Droit des marques et mauvaise foi : le cas de la marque NEYMAR déposée par un tiers

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Introduction

Décidément, le droit des marques et le sport nous apportent toujours de belles décisions et de belles réflexions (comme avec Roger Federer).

Après Lionel Messi, c’est au tour de Neymar d’être au cœur d’un litige intéressant à relever.

En 2012, un certain Monsieur Moreira a déposé une marque UE couvrant le signe verbal “NEYMAR” pour des produits et services de la classe 25 : “vêtements, chaussures, chapellerie”.

Considérant que Monsieur Moreira avait agi avec mauvaise foi, le célèbre attaquant du PSG (plus pour longtemps ?), Neymar, a agi en nullité de cette marque éponyme.

La division d’annulation et la chambre de recours de l’EUIPO (l’office européen de la propriété intellectuelle) ont considéré qu’effectivement il y avait eu mauvaise foi dans le chef de Monsieur Moreira et que, ce faisant, celui-ci ne pouvait pas valablement déposer la marque “NEYMAR”. 

2-0 donc pour le célèbre attaquant !

Mais Monsieur Moreira décide alors de saisir le Tribunal de l’Union européenne, lequel s’est prononcé sur ces questions dans un arrêt du 14 mai 2019 (T-797-15). C’est sur cet arrêt que je vous propose de nous pencher aujourd’hui.

L’argumentation de Monsieur Moreira

L’argumentation de Monsieur Moreira est simple : il n’a pas agi de mauvaise foi en déposant le signe verbal “NEYMAR” pour des vêtements, des chaussures et la chapellerie, et sa marque UE doit donc être déclarée valide.

La notion de mauvaise foi au sens du droit des marques

Dans son arrêt du 14 mai 2019 (T-797-15), le Tribunal de l’Union européenne rappelle tout d’abord que la mauvaise foi au sens du droit des marques n’est pas définie par la législation et qu’elle est donc un concept ouvert (§16 de l’arrêt) :

“À cet égard, il y a lieu de noter que la notion de mauvaise foi, visée à l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009, n’est ni définie, ni délimitée, ni même décrite d’une quelconque manière dans la législation (…)”.

Citant la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, le Tribunal poursuit en expliquant que la mauvaise foi ou l’absence de mauvaise foi doit être évaluée in concreto en tenant compte de tous les faits concrets du cas d’espèce (§18 de l’arrêt) et que les critères précédemment dégagés dans la jurisprudence de la Cour ne sont que des illustrations et ne sont pas limitatifs (§19 de l’arrêt).

Au §21 de son arrêt, le Tribunal indique, de façon intéressante, que l’intention de celui qui dépose une marque doit être prise en compte pour évaluer l’existence, ou non, d’une mauvaise foi dans son chef :

“Il convient également de prendre en considération l’intention du demandeur au moment du dépôt de la demande d’enregistrement (…)”.

C’est précisément cette notion d’intention (ou de motivation subjective) du déposant de la marque “NEYMAR” (à savoir Monsieur Moreira) qui va fonder la suite de la décision. 

L’examen in concreto de la mauvaise foi par le Tribunal de l’Union européenne

Se référant aux motifs précédemment retenus par la chambre de recours de l’EUIPO, le Tribunal estime que les questions à trancher pour déterminer la mauvaise foi, ou non, de Monsieur Moreira sont les suivantes (§27 de l’arrêt) :

  • Monsieur Moreira savait-il, au moment du dépôt de sa marque “NEYMAR”, que le footballeur Neymar “était une étoile montante du football dont le talent était reconnu internationalement” ?
  • Monsieur Moreira avait-il pour seul objectif, en déposant la marque “NEYMAR”, de tirer profit de la renommée du footballeur Neymar ?

Selon l’EUIPO, la réponse à ces deux questions est affirmative, ce qui justifie la mauvaise foi.

Monsieur Moreira conteste la position de l’EUIPO (§28 de l’arrêt) au motif que Neymar n’a commencé à jouer en Europe qu’en 2013, alors que la marque qu’il a déposée l’a été en 2012. Selon Monsieur Moreira, il n’était donc pas possible de savoir, en 2012, que Neymar “était destiné à être transféré dans un club européen important” en 2013, a fortiori parce qu’il est “courant que de jeunes footballeurs prometteurs ne réalisent finalement pas des carrières à la hauteur de ce qui avait pu initialement être imaginé à leur propos”. Quant au fait que Monsieur Moreira avait également déposé des marques contenant le nom d’autres footballeurs, comme Iker Cassillas, Monsieur Moreira estime simplement que ce n’est pas pertinent pour le cas en litige, limité à la marque “NEYMAR”.

Le Tribunal ne partage pas l’avis de Monsieur Moreira dès lors qu’entre autres :

  • Neymar avait déjà fait l’objet d’une forte médiatisation en France, Espagne et Royaume-Uni dans les années 2009 à 2012 et était présenté à cette occasion comme un joueur de football très prometteur, attirant l’attention de grands clubs européens (§31 et 32 de l’arrêt). Neymar était donc déjà connu et jouissait d’une renommée au moment où la marque litigieuse a été déposée.
  • Il n’est pas crédible de soutenir que Monsieur Moreira aurait choisi de déposer le terme “NEYMAR” simplement pour la phonétique du nom et que le fait que cela corresponde au nom du jour prometteur éponyme ne serait qu’une coïncidence (§45 de l’arrêt), tenant compte également de la connaissance du monde du football dont Monsieur Moreira disposait.
  • L’intention de Monsieur Moreira (profiter de la renommée de Neymar) est confirmée par un élément objectif : Monsieur Moreira avait également déposé comme marque le nom d’un autre talent du football, le gardien de but Iker Casillas (§50 de l’arrêt). Ce fait extérieur (ayant trait à un autre joueur) vient simplement supporter, selon le Tribunal, que Monsieur Moreira n’ignorait pas qui était Neymar et n’avait pas déposé ce nom de manière purement fortuite (au contraire, Monsieur Moreira avait une connaissance du football et n’en était pas à son coup d’essai puisqu’il avait déjà déposé une marque couvrant le nom du joueur Iker Cassilas).
  • Le Tribunal qualifie l’attitude de Monsieur Moreira de “logique commerciale” tendant à “exploiter de manière parasitaire la renommée de l’intervenant [Neymar] et de tirer avantage de celle-ci” (§51 de l’arrêt).
  • Pour tous ces motifs, la mauvaise foi de Monsieur Moreira est établie.

Conclusion

Le Tribunal rejette le recours de Monsieur Moreira et confirme donc l’impossibilité pour lui de faire enregistrer la marque “NEYMAR”. 

3-0 pour Neymar et carton rouge pour Monsieur Moreira !

Mais la vraie question d’actualité n’est-elle pas celle de l’avenir de Neymar et son départ du PSG ? Malheureusement, ceci excède mon domaine de compétence d’avocat en propriété intellectuelle, en droit d’auteur, en marques, en brevets… ;-)

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Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles