Les honoraires d’avocats, bientôt entièrement récupérables à l’occasion de litiges en matière de propriété intellectuelle?

C’est par le biais d’un article intitulé “Advocatenkosten in België op termijn volledig verhaalbaar?”, publié sur le site Standaard.be que j’apprenais il y a quelques jours que la cour d’appel d’Anvers a, par un arrêt du 26 janvier 2015, posé une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne afin de savoir si les dispositions belges en matière de répétibilité de frais et honoraires d’avocats sont, ou non, en conformité avec la Directive 2004/48 relative au respect des droits de propriété intellectuelle.

Voyez également, à propos de cette question, l’excellent article intitulé “Belgium asks CJEU: does the Enforcement Directive allow cost-capping in IP litigation?”, publié sur IPKat.

Quel est le noeud du problème?

L’article 1022 du Code judiciaire tel que modifié par la Loi du 21 avril 2007 relative à la répétibilité des honoraires et des frais d’avocat dispose que:

“L’indemnité de procédure est une intervention forfaitaire dans les frais et honoraires d’avocat de la partie ayant obtenu gain de cause”.

En d’autres termes : celui qui obtient gain de cause peut, en vertu de l’article 1022 du Code judiciaire, se voir rembourser une partie des frais et honoraires d’avocat qu’il a dû débourser à l’occasion d’un litige. Cette partie des frais et honoraires sera cependant forfaitaire et c’est au Roi qu’il appartient de fixer cette partie forfaitaire, en arrêtant les “montants de base, minima et maxima de l’indemnité de procédure, en fonction notamment de la nature de l’affaire et de l’importance du litige”.

Le Roi a fixé ces montants forfaitaires de base, minima et maxima dans un arrêté royal du 26 octobre 2007. A l’époque, les montants récupérables allaient de 150 € à 30.000 € pour les affaires évaluables en argent et de 75 € à 10.000 € pour les affaires non-évaluables en argent.

Ces montants forfaitaires ont, aujourd’hui, été très légèrement augmentés, mais l’on reste grosso modo dans le même ordre de grandeur.

Or, récupérer des montants aussi faibles lorsque l’on a dû, en réalité, débourser des montants bien plus élevés pour payer les frais et les honoraires de son ou de ses avocats (notamment dans les litiges complexes et techniques en matière de brevets), n’apparait pas comme une solution satisfaisante.

Cette solution est d’autant moins satisfaisante que l’article 14 de la Directive 2004/48 dispose que:

“Les États membres veillent à ce que les frais de justice raisonnables et proportionnés et les autres frais exposés par la partie ayant obtenu gain de cause soient, en règle générale, supportés par la partie qui succombe, à moins que l’équité ne le permette pas”.

Une grande partie des observateurs estime que cet article 14 impose une obligation aux États membres de prévoir le remboursement intégral, par la partie ayant succombé, des frais et honoraires d’avocats payés par la partie qui a obtenu gain de cause.

Or, si ledit article 14 impose bel et bien, comme principe, le remboursement intégral des frais et honoraires d’avocats exposés par la partie ayant obtenu gain de cause, l’on peut légitimement s’interroger quant à la conformité de l’article 1022 du Code judiciaire et l’arrêté royal du 26 octobre 2007 avec ledit article 14.

Comme le faisaient déjà observer B. Remiche et V. Cassiers en 2010:

“Il n’est pas certain que le système d’indemnisation forfaitaire en vigueur soit totalement conforme à l’article 45, §2 ADPIC et, au delà à l’article 14 D. 2004/48 dans la mesure où ces dispositions peuvent s’interpréter comme invitant les Etats membres à permettre l’indemnisation des honoraires d’avocats réellement supportés par la partie triomphante” (Droit des brevets d’invention et du savoir-faire, Bruxelles, Larcier, 2010, pp. 595-596).

C’est précisément de cette question qu’a été saisie la Cour de justice de l’Union européenne par l’arrêt de la cour d’appel d’Anvers du 26 janvier 2015.

Évidemment, je ne manquerai pas de vous tenir informés de la suite réservée à cette affaire.

FredericLejeuneLogo

Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles