Propriété intellectuelle et indemnité de procédure, qu’en dit la CJUE?

Comme je vous l’expliquais ici et , la Cour de justice de l’Union européenne a été saisie (aff. C‑57/15)  du problème suivant:

  • en Belgique, celle des parties qui gagne un procès peut, en vertu de l’article 1022 du Code judiciaire, se voir rembourser les frais et honoraires d’avocats qu’elle a dû payer en raison de ce procès ;
  • ce remboursement des frais et honoraires est cependant partiel et forfaitaire; or, pour certaines affaires (notamment les litiges complexes et techniques en matière de brevets), ces remboursements sont très en deçà des frais et honoraires d’avocats réellement exposés;
  • la question s’est donc posée de savoir si le système belge de récupération partielle et forfaitaire des frais et honoraires d’avocats par la partie qui obtient gain de cause est, en matière de propriété intellectuelle, conforme à la législation européenne et, en particulier, à l’article 14 de la Directive 2004/48 en matière de propriété intellectuelle qui dispose que « Les États membres veillent à ce que les frais de justice raisonnables et proportionnés et les autres frais exposés par la partie ayant obtenu gain de cause soient, en règle générale, supportés par la partie qui succombe, à moins que l’équité ne le permette pas ».

En ce jour du 28 juillet 2016, la Cour de justice s’est prononcée de la façon suivante:

“L’article 14 de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui prévoit que la partie qui succombe est condamnée à supporter les frais de justice encourus par la partie ayant obtenu gain de cause, qui offre au juge chargé de prononcer cette condamnation la possibilité de tenir compte des caractéristiques spécifiques de l’affaire dont il est saisi et qui comporte un système de tarifs forfaitaires en matière de remboursement de frais pour l’assistance d’un avocat, à condition que ces tarifs assurent que les frais à supporter par la partie qui succombe soient raisonnables, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier. Toutefois, l’article 14 de cette directive s’oppose à une réglementation nationale prévoyant des tarifs forfaitaires qui, en raison des montants maxima trop peu élevés qu’ils comportent, n’assurent pas que, à tout le moins, une partie significative et appropriée des frais raisonnables encourus par la partie ayant obtenu gain de cause soit supportée par la partie qui succombe ” (je souligne).

Dans les jours ou semaines à venir, je reviendrai en détail sur cet arrêt (fondamental), et en particulier sur les nombreuses nuances qu’il semble apporter ainsi que sur ses conséquences potentielles sur la répétibilité des frais et honoraires d’avocat en droit judiciaire belge.

Mais ce qui peut déjà être dit à ce stade – sans trop se tromper -, c’est que la Cour de justice n’a pas suivi son avocat général, lequel avait proposé, dans ses conclusions du 5 avril 2016, de juger que la législation belge est conforme à l’article 14 de la Directive 2004/48:

« L’article 14 de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle ne fait pas obstacle à la législation nationale, comme celle mise en cause dans le présent renvoi préjudiciel, qui impose une limite maximale au remboursement par la partie condamnée aux dépens des honoraires d’avocat de la partie ayant obtenu gain de cause dans tout type de litiges, y compris dans ceux relatifs à la protection des droits de propriété intellectuelle ».

Au contraire, selon la Cour de justice, si les montants forfaitaires (maxima) prévus par la législation belge en matière de répétibilité sont trop peu élevés par rapport aux frais (raisonnables) réellement payés par la partie qui obtient gain de cause, cette législation est contraire à l’article 14 de la Directive 2004/48.

FredericLejeuneLogo

Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles