Non, toutes les photos ne sont pas protégées par le droit d’auteur !

Photo de Miss Zhang sur Unsplash

Je lutte contre les idées fausses sur la propriété intellectuelle en général, et sur le droit d’auteur en particulier (voyez ici).

Récemment, j’ai encore découvert une perle sur le site d’une société active dans la récupération de droits d’auteur en lien avec des photographies.

Cette société explique, en substance, que prendre des photos requiert beaucoup de savoir-faire, et que c’est pour cette raison que le droit d’auteur protège les photographes. Il faut donc toujours obtenir l’autorisation de ces derniers, avant d’utiliser leurs clichés. A défaut, il y aura atteinte au droit d’auteur (c’est-à-dire contrefaçon).

Première erreur : le savoir-faire n’est pas une condition du droit d’auteur et n’intervient absolument pas dans le cadre de la protection par le droit d’auteur.

Le savoir-faire, la compétence ou l’expérience ne déclenche, d’aucune façon, la protection par le droit d’auteur.

La cour d’appel de Bruxelles l’a encore rappelé récemment à propos de la création d’un programme d’ordinateur sur lequel un certain Monsieur D. revendiquait des droits d’auteur en mettant en avant son expérience dans le domaine de conception de sites web et du commerce électronique :

“De même, la circonstance que D. dispose d’une expérience dans le domaine de la conception de site internet et du commerce électronique alors qu’ « à l’origine, soit 1996, Abssys Consulting n’avait rien à voir avec le Net » (extrait d’un article paru dans le journal Le Soir du 10 mars 2011) ne démontre pas en soi une mise en forme par lui de l’idée au départ du projet envisagé avec Abssys Consulting”.

– Bruxelles (9e ch.), 19/03/2015, A&M, 2015/3-4, pp. 292-296.

Autrement dit, ce n’est pas parce que l’on dispose d’un savoir-faire particulier, d’une compétence spécifique ou d’une expérience considérable dans tel ou tel domaine (par ex. la photographie) que l’on aurait automatiquement un droit d’auteur sur telle ou telle oeuvre (par ex. une photographie) et que celle-ci serait automatiquement protégée par le droit d’auteur. Non, au contraire, il faut encore démontrer concrètement que l’oeuvre en question est susceptible d’être protégée et, pour ce faire, prouver qu’elle est originale.

Par conséquent, même si l’on est un photographe chevronné ou réputé, cela ne veut pas dire que toutes les photographies que l’on prendra seront protégées par le droit d’auteur. Elles ne le seront que si ces photographies sont originales (ce qui devra être prouvé au cas par cas, photo par photo).

Et, à l’inverse, cela signifie également qu’un photographe amateur, voire même novice, peut très bien prendre un cliché qui sera original et donc protégé par le droit d’auteur.

La nuance est là et le texte trouvé sur le site de cette société active dans la récupération de droits d’auteur n’opère pas cette nuance. Il indique (ou, en tout cas, laisse entendre) de façon générale que les photographies sont toujours le résultat d’un grand-savoir faire et que, pour ce motif, elles sont protégées par le droit d’auteur.

Deuxième erreur : le droit d’auteur prévoit que vous avez besoin de l’autorisation du photographe, sinon il y aura une atteinte au droit d’auteur.

C’est, en réalité, davantage une approximation ou un raccourci qu’une erreur pure et dure.

Mais il faut rectifier et compléter.

Il aurait fallu écrire : le droit d’auteur prévoit que vous avez besoin de l’autorisation du photographe, sinon il y aura atteinte au droit d’auteur si (et seulement si) la photographie en cause est protégée, c’est-à-dire si elle est originale.

A lire cette société active dans la récupération de droits d’auteur, on a l’impression (et c’est lié à la première erreur que je relevais ci-dessus) que toutes les photographies (n’importe lesquelles) sont protégées par le droit d’auteur car elles sont le résultat d’un grand-savoir faire et d’une grande créativité ; et, par conséquent, que si une personne n’obtient pas l’autorisation des photographes, elle sera dans tous les cas coupable ou responsable de contrefaçon (c’est-à-dire : d’atteinte à leurs droits d’auteur).

Mais non, et vous l’aurez désormais compris :

  • toutes les photographies ne sont pas protégées par le droit d’auteur ; seules celles qui sont originales le seront ;
  • et vous ne devez donc obtenir l’autorisation du photographe que pour les photographies protégées ;
  • pour les autres, celles qui ne sont pas originales, pas besoin d’autorisation et donc pas d’atteinte.

Pour un exemple de photographie non originale (car banale et sans apport créatif du photographe), voyez mon billet intitulé Photographie et droit d’auteur : le cas des paparrazis.

La Cour de justice de l’Union européenne a, par ailleurs, indiqué dans son arrêt Painer C-145/10, les circonstances dans lesquelles une photographie peut être originale (ce qui confirme, a contrario, que toutes les photographies ne sont pas originales).

Comme je l’écrivais ici :

“Dans ce même arrêt Painer, la Cour explique en quoi l’auteur d’une photo peut effectuer des choix libres et créatifs. Selon la Cour, l’auteur peut, par exemple, effectuer des choix libres et créatifs :

– en mettant en scène l’objet qu’il va photographier ;

– en demandant à la personne qu’il va photographier de prendre telle ou telle pose ;

– en faisant le choix d’un éclairage ;

– en prenant sa photo avec un cadrage ou un angle de vue particulier ;

– en créant une atmosphère spécifique avant de prendre sa photo ;

– en retouchant ses photos avec des logiciels”.

De façon générale, on peut également indiquer qu’une photographie qui serait banale ne satisfera pas à la condition d’originalité. La Cour de cassation a, en effet, jugé que le caractère banal d’une œuvre l’empêche d’être originale et donc d’être protégée par le droit d’auteur (Cour de cassation [3e ch.], 14/12/2015, Ing.-Cons., 2016/1, p. 193-205).

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Conclusion : non toutes les photographies ne sont pas protégées par le droit d’auteur !

Sur le principe, une photographie est potentiellement protégeable ; mais en pratique, il faudra établir l’existence de la protection au cas par cas, en prouvant l’originalité de telle ou telle photographie (et c’est bien entendu au photographe ou à celui qui gère ses droits de prouver cette originalité).

Soyez toutefois toujours vigilants quand vous utilisez des photos trouvées sur Internet (sans en connaître l’origine exacte) car si elles sont finalement jugées originales et que vous n’avez pas sollicité l’autorisation de l’auteur ou de ses représentants, il y aura vraisemblablement atteinte aux droits de l’auteur (même si, dans ce cas, d’autres possibilités de contestation peuvent exister, au cas par cas, en fonction du dossier et des pièces du dossier).

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Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles