La CJUE sauve le WIFI gratuit offert par les commerçants à leurs clients

Image par isuru prabath de Pixabay

Introduction

Je crois qu’il n’est pas exagéré de dire que la CJUE vient de sauver le WIFI gratuit offert par les commerçants à leurs clients.

Or, il faut bien dire qu’à l’époque actuelle, nous sommes devenus friands de ces WIFI gratuits.

Qui ne s’est pas assis à une terrasse ou n’est pas entré dans un bar, en demandant “On pourrait avoir le code WIFI, s’il vous plait ?”.

Tout ceci aurait pu devenir un lointain souvenir si la Cour de justice avait jugé différemment dans l’affaire Mc Fadden (C-484/14).

Je vous propose aujourd’hui de revenir sur cette décision importante de la Cour de justice.

Le contexte de l’affaire Mc Fadden

Monsieur Mc Fadden est commerçant. Il met à disposition de ses clients une connexion à internet WIFI, accessible gratuitement et sans restriction.

Monsieur Mc Fadden ne maîtrise pas l’utilisation faite par ses clients de la connexion WIFI qu’il met à disposition.

Un jour, une oeuvre musicale protégée par le droit d’auteur transite par sa connexion WIFI et est ensuite mise à disposition d’un nombre illimité d’internautes via un site de partage en ligne.

Monsieur Mc Fadden est assigné en responsabilité, pour violation de droits d’auteur, devant les juridictions allemandes.

La question se pose donc de savoir si le commerçant qui offre une connexion WIFI à ses clients est, ou non, responsable des faits illicites commis par ses clients via cette connexion WIFI.

Cette question est fondamentale et l’enjeu de cette affaire dépasse évidemment la situation particulière de Monsieur Mc Fadden.

C’est, en réalité, l’avenir du WIFI gratuit qui est en jeu (car si le commerçant qui offre une connexion WIFI à ses clients est responsable des illégalités commises par ses clients, quel commerçant prendra encore le risque – considérable – d’offrir une telle connexion WIFI ?).

Les conclusions de l’avocat général

Dans ses conclusions du 16 mars 2016, l’avocat général Maciej Szpunar a estimé que :

  • Monsieur Mc Fadden n’est pas responsable pour les faits illicites commis par des tiers via sa connexion WIFI ;
  • Malgré cette absence de responsabilité, Monsieur Mc Fadden peut se voir imposer une injonction pour faire cesser ces faits illicites des tiers.

Pour le dire autrement : même si des tiers (qu’ils soient clients ou non) commettent des actes illicites via leur connexion WIFI, les commerçants ne peuvent pas être tenus responsables pour ces actes illicites ou illégaux émanant de ces tiers. On peut, par contre, solliciter l’intervention de ces commerçants pour mettre fin à ces actes illicites ou illégaux commis par les tiers.

La décision de la Cour de justice

Dans son arrêt du 15 septembre 2016, la Cour de justice a jugé, en substance, dans le même sens :

  • Absence de responsabilité du commerçant qui met une connexion WIFI gratuite à disposition des ses clients :

“L’article 12, paragraphe 1, de la directive 2000/31 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’une personne ayant été lésée par la violation de ses droits sur une œuvre puisse demander à un fournisseur d’accès à un réseau de communication une indemnisation au motif que l’un de ces accès a été utilisé par des tiers pour violer ses droits, ainsi que le remboursement des frais de mise en demeure ou de justice exposés aux fins de sa demande d’indemnisation”.

  • Possibilité d’injonction contre ce même commerçant pour mettre fin aux actes illicites ou illégaux commis par les tiers :

“En revanche, cette disposition doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à ce que cette personne demande l’interdiction de la poursuite de cette violation, ainsi que le paiement des frais de mise en demeure et de frais de justice à l’encontre d’un fournisseur d’accès à un réseau de communication dont les services ont été utilisés pour commettre cette violation, dans l’hypothèse où ces demandes visent ou sont consécutives à l’adoption d’une injonction prise par une autorité ou une juridiction nationale interdisant à ce fournisseur de permettre la poursuite de ladite violation”.

Quid du WIFI gratuit sans mot de passe et anonyme ?

Ceci étant posé, un élément ne manque pas de m’interpeller dans cet arrêt de la Cour de justice.

La Cour semble plaider pour la nécessité, dans le chef des fournisseurs de connexion WIFI gratuite, de sécuriser leur connexion via un mot de passe (et l’obligation corrélative pour les utilisateurs qui veulent obtenir le mot de passe du WIFI de s’identifier et donc révéler leur identité) :

“À cet égard, il doit être constaté qu’une mesure consistant à sécuriser la connexion à Internet au moyen d’un mot de passe peut dissuader les utilisateurs de cette connexion de violer un droit d’auteur ou des droits voisins, pour autant que ces utilisateurs soient obligés de révéler leur identité afin d’obtenir le mot de passe requis et ne puissent donc pas agir anonymement, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier” (§96 de l’arrêt) ;

“Dans ces conditions, une mesure visant à sécuriser la connexion à Internet au moyen d’un mot de passe doit être considérée comme étant nécessaire pour assurer une protection effective du droit fondamental à la protection de la propriété intellectuelle” (§99 de l’arrêt).

Faut-il en conclure que le WIFI gratuit n’est pas, en tant que tel, menacé (car les commerçants ne sont pas responsables du contenu illicite qui transite via ses clients par sa connexion WIFI gratuite) ; mais que, par contre, le WIFI gratuit sans mot de passe et anonyme est révolu ?

FredericLejeuneLogo

Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles