséquence : il devra rigoureusement acquérir les droits de chacun d’entre eux – gare aux oublis !).

Cette acquisition des droits d’auteur ne peut concerner, encore une fois, que les droits patrimoniaux (les droits moraux restant toujours dans les mains des auteurs originaires).

Il existe une atténuation à ce principe. Elle est à trouver en matière audiovisuelle. Le producteur d’une oeuvre audiovisuelle est, en effet, automatiquement présumé cessionnaire des droits patrimoniaux d’exploitation audiovisuelle de l’oeuvre dont il prend l’initiative et assume le financement (voyez l’article XI.182 du Code de droit économique).

Cette atténuation, qui est d’interprétation restrictive, a été prévue en raison des investissements très importants qu’implique, en général, la production audiovisuelle.

Vu son caractère restrictif (et dérogatoire au droit commun), il n’est pas possible d’appliquer, par analogie, cette présomption de cession à d’autres domaines. Ainsi, par exemple, un producteur de spectacles vivants n’est jamais présumé cessionnaire des droits d’auteur. Ce producteur doit, dès lors, acquérir les droits d’auteur de tous les créateurs qui ont contribué à la réalisation du spectacle.

Par ailleurs, il faut remarquer que la présomption de cession au profit du producteur audiovisuel n’est pas une présomption de titularité. En effet, le(s) auteur(s) audiovisuel(s) restent les auteurs et titulaires des droits. Simplement, la loi présume le transfert automatique d’une partie de ces droits au profit du producteur ; ce qui permet à celui-ci de ne pas devoir nécessairement conclure de contrats.

Observons qu’en pratique les producteurs audiovisuels font (pratiquement) toujours signer des contrats à leurs auteurs, malgré la présomption de cession légale en leur faveur. Ceci s’explique, entre autres, par le fait que la présomption de cession est limitée à l’exploitation audiovisuelle de l’oeuvre et qu’elle ne couvre pas les autres types d’exploitations (par ex. dérivées : merchandising, etc.).

On comprend mieux, dans ces conditions, pourquoi les producteurs audiovisuels font malgré tout signer des contrats de cession de droits d’auteur.

La formule suivante, que je trouve excellente, de Pierre-Yves Gautier, illustre bien le phénomène : “il suffit de lire les contrats de n’importe quel producteur, pour s’apercevoir, non sans surprise, que tant dans leur corps même que dans de volumineuses et soporifiques annexes, se trouvent énoncés avec un luxe minutieux de détails les droits, sous-droits et sous-sous-droits transmis au producteur (toujours l’extraordinaire conservatisme du droit pratique)” (Propriété littéraire et artistique, 10e éd., Paris, PUF, 2017, p. 654, n°601).

Conclusion

Quel que soit le contexte dans lequel intervient la création (travail, commande, édition, production, promotion, …), le créateur personne physique est toujours originairement le titulaire des droits d’auteur au sens de notre législation.

Ceci signifie que les interlocuteurs de l’auteur (l’employeur, le commanditaire, le donneur d’ordre, l’éditeur, le producteur, le promoteur…) ne peuvent devenir titulaire des droits d’auteur que par le biais d’une cession expresse (à prouver par écrit), qui s’interprétera restrictivement toujours en faveur de l’auteur. Le doute profite toujours à l’auteur !

Les employeurs, commanditaires, donneurs d’ordre, éditeurs, producteurs, promoteurs… ne peuvent donc être que des titulaires dérivés (jamais des titulaires originaires) et ce uniquement des droits d’auteur patrimoniaux (les droits moraux restent toujours au créateur personne physique originaire).

Cette titularité dérivée ne peut jamais être tacite ni implicite (puisqu’il faut une cession expresse, à prouver par écrit).

Mis à part quelques exceptions (rares et d’interprétation restrictive), ces principes sont constants !

Prudence donc à tous ceux qui pensent tacitement acquérir des droits d’auteur en raison d’une relation de travail, de commande, d’édition, de production, de promotion… C’est une idée fausse, qui causera beaucoup de déconvenues.

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Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles