Droit des brevets: la nullité et l’exécution provisoire

1. La question de l’exécution provisoire d’une décision judiciaire prononçant la nullité d’un brevet est une question délicate.

2. J’avais, il y a quelques années, rédigé une étude fouillée sur la question (disponible ici).

Au terme de cette étude, j’étais arrivé à la conclusion qu’une décision d’annulation d’un brevet ne pouvait jamais être exécutoire par provision et que les voies de recours (tant l’appel que le pourvoi en cassation) avaient un effet suspensif obligatoire et indérogeable.

Une décision de la cour d’appel de Bruxelles du 14 février 2012 (dans une affaire Lundbeck c. Tiefenbacher e.a.), disponible sur www.darts-ip.com, avait confirmé cette lecture.

3. Mais voilà que la loi “pot-pourri I” du 19 octobre 2015 est venue jeter à nouveau le trouble sur cette question.

Pour rappel, la loi “pot-pourri I” a supprimé, sur le principe, l’effet suspensif de l’appel (qui était précédemment la règle générale) et a posé comme nouveau paradigme le caractère immédiatement exécutoire de tous les jugements définitifs, nonobstant appel.

Avec ce changement de paradigme, certains ont estimé que la décision d’annulation d’un brevet (en ce qu’elle constitue un jugement définitif) devait nécessairement être exécutoire par provision nonobstant appel (en vertu du régime général applicable depuis la loi “pot-pourri I”).

4. A mon sens, ceci revient toutefois à perdre de vue qu’en matière de nullité de brevet la loi interdit l’exécution provisoire (par le truchement de l’article XI.59, al. 2, du Code de droit économique, lequel prévoit que le pourvoi en cassation est, en la matière, obligatoirement suspensif, alors que tel n’est normalement pas le cas).

Voy. en ce sens également, J. Englebert et X. Taton (dir.), Droit du procès civil – Volume 2, Bibliothèque de l’Unité de droit judiciaire de l’ULB, Anthemis, 2019, p. 559: “Par ailleurs, des exceptions légales existent, qui empêchent toute exécution provisoire (par exemple : art. 1231.18 et 1399 C. jud. ; art. XI.59 du Code de droit économique)”.

Or, si la loi “pot-pourri I” a certes généralisé l’exécution provisoire et a supprimé, sur le principe, l’effet suspensif de l’appel, il n’en demeure pas moins que des exceptions à ce nouveau paradigme existent.

Ces exceptions sont de deux ordres:

  • d’une part, le juge peut toujours refuser d’assortir sa décision de l’exécution provisoire (à condition de motiver ce refus);
  • d’autre part, il n’y aura aucune exécution provisoire si la loi l’exclut, dans tel ou tel cas particulier, par une disposition spécifique.

C’est bien, me semble-t-il, dans cette deuxième catégorie d’exceptions (exclusion légale) que l’on se trouve en matière de nullité de brevet. Cette exclusion légale empêchant toute exécution provisoire pour les décisions annulant un brevet lorsqu’il existe encore des voies de recours.

5. C’est donc avec enthousiasme que j’accueille l’arrêt du 13 novembre 2018 (Ing.-Cons., 2018/4, pp. 653-656) par lequel la cour d’appel de Bruxelles a confirmé sa jurisprudence antérieure du 14 février 2012 et le fait que la loi “pot-pourri I” ne pouvait rien y changer dès lors qu’une disposition légale spécifique (art. XI.59, al. 2, CDE) s’oppose à toute possibilité d’exécution provisoire d’une décision d’annulation d’un brevet.

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Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles