Habemus papam : quid de la propriété intellectuelle au Vatican ?

Habemus papam : Léon XIV est le nouveau Pape.
Je dois vous faire un aveu : j’ai cherché un sujet de propriété intellectuelle pour rebondir sur cette actualité.
Ma première idée était de voir si le Vatican avait déposé des marques, notamment pour protéger le nom des Papes (comme Jean-Paul II, Benoît XVI, François…).
Mes recherches se sont révélées infructueuses.
Le droit des marques au Vatican
La seule chose que j’ai apprise en lien avec le droit des marques, c’est que le Vatican ne dispose pas de sa propre législation en matière de marques, ni de son propre office des marques.
Le droit italien est applicable et les marques déposées à l’office italien des marques (« Ufficio Italiano Brevetti e Marchi ») sont également valables au Vatican.
Le droit d’auteur au Vatican
Le Vatican dispose, par contre, de sa propre législation en matière de droit d’auteur (voyez ici en italien).
L’article 3 de cette loi vise à protéger les écrits et discours du Pontife Romain, ainsi que son image. La protection s’attache également aux Papes émérites et décédés.
Ceci étant dit, le droit d’auteur italien est d’application pour ce qui n’est pas spécifiquement réglé par la législation vaticane.
Sauf… pour les dispositions du droit d’auteur italien qui seraient contraires au droit divin, au droit canonique, aux Accords du Latran ou aux traités internationaux auxquels le Saint-Siège est partie.
Autres éléments de propriété intellectuelle en lien avec le Vatican
J’ai également découvert que le Saint-Siège est partie à la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques ainsi qu’à la Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle.
Le Saint-Siège a également salué le Traité de l’OMPI de 2024 sur la propriété intellectuelle, les ressources génétiques et les savoirs traditionnels associés (voyez ici). Même si le Saint-Siège n’est pas encore partie à ce Traité.
Lors de la pandémie du covid, le Vatican a demandé à ce que les droits de propriété intellectuelle sur les vaccins et les technologies y liées soient levés, afin de permettre aux pays en voie de développement de pouvoir lutter contre le covid.
L’intelligence artificielle et le Vatican
Mais ce qui a surtout retenu mon attention, c’est que le Vatican a édicté, début 2025, des directives sur l’intelligence artificielle (voyez ici en italien).
Ces directives ont été promulguées par décret ; elles devront encore faire l’objet de dispositions d’exécution (dans les 12 mois, selon l’article 15).
Selon ces directives, l’utilisation de l’intelligence artificielle doit être éthique, transparente et fiable, respecter la dignité humaine et le bien commun, et s’inscrire dans une perspective anthropocentrique.
S’agissant spécifiquement des liens entre l’intelligence artificielle et le droit d’auteur, ces directives édictent quatre grandes règles (article 7).
Première règle : l’utilisation de l’intelligence artificielle doit respecter la loi vaticane sur le droit d’auteur.
A mon sens, la loi italienne sur le droit d’auteur doit aussi être respectée, vu l’application de celle-ci à titre résiduaire (voyez ci-dessus sous le titre « Le droit d’auteur au Vatican »).
Deuxième règle : tous les contenus générés par intelligence artificielle doivent être identifiés par l’acronyme « IA ».
Troisième règle : les contenus générés par intelligence artificielle, sur le territoire de l’État de la Cité du Vatican (et dans les zones visées aux articles 15 et 16 des Accords du Latran), appartiendront exclusivement au Gouvernorat de l’État de la Cité du Vatican, en ce compris le droit à la paternité.
La précision relative au droit à la paternité est assez étonnante puisqu’en principe ce droit (moral) ne peut revenir qu’à une ou plusieurs personnes physiques (l’auteur ou les auteurs originaires) ; et qu’il est inaliénable.
Il n’est, par ailleurs, pas spécifié s’il s’agit de toutes les contenus générés par intelligence artificielle, ou uniquement des oeuvres originales générées par ce moyen (avec toute la difficulté liée à la condition d’originalité lorsque l’intelligence artificielle entre en jeu).
Quatrième règle : les contenus générés par intelligence artificielle ne peuvent pas porter atteinte à l’honneur, à la réputation, à la dignité ou au prestige du Souverain Pontife, de l’Église catholique ou de l’État.
Il ne s’agit pas, à proprement parler, d’une règle liée au droit d’auteur ; mais elle est, malgré tout, reprise à l’article 7 dont le titre fait référence au droit d’auteur (« Principi in materia di protezione del diritto di autore »).
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Même si le sujet n’a été qu’effleuré – mais, après tout, il relève surtout de l’intérêt de quelques juristes et avocats italiens très spécialisés (qui doivent avoir à traiter de fascinantes questions de droit international privé) -, j’espère avoir pu piquer votre curiosité avec cet article de circonstance.
Le fait que le Vatican se dote de lignes directrices sur l’intelligence artificielle montre qu’il entend participer activement aux grands débats contemporains, y compris dans le domaine de la technologie.
PS. Même si dans le film The Two Popes, le cardinal Bergoglio entonne, en sifflant, la chanson « Dancing Queen » d’ABBA devant le cardinal Ratzinger… c’est un pur hasard si cet article vient juste après celui que j’ai consacré à ABBA, au droit des marques et au principe de spécialité.

Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles