L’action en réparation collective, une réalité belge au 1er septembre 2014

De quoi s’agit-il?

Ce type d’actions permet à un grand nombre de consommateurs, qui sont ou ont été les victimes d’une même personne (par ex. une entreprise), d’agir ensemble contre cette même personne afin d’obtenir la réparation de leur préjudice.

L’avantage lié à cette procédure est de rassembler un très grand nombre de plaintes et de mener à un seul et unique procès. Ceci favorise donc l’introduction d’actions en justice qui n’auraient pas été introduites individuellement par chaque victime (car un procès c’est long et coûteux).

L’action en réparation collective (ou « class action » en anglais) permet donc d’améliorer l’accès à la justice pour les victimes de préjudices diffus (c’est-à-dire de préjudices qui pris individuellement ne justifieraient pas une action en réparation).

Le projet de loi belge et son adoption

En date du 17 janvier 2014, le gouvernement belge a déposé un projet de loi visant à implémenter le mécanisme de « class action » en droit belge (Document parlementaire 53K3301).

L’objet de ce projet est résumé en pages 3-4 de celui-ci (DOC 53 3301/001):

« L’action en réparation collective ne peut être introduite que par une association de consommateurs qui remplit les conditions fixées par la loi ou par une association qui répond à certaines conditions cumulatives. Le Service public autonome visé à l’article XVI.5 du présent Code, peut également introduire une telle action, uniquement en vue de conclure un accord de réparation collective.

Les cours et tribunaux de Bruxelles sont les seules juridictions compétentes pour connaître de l’action en réparation collective. Le juge statue à propos de la recevabilité de l’action sur base de conditions objectives strictement défi nies par la présente loi et d’une appréciation du caractère plus efficient de l’action collective par comparaison aux recours individuels.

Une phase de négociation est systématiquement imposée aux parties afin qu’elles concluent un accord en réparation collective. Cet accord doit être homologué par le juge. À défaut d’accord homologué, il se prononcera sur le fond de l’affaire. Un liquidateur désigné par le juge assurera l’exécution correcte de l’accord homologué ou de la décision sur le fond.

Le juge appréciera pour chaque action introduite lequel des systèmes d’option d’inclusion ou d’exclusion convient le mieux au cas d’espèce en vue de la composition du groupe de consommateurs lésés. Il doit faire application d’un système d’option d’inclusion si la réparation de dommages corporels ou moraux est réclamée. L’accord homologué ou la décision sur le fond sera opposable à tous les membres du groupe quel que soit le système de composition applicable et ouvrira le droit à la réparation individuelle aux consommateurs lésés qui se seront identifiés, en temps utile, auprès du greffe ».

En mars 2014, ce projet de loi a été adopté par la Chambre et le Sénat. Le Roi a, ensuite, sanctionné cette loi qui a été publiée au Moniteur Belge du 29 mars 2014. Elle entrera en vigueur le 1er septembre 2014.

Aujourd’hui, c’est donc une réalité: l’action en réparation collective a été implémentée en droit belge et elle est régie par le Livre XVII du Code de droit économique.

Et en pratique, ça marche comment?

1) L’action en réparation collective est limitée à la réparation d’un préjudice collectif subi par un ensemble de consommateurs qui constituent le groupe. Ce préjudice collectif doit être ou avoir été causé par la violation par une entreprise de l’une de ses obligations contractuelles ou de l’une des législations explicitement visées par l’article XVII.37 du Code de droit économique.

2) Identifier le préjudice collectif est une chose. Introduire une action en réparation collective en est une autre. Or précisément, l’introduction d’une action en réparation collective ne peut se faire qu’à l’initiative d’un représentant. Mais, attention, n’est pas représentant qui veut! En substance, seules les associations de défense des intérêts des consommateurs dotées de la personnalité juridique et siégeant au Conseil de la Consommation ou ayant été agréées par le ministre, et les associations dotées de la personnalité juridique depuis au moins 3 ans qui ne poursuivent pas un but économique de manière durable et qui ont été agréées par le ministre, pourront, aux termes de l’article XVII.39, avoir la qualité de représentant. Il s’ensuit (et c’est important de le souligner!) que les avocats ne pourront avoir la qualité de représentant et ne pourront donc prendre l’initiative d’introduire une action en réparation collective (ce qui n’empêche évidemment pas le représentant de faire appel à un avocat pour l’assister d’un point de vue juridique ou procédural).

3) Une fois (auto-)désigné, le représentant a deux options:

  • soit s’engager dans des négociations avec l’entreprise débitrice de la réparation (voie amiable) ;
  • soit introduire une action en réparation collective (voie contentieuse).

4) S’il choisit la voie amiable, et qu’il parvient à un accord, le représentant devra encore faire homologuer cet accord par le juge (article XVII.49), avant que ledit accord ne lie les membres du groupe. Le juge examinera, à cet effet,  (i) si l’accord comprend bien tous les éléments requis par la loi,  (ii) si la réparation convenue n’est pas manifestement déraisonnable, (iii) si le délai endéans lequel les membres du groupe doivent se manifester pour bénéficier de l’accord n’est pas, lui non plus, manifestement déraisonnable, (iv) si les mesures de publicité de l’accord sont suffisantes et (v) si l’indemnité due par le défendeur au représentant n’excède pas les frais réellement supportés par le représentant.

Une fois homologué, l’accord liera tous les membres du groupe. L’ordonnance du juge équivaudra à un jugement d’accord au sens de l’article 1043 du Code judiciaire.

5) S’il choisit la voie contentieuse,  le représentant doit déposer une requête en réparation collective au greffe du tribunal de première instance de Bruxelles (ou, le cas échéant, du tribunal de commerce de Bruxelles). Cette requête doit contenir un certain nombre d’indications visées à l’article XVII.42:

  • la preuve qu’il est satisfait aux conditions de recevabilité ;
  • la description du préjudice collectif qui fait l’objet de l’action en réparation collective ;
  • le système d’option proposé et les motifs de ce choix  (inclusion ou exclusion);
  • la description du groupe pour lequel le représentant du groupe entend agir, en estimant, aussi précisément que possible, le nombre des personnes lésées; lorsque le groupe contient des sous-catégories, ces informations sont précisées par sous-catégorie.

Dans les 2 mois du dépôt de la requête le juge doit alors se prononcer sur la recevabilité de l’action en réparation collective  (article XVII.43). Il doit ainsi vérifier que les conditions de recevabilité visées à l’article XVII.36 sont bel et bien réunies, à savoir que:

  • la cause de l’action constitue une violation par le défendeur de ses obligations contractuelles ou d’une des lois visées à l’article XVII.37;
  • le représentant dispose de la qualité requise par l’article XVII.39 pour introduire l’action en réparation collective;
  • le recours à une action en réparation collective semble plus efficient qu’une action de droit commun.

Cette phrase de recevabilité est fondamentale car elle permet d’écarter les actions fantaisistes, abusives ou introduites par quelqu’un qui n’a pas la qualité pour être un représentant au sens de l’article XVII.39.

Si le juge autorise l’action en réparation collective, il doit indiquer, dans sa décision relative à la recevabilité (article XVII.43):

  • la description du préjudice collectif qui fait l’objet de l’action ;
  • la cause invoquée du préjudice collectif ;
  • le système d’option applicable (si l’action en réparation collective vise à la réparation d’un préjudice collectif corporel ou moral, seul le système d’option d’inclusion est applicable) ;
  • la description du groupe, en estimant, aussi précisément que possible, le nombre des personnes lésées; lorsque le groupe contient des sous-catégories, ces informations sont précisées par sous-catégorie ;
  • la dénomination du représentant du groupe, son adresse, le cas échéant son numéro d’entreprise, et le nom et la qualité de la personne ou des personnes qui signent en son nom ;
  • la dénomination ou le nom et prénom du défendeur, son adresse et son numéro d’entreprise ;
  •  le délai et les modalités d’exercice des droits d’option (min. 30 jours – max. 3 mois) ;
  • le délai qui est imparti aux parties pour négocier un accord sur la réparation du préjudice collectif; ce délai commence à courir lorsque celui pour exercer son droit d’option est écoulé (min. 3 mois – max. 6 mois) ;
  • le cas échéant, des mesures additionnelles de publicité de la décision de recevabilité.

C’est donc au travers de la décision de recevabilité que les contours et les modalités de l’action en réparation collective vont être précisément fixés.

En particulier, c’est cette décision qui fixera si le système retenu pour la composition du groupe est  l’opt-in (le consommateur doit se manifester pour faire partie du groupe) ou l’opt-out (le consommateur doit se manifester pour ne pas faire partie du groupe). En principe, le choix entre les deux systèmes d’option revient au juge, mais il est des cas de figure où la loi impose le système de l’opt-in.

6) La décision de recevabilité est ensuite publiée au Moniteur belge et sur le site du SPF Economie (d’autres modes de publicité peuvent être prévus par le juge, comme par ex. la notification individuelle de la décision de recevabilité).

Cette publication est importante puisque c’est elle qui fait courir le délai (fixé par le juge et allant de 30 jours minimum à 3 mois maximum) pour faire valoir son droit d’option (soit d’opt-in soit d’opt-out selon la formule choisie par le juge).

Au terme de ce délai, le groupe est définitivement constitué et plus aucun consommateur ne peut entrer ou sortir du groupe selon que le système choisi soit l’opt-in ou l’opt-out.

7) Une fois le groupe définitivement constitué, les parties doivent se soumettre à l’exercice de la négociation obligatoire (le juge aura, à cet égard, fixé un délai de négociation allant de 3 à 6 mois).

Et ce n’est que si ces négociations « forcées » n’aboutissent pas que le fond de l’affaire sera appréhendé par le juge. Il y en a peu mais l’on relèvera quelques spécificités procédurales liées à la phase contensieuse de l’action en réparation collective:

  • Le représentant ne peut pas modifier ou étendre la demande en réparation collective une fois la décision de recevabilité rendue (article XVII.64);
  • Une demande en réparation collective et une demande en réparation individuelle ne peuvent pas être jointes pour cause de connexité (article XVII.66);
  • La procédure pénale ne suspend pas l’instruction de l’action en réparation collective (à titre exceptionnel donc, le criminel ne tient pas le civil en l’état) (article XVII.67).

8) S’il conclut à une obligation de réparation collective dans le chef du défendeur, le juge doit, dans sa décision, notamment indiquer les modalités et le montant de la réparation (article XVII.54).

Dans sa décision faisant droit, sur le fond, à la demande de réparation collective, le juge doit, par ailleurs, nommer un liquidateur. La mission de celui-ci consiste à assurer l’exécution correcte de la décision sur le fond, c’est-à-dire procéder à la répartition de l’indemnité entre tous les membres du groupe conformément à ce qui aura été décidé dans la décision sur le fond. La manière dont il échet au liquidateur d’assurer sa mission est décrite en détail aux articles XVII.57 à XVII.61.

La décision du juge sur le fond aura autorité de la chose jugée à l’égard de tous les membres du groupe, en ce sens que tous les membres du groupe seront liés par cette décision (article XVII.54, 5°). La loi prévoit une exception au profit du consommateur qui, bien que faisant partie du groupe, pourra démontrer n’avoir raisonnablement pas pu prendre connaissance de la décision de recevabilité pendant le délai fixé par le juge (dans cette même décision de recevabilité).

A l’instar de la décision relative à la recevabilité, la décision sur le fond doit être publiée au Moniteur belge ainsi que sur le site du SPF Economie. Le juge peut prévoir d’autres mesures de publication.

Il faut également noter que si le système d’opt-out a été choisi, les membres du groupe doivent faire une démarche supplémentaire pour obtenir leur indemnité de réparation, en s’adressant au greffe dans un délai fixé par le juge dans sa décision sur le fond.

9) Il faut encore relever que, aussi longtemps qu’une décision sur le fond n’a pas été prise, les parties peuvent – à tout moment – conclure un accord de réparation collective et le soumettre au juge en vue de son homologation (article XVII.56). La résolution amiable est donc clairement encouragée.

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Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles