Droit des marques : Instagram et sa couleur

Je vous ai déjà parlé des marques de couleur ici et .

Vous vous souviendrez, par exemple, que la couleur orange Pantone 137 C de Veuve Clicquot constitue, à elle seule et en tant que telle, une marque valable ; tout comme le bleu Pantone 2748 C des Brasseries Alken-Maes.

Je voudrais aujourd’hui mentionner un autre cas intéressant en matière de marques de couleur.

Ce cas concerne la société Instagram qui a tenté d’obtenir une marque sur le dégradé de couleurs suivant (que l’on retrouve, par exemple, comme fond du logo Instagram) :

Malheureusement, contrairement à Veuve Clicquot et aux Brasseries Alken-Maes, Instagram n’a pas réussi à obtenir l’enregistrement de son dégradé de couleurs, celui-ci ayant été jugé non distinctif par l’Office européen de la propriété intellectuelle (EUIPO) en date du 16 octobre 2019.

Pour être valable, une marque doit être distinctive.

Le caractère distinctif d’une marque signifie que celle-ci doit être apte à distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises (il s’agit là de la fonction essentielle d’une marque).

Le caractère distinctif implique aussi que le public pertinent, lorsqu’il est confronté à la marque, comprenne qu’il s’agit bien d’une marque.

Les marques de couleur n’échappent pas à ces principes

La question du caractère distinctif pour les marques de couleur peut donc se résumer comme suit : en percevant la couleur ou la combinaison de couleurs, le public pertinent y verra-t-il une marque, c’est-à-dire l’indication de ce que les produits ou services proviennent d’une entreprise particulière ?

  • Si la réponse est affirmative (comme ce le fut pour l’orange de Veuve Clicquot et pour le bleu d’Alken-Maes), la couleur peut être considérée comme une marque valable.
  • Si la réponse est négative, la couleur ne peut pas être considérée comme une marque valable.

Or, pour Instagram, l’Office juge que la réponse est négative.

Selon l’Office, le dégradé de couleurs revendiqué par Instagram ne sera pas mémorisé par le public pertinent, et ne sera, a fortiori, pas perçu comme une marque.

L’Office ajoute que ce dégradé de couleurs sera considéré par le public pertinent comme un simple aspect décoratif, et non comme une indication de l’origine des produits ou services.

Pour ces motifs, l’Office constate l’absence de caractère distinctif du dégradé de couleurs revendiqué par Instagram et refuse de l’enregistrer comme marque.

L’Office relève aussi que le public pertinent ne procède pas à des analyses approfondies. Il faut donc, pour qu’une marque de couleur soit valable, que le public pertinent puisse identifier instantanément qu’il s’agit d’une marque, lorsqu’il est confronté à cette couleur. Or, ce n’est, en l’espèce, pas le cas. D’autant que, comme le souligne encore l’Office, malgré les très nombreuses nuances et teintes de couleurs qui existent en théorie, le public a une capacité très restreinte pour différencier les couleurs.

C’est donc un “no-go” pour Instagram avec son dégradé de couleurs, lequel dégradé ne peut pas constituer une marque valable à défaut de caractère distinctif.

On le voit, en matière de marques de couleur, la subjectivité est grande.

Dans tel cas, une couleur ou une combinaison de couleurs est considérée comme ayant un caractère distinctif ; et dans tel autre cas, le caractère distinctif est jugé inexistant.

L’Office refuse le dégradé de couleurs d’Instagram alors qu’il a, par le passé, accepté, sans problème, d’autres dégradés de couleurs :

Extrait de la décision de l’Office du 16 octobre 2019

Il est difficile d’en tirer des critères d’appréciation tout à fait objectifs.

Il reste, il est vrai, qu’obtenir un monopole au titre de marque sur une couleur est difficile – ce qui peut, dans un sens, légitiment se comprendre dans la mesure où si une couleur est enregistrée comme marque, on prive les tiers du droit d’utiliser cette couleur (en lien avec certains produits ou services).

Autre illustration de la subjectivité de ce genre d’examen : étant moi-même un utilisateur d’Instagram, j’ai immédiatement reconnu le dégradé de couleurs revendiqué par Instagram comme marque (dégradé qui est utilisé, comme arrière-plan, sur tous les logos actuels d’Instagram).

Si j’avais dû juger de la distinctivité de ce dégradé de couleurs, je serais donc certainement arrivé à une autre conclusion (et ce en raison de l’usage massif fait par Instagram de ce dégradé de couleurs – ce qui correspond au caractère distinctif acquis par l’usage).

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Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles