Les décisions qui m’ont marqué en matière de propriété intellectuelle
On m’a récemment demandé quelles étaient mes décisions préférées en matière de propriété intellectuelle.
Je ne sais pas si le terme « préférées » est approprié.
Mais il est vrai qu’il existe certaines décisions qui m’ont particulièrement marqué (sans jeu de mot!).
Au niveau européen:
1- L’arrêt qui m’a récemment fasciné c’est l’arrêt Mc Fadden (C-484/14), dont je vous ai déjà parlé à de nombreuses reprises (ici, ici, ici et là).
Pour rappel, la question qui s’est posée à l’occasion de cet arrêt est celle de savoir si un commerçant (Monsieur Mc Fadden) qui met à disposition de ses clients un accès internet (via WIFI) gratuit et non-sécurisé peut être tenu responsable pour les faits (illicites) commis par ses clients au moyen de la connexion internet ainsi mise à disposition.
En l’occurence, ladite connexion WIFI avait été utilisée pour faire transiter et mettre à disposition une oeuvre protégée par le droit d’auteur sans l’autorisation de l’auteur (contrefaçon).
Pourquoi cet arrêt?
Parce qu’il traite en un peu plus de 100 paragraphes (ce qui n’est pas encore si long) de nombreuses questions complexes et en particulier:
- des liens entre la contrefaçon de droit d’auteur et la responsabilité des intermédiaires web (en particulier: la responsabilité du simple transporteur; article 12 de la Directive E-Commerce, 2000/31),
- de la possibilité d’introduire une action en responsabilité contre un tel intermédiaire (plus exactement: de l’impossibilité),
- de la possibilité d’obtenir des injonctions qui – hors responsabilité – peuvent être sollicitées contre un tel intermédiaire (en raison de sa facilité d’intervenir pour mettre un terme à un acte de contrefaçon),
- et de la nature de ces injonctions (principe de proportionnalité).
A mon sens, dans cet arrêt, la Cour de justice de l’Union européenne a délivré de nombreuses clarifications sur le régime de responsabilité des intermédiaires web et, en particulier, des simples transporteurs (ceux qui ne font que donner accès à un réseau de communication et/ou à transmettre des informations entre deux points/deux personnes sur ce réseau).
C’est un arrêt essentiel tant pour les intermédiaires web que pour les titulaires de droits d’auteur (et plus largement: pour tous les titulaires de droits de propriété intellectuelle, au-delà du droit d’auteur).
Avec Benoit Michaux et Stéphanie Hermoye, nous avons eu la chance d’approfondir cet arrêt et l’ensemble des enseignements livrés par cet arrêt, dans le cadre d’une contribution dédiée à la responsabilité des intermédiaires web à l’aune de la Directive E-Commerce, 2000/31. Je ne manquerai pas de vous communiquer la référence de cette contribution lorsqu’elle sera effectivement publiée.
Mais donc pour résumer : l’arrêt Mc Fadden, c’est tout à la fois un arrêt de propriété intellectuelle (droit d’auteur), de droit de l’internet (e-commerce) et de responsabilité (ou de non-responsabilité) des acteurs du web.
2- L’arrêt SAS Institute (C-406/10) de la Cour de justice est une seconde décision qui, au niveau européen, m’a marqué, en raison de son importance cruciale pour la protection des programmes d’ordinateur et des logiciels – thème qui est fondamental et qui m’intéresse au plus au point comme en attestent notamment les billets suivants:
Logiciels: la protection des fonctionnalités et le droit d’auteur
Au niveau belge:
Il est plus difficile de choisir car les décisions sont nombreuses et il en est plusieurs qui me viennent à l’esprit.
3- J’ai personnellement été très marqué par l’arrêt OGONE de la cour d’appel de Bruxelles et par l’arrêt Madonna de la cour d’appel de Mons.
Dans la première affaire, il était question de la création d’un programme d’ordinateur (création et mise en forme orale) et de la protection de ce programme d’ordinateur (en particulier la question épineuse de la protection de fonctionnalités et d’une liste de fonctionnalités).
Dans la seconde affaire, il était question de (potentiel) plagiat musical et de la question de savoir si une suite de quelques notes (deux mesures) peut être protégée par le droit d’auteur.
Les motifs décisoires de ces deux décisions méritent d’être lus et bien compris, par tout qui est confronté à la protection d’un programme d’ordinateur et par un (potentiel) plagiat musical.
4- Une troisième affaire belge qui, à mes yeux, vaut largement le détour est l’arrêt du 2 décembre 2013 de cour d’appel de Mons (disponible sur IE-Forum).
Pourquoi?
Parce que dans cet arrêt la cour d’appel de Mons tranche la question – fondamentale ! – de l’abus de droit en matière de propriété intellectuelle et, plus particulièrement, en matière de brevets.
Comme je l’écrivais ici à propos de cet arrêt:
« Attention ce n’est pas parce que l’on est titulaire d’un droit intellectuel que l’on peut faire ce que l’on veut.
Tant l’obtention que l’exercice de droits intellectuels peuvent s’avérer, selon les circonstances, abusifs.
Il faut toujours se demander si les actions que l’on entreprend sont conformes à ce qu’aurait fait un titulaire de droits intellectuels normalement prudent et diligent ».
Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles