Quand une oeuvre est-elle originale au sens du droit d’auteur ?

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Introduction

Le droit d’auteur protège les oeuvres qui sont originales.

Mais qu’est-ce qu’une oeuvre originale ?

A quoi renvoie cette notion d’originalité ?

Comment faire en pratique pour déterminer si, oui ou non, une oeuvre est originale ?

Je vous ai déjà parlé de cette notion, notamment dans les articles suivants :

Mais je souhaite, aujourd’hui, revenir sur cette notion d’originalité de manière plus systématique et résumer les grands principes applicables en la matière.

Analyse

Une oeuvre sera originale (et donc protégée par le droit d’auteur) si elle est une création intellectuelle propre à son auteur, c’est-à-dire si son auteur a pu exprimer son esprit créateur et ses capacités créatives en posant des choix libres et créatifs.

Cf. la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, dont notamment :

– l’arrêt Infopaq, C5/08 ;

– l’arrêt BSA, C‑393/09 ;

– et l’arrêt Painer, C-145/10.

De façon plus concrète, et comme je l’explique dans Le droit d’auteur en questions (2022, tome 1, p. 151), une  oeuvre ne peut être originale que si :

  • elle n’est pas “exclusivement” le résultat de contraintes (par exemple, techniques) ;

En effet, si l’oeuvre est exclusivement le résultat de contraintes, elle ne peut pas être “propre” à son auteur, car toute personne confrontée aux mêmes contraintes parviendrait au même résultat (c’est-à-dire à la même oeuvre), ou à une variante minime.

Cependant, le terme “exclusivement” est fondamental car si les contraintes ne sont pas exclusives ou absolues, et qu’il reste une marge de manœuvre à l’auteur pour exprimer sa créativité en dépit de ces contraintes, l’originalité pourrait être reconnue.

On ne peut donc pas considérer que dès qu’il existe des contraintes, l’originalité est nécessairement exclue. Tout dépend de l’intensité de ces contraintes (excluent-elles tout liberté créative dans le chef de l’auteur ou non ?).

J.-F. et L.-O. Henrotte ont très bien expliqué cette nuance à propos des oeuvres architecturales et des contraintes techniques et urbanistiques :

“La protection du droit d’auteur doit également être refusée pour les créations dont la forme est dictée exclusivement par des contraintes externes, qu’elles soient fonctionnelles ou urbanistiques, par exemple. (…) Si, dans la prise en compte des contraintes du projet, l’architecte parvient toutefois à donner une forme particulière à son oeuvre, cette forme constitue une expression de sa personnalité, ouvrant le droit à une protection par le droit d’auteur” (J.-F. et L.-O. Henrotte, L’architecte, Bruxelles, Larcier, 2013, pp. 563-564).

B. Michaux donne, jurisprudence à l’appui, un autre exemple en matière de programmes d’ordinateur :

“l’arrêt Embas relève que le logiciel en cause n’est pas « totalement déterminé » par les contraintes attachées à la réglementation légale particulière qu’il a pour objectif d’aider à maîtriser, à savoir la réglementation relative à la gestion du risque et de la sécurité dans l’entreprise. À ce propos, la cour d’appel observe que quand bien même cette réglementation légale sert de point de départ au logiciel, cela n’empêche pas le concepteur d’effectuer des choix qui lui sont « propres »” (B. Michaux, “Le juge national et l’originalité en droit d’auteur après l’arrêt Infopaq”, A&M, 2013/2, pp. 90-91).

  • elle est (au moins, en partie) nouvelle ;

L’oeuvre doit être (au moins, en partie) nouvelle, sans quoi elle existe déjà (telle quelle, dans son entièreté) et elle ne peut pas être “propre” à son auteur, puisqu’elle est déjà “propre” à un auteur antérieur – sous réserve de l’application de la théorie de la création indépendante.

  • elle n’est pas banale ;

Dans un arrêt du 14 décembre 2015 (C.14.0262.F), la Cour de cassation a jugé que les oeuvres banales ne bénéficient pas de la protection par le droit d’auteur.

La banalité est une notion polysémique. Comme je l’explique dans Le droit d’auteur en questions (2022, tome 1, pp. 159-160) :

“Dans une première acception, la banalité renvoie au « déjà vu », au « fait et refait », au « bien connu ». Comprise dans ce sens, la banalité est une forme marquée d’absence de nouveauté et elle suppose nécessairement de démontrer l’existence d’antériorités pertinentes”.

“Dans une seconde acception, la banalité renvoie à l’ « évident », au « trop simple », au « trop ordinaire », à ce à quoi d’autres seraient aisément arrivés. Ceci ne suppose pas nécessairement de démontrer l’existence d’antériorités pertinentes. Cette banalité-ci peut être intrinsèque”.

“Les deux conceptions de la banalité peuvent toutefois se rejoindre. Ainsi, par exemple, en présence d’un très grand nombre d’antériorités pertinentes, il pourra être argumenté que l’oeuvre pour laquelle une protection est revendiquée est à la fois du « fait et refait » (sens n° 1) et de l’ « évident » (sens n° 2). C’est tellement évident que de nombreux autres sont déjà arrivés à ce résultat précédemment”.

Cela dit, cette question de la banalité doit être maniée avec prudence car même si une partie de l’oeuvre est banale, l’assemblage ou la combinaison de cette partie banale avec d’autres éléments peut révéler un choix créatif et donc aboutir à une oeuvre d’ensemble (une composition) originale.

Il faut donc toujours bien distinguer la banalité de l’oeuvre dans son ensemble (ce qui exclut, en principe, l’originalité) de la banalité d’une ou plusieurs partie(s) de l’oeuvre (ce qui n’empêche pas nécessairement l’originalité de l’oeuvre dans son ensemble).

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Si vous voulez en savoir plus sur la question de l’originalité (et ses liens avec la nouveauté), je vous renvoie aux Questions 4 et 5 de mon ouvrage Le droit d’auteur en questions (pp. 115 à 207).

A propos du moment où l’originalité doit être appréciée, voyez ici.

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Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles