Droit des marques : Apple contre Banana !

Introduction

Je voudrais évoquer aujourd’hui une affaire intéressante de droit des marques, qui a donné lieu à une décision de l’EUIPO (l’Office européen de la propriété intellectuelle) du 29 janvier 2018 (référence : B 2 831 439).

Cette affaire est intéressante car Apple Inc., la très célèbre société fondée par Steve Jobs, a tenté de s’opposer (via une procédure d’opposition) à l’enregistrement d’une marque semi-figurative “banana computer”.

A l’appui de son opposition, Apple invoquait bien entendu sa célèbre pomme croquée (estampillée sur tous les produits qu’elle commercialise) mais également d’autres marques qu’elle détient, dont une marque constituée de la représentation d’une pomme entière et une autre constituée de la représentation d’une demi-pomme.

Sur la base de ces marques antérieures représentant des pommes, Apple entendait empêcher la société Banana Computer de faire enregistrer comme marque un logo de banane accompagné de la mention “banana computer”.

La décision de l’EUIPO, qui fait l’objet du présent billet, offre un comparatif des marques antérieures d’Apple et de la marque “banana computer” contre laquelle l’opposition était dirigée :

Pour rappel, en droit des marques, afin de pouvoir valablement s’opposer à l’enregistrement d’une marque fraichement déposée, le titulaire de la marque antérieure doit être à même d’établir que la marque à laquelle il s’oppose est identique ou, au moins, similaire à sa marque antérieure.

En clair, pour le cas qui nous occupe, Apple devait démontrer – pour que son opposition puisse aboutir – que la marque “banana computer” est identique ou similaire à ses marques antérieures constituées de pommes.

Mais, me direz-vous, comment considérer et argumenter que la représentation (sous différentes formes) de pommes est identique (!) ou, à tout le moins, similaire à la représentation d’une banane ?

Une pomme serait-elle égale à une banane ?

Ne dit-on pas qu’il ne faut pas comparer des pommes et des poires ? (pour nos amis québécois, il s’agit d’éviter de comparer des pommes et des oranges)

Raisonnement et décision de l’EUIPO

En tout cas, et conformément à sa mission, l’EUIPO s’est livrée à une comparaison détaillée des signes en cause (rappelons que cette comparaison s’effectue traditionnellement du point de vue visuel, phonétique et conceptuel).

1.    Commençant par la comparaison entre la pomme croquée et la banane faisant l’objet de l’opposition, l’EUIPO concède que les deux signes à comparer sont relativement similaires d’un point de vue du style graphique (“ligne claire”) et du point de vue de leur approche abstraite.

L’EUIPO concède également qu’il peut être défendu que la banane, tout comme la célèbre pomme d’Apple, a été croquée (même si, selon l’EUIPO, ce n’est pas clair : la banane a-t-elle été croquée ? ou a-t-elle été irrégulièrement dessinée ?).

Ceci étant, l’EUIPO considère que ces quelques éléments de ressemblance ne sont que des éléments de détail qui ne permettent pas, dans l’appréciation globale des deux signes à comparer, de contrecarrer le fait que la pomme croquée d’Apple est un objet rond là où la banane a – logiquement – une forme allongée et courbe. Par ailleurs, nous dit l’EUIPO, la banane est partiellement pelée ce qui crée une image irrégulière qui se déploie sur quatre axes, ce qui contraste fortement avec la pomme croquée qui ne s’étend pas dans l’espace, mais qui est auto-centrée.

L’EUIPO en conclut que la pomme croquée d’Apple n’est visuellement pas similaire à la banane pelée faisant l’objet de la marque contestée.

2.   Pour ce qui est des représentations de pomme entière et de demi-pomme couvertes par d’autres marques invoquées par Apple, l’EUIPO considère qu’elles sont encore moins ressemblantes car leur représentation neutre, et donc leur style graphique, n’ont absolument rien en commun avec la représentation (en ligne claire) de la banane pelée faisant l’objet de la marque contestée.

3.   Visuellement donc, l’EUIPO conclut à l’absence de ressemblance entre les trois marques de pommes invoquées par Apple et la marque “banana computer” contestée.

4.   L’EUIPO indique ensuite, sans surprise, que les marques ne doivent pas être comparées phonétiquement puisque les trois marques invoquées par Apple sont purement figuratives (pas de mots, pas de lettres, pas d’aspect verbal ; uniquement des éléments graphiques). Or, les marques purement figuratives ne se prononcent pas.

Entre parenthèses : si Apple avait utilisé, aux fins de cette opposition, l’une de ses marques verbales “Apple”, il aurait fallu comparer phonétiquement les termes “Apple” et “Banana”, et déterminer s’il existe une ressemblance auditive entre “Apple” et “Banana”… ce qui n’est à l’évidence pas le cas – et ce qui explique vraisemblablement pourquoi Apple n’a pas invoqué de marque verbale. De même, il aurait alors fallu comparer visuellement “Apple” et “Banana”, soit des termes de cinq et six lettres qui n’ont pas de séquences de lettres communes… Pas évident non plus !

5.   Du point de vue conceptuel (ou intellectuel), Apple avait argumenté que les pommes et les bananes sont très similaires, et souvent associées de nombreuses façons dans l’Union européenne, dès lors qu’il s’agit là de deux fruits très populaires, et que le consommateur confronté à l’image d’une pomme et d’une banane pensera immédiatement au concept de “fruit”.

Selon l’EUIPO, ceci ne suffit pas pour conclure à une similitude conceptuelle. La seule ressemblance entre les pommes et les bananes est qu’il s’agit là de fruits. Mais, en l’occurence, les fruits visés par les marques, de part et d’autre, sont différents. Il n’y a donc que le concept très général (fruits) qui est commun aux deux marques. Or, ce concept très général ne permet pas d’établir une ressemblance conceptuelle ou intellectuelle entre les marques d’Apple et la marque “banana computer”.

L’EUIPO conclut : “Because the signs refer to different types of fruit, they must be considered conceptually not similar”.

Et l’EUIPO de citer à l’appui de cette conclusion une autre affaire, également initiée par Apple, où il avait été jugé qu’une pomme (Apple) et un ananas (Pineapple) n’étaient pas similaires d’un point de vue conceptuel.

Il est intéressant de noter que selon EUPO, si aucune similarité conceptuelle n’existe ni entre des pommes et des bananes, ni entre des pommes et des ananas, la solution peut être différente pour des pommes et des poires :

“In particular, apples and pears are closely related in a biological sense (such as the origin, size, colours, texture) and they are associated together in many ways. More importantly, they are commonly seen as alternatives to each other. In the present case, apples and bananas are very far apart in a biological sense. They have different origins, textures and tastes. They are not seen as typical alternatives for each other, even though they are indeed among the most common types of fruit. Therefore, the reasoning by which a certain conceptual link between apples and pears was established in the ‘Pear Technologies’ decision is not applicable to the case at hand”.

6.   Conclusion : l’EUIPO rejette l’opposition initiée par Apple contre la marque “banana computer” au motif que les signes en cause ne sont pas similaires ni visuellement ni conceptuellement (et que la comparaison phonétique n’est pas applicable).

***

Que retenir de cette décision ? 

Mis à part le fait qu’une pomme peut, en droit des marques, être similaire à une poire* ; mais pas à une banane et ni à un ananas, il faut plus sérieusement constater, aux termes de cette décision, que la célèbre société Apple Inc. ne détient aucun monopole sur le concept de fruits en général au titre de marque.

Ce faisant, Apple Inc. ne peut donc pas s’opposer à n’importe quelle société qui opérerait dans le domaine informatique (au sens large) et qui se choisirait, pour signe distinctif, un fruit (qui n’est pas une pomme).

* Mise à jour : le constat selon lequel une pomme peut, en droit des marques, être similaire à une poire, a été remis en cause par le Tribunal de l’Union européenne dans un arrêt du 31 janvier 2019, T‑215/17, dont je vous parle en détail ici.

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Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles