La justice belge au plus mal

Vendredi dernier s’est tenue au palais de justice de Bruxelles une grande manifestation réunissant tous les acteurs du monde judiciaire: magistrats, avocats, greffiers, personnel des greffes, etc.

Pour quelle raison?

Parce que la justice belge va mal.

Parce que la justice belge n’a plus suffisamment de moyens.

Parce que son budget est insuffisant.

Savez-vous, par exemple, que désormais le greffe du tribunal de commerce francophone de Bruxelles est fermé l’après-midi? Et ce alors que les greffes sont normalement ouverts de 8h à 12h30 et de 13h30 à 16h. Mais voilà, le greffe du tribunal de commerce francophone de Bruxelles n’a pas les moyens de rester ouvert l’après-midi. La malheureuse équation est assez simple: toujours plus de travail, et toujours moins de moyens. Alors ce greffe se doit de travailler l’après-midi à bureaux fermés.

Savez-vous également qu’il faudrait plus de magistrats, mais que leur nomination n’arrive pas? Parce que le budget n’est pas là. Et ce sont donc des audiences qui ne se tiennent pas; ou des audiences qui ne se tiennent pas suffisamment rapidement pour que bonne justice soit faite.

Tirée de mon expérience personnelle, cette situation qui s’apparente pratiquement au déni de justice: nous perdons en première instance et introduisons un appel. L’affaire n’entre pas dans l’une des situations urgentes ou présumées urgentes par le Code judiciaire. Théoriquement, elle ne peut donc pas être traitée à brefs délais. Mais il y a en réalité une exceptionnelle importance à traiter cette affaire rapidement car sous peu le brevet qui est à l’origine du litige sera expiré et l’appel deviendra sans objet si celui-ci n’est pas jugé dans les deux années à venir. Malheureusement, comme nous ne sommes pas dans l’une des situations urgentes ou présumées urgentes par le Code judiciaire, le président de la chambre de la Cour saisie de cet appel nous fait savoir que l’affaire ne pourra pas être traitée rapidement et qu’elle ne pourra être plaidée que dans quatre ans… Pour résumer: dans deux ans, l’appel n’aura plus d’objet; mais il ne pourra pas être jugé avant quatre ans… Le président est très sensible à notre situation et la comprend parfaitement, mais ne peut rien faire. Comment expliquer cet état de fait? C’est assez simple à comprendre: cette chambre de la Cour est inondée d’affaires relevant de matières très différentes et est totalement incapable d’absorber l’arriéré judiciaire. L’équation est une fois encore assez simple: toujours plus d’affaires, mais pas plus de juges ni plus d’audiences pour les traiter. Comment pourrait-on résoudre cet état de fait? En nommant de nouveaux juges et en leur distribuant des affaires actuellement dévolues à cette chambre actuellement totalement inondée.

La mise en demeure publique des bâtonniers « pour dénoncer le manque de moyens accordés à la justice » abonde dans le même sens et livre d’autres exemples concrets des situations catastrophiques auxquelles mène le manque de moyens de la justice:

« La séparation, que je ressentais comme douloureuse, nécessitait qu’un juge puisse dire clairement comment l’hébergement des enfants allait s’organiser. Tout devait être plaidé quelques semaines avant les vacances. Nous nous étions ralliés à l’idée que ce jugement mettrait un terme à notre conflit. Ce jour-là, mon avocat m’a signalé que la chambre du tribunal de la famille était temporairement fermée pour défaut de nomination. Ces vacances furent une réelle difficulté pour nos enfants ».

« J’avais contesté le licenciement pour motif grave qui m’avait été notifié par mon employeur. Chaque nuit j’y pensais un peu plus et je souhaitais, comme me l’avait dit mon avocat, que le tribunal du travail puisse rapidement se prononcer. J’habite Namur mais je n’ai pas de réponse. Je n’ai pas de réponse car les chambres sont temporairement fermées, les juges n’ayant pas été nommés ».

Parce que la justice est un droit fondamental, parce qu’elle doit pouvoir être rendue dans de bonnes conditions, parce nous sommes tous potentiellement concernés par la justice, nous ne pouvons pas rester insensibles par le grand péril que court notre justice belge!

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Pour plus d’informations à propos de ce sujet essentiel, vous pouvez également consulter ou écouter:

http://patrick-henry-avocats.be/sites/default/files/20%20mars%202015_1.pdf

http://www.rtbf.be/info/belgique/detail_luc-hennart-le-plan-justice-de-koen-geens-est-un-tour-de-magie-rate?id=8936180

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Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles