Droit d’auteur et photographies : choix libres et créatifs et photo de Jimi Hendrix

Image par Charwin Acebuche de Pixabay

1.   Mon attention est attirée aujourd’hui sur un arrêt de la cour d’appel de Paris du 13 juin 2017 (publié dans la revue Entertainment, 2017/5, aux pages 400-409).

Dans cet arrêt, la cour d’appel de Paris examine le critère de l’originalité en matière de photographies.

2.   Pour rappel, afin de pouvoir être protégée par le droit d’auteur, une oeuvre doit satisfaire à la condition d’originalité.

Ce critère général, appliqué à toutes les oeuvres (peu importe leur nature), vaut également pour les photographies.

Et comme je l’indiquais ici, toutes les photographies ne sont pas, en soi, originales et ne sont donc pas, en soi, protégées par le droit d’auteur.

Il faut, au cas par cas, vérifier si la photographie litigieuse est, oui ou non, originale. Si tel est le cas, elle sera protégée par le droit d’auteur. Si tel n’est pas le cas, elle ne sera pas protégée par le droit d’auteur.

Ainsi, par exemple, ont été jugées non originales des photographies prises par des paparazzis qui se sont contentés d’attendre (longtemps…) l’arrivée des stars qu’ils souhaitaient photographier, puis de les “shooter” en rafale, sans pouvoir influer sur la mise en scène, sur l’angle de vue, sur l’éclairage, sur le cadrage, etc.

3.   Mais en quoi peut résider l’originalité d’une photographie ?

La Cour de justice de l’Union européenne l’a expliqué dans son célèbre arrêt Painer (C-145/10).

Selon la Cour, une photographie sera originale si elle constitue une création intellectuelle propre à son auteur,  c’est-à-dire si elle reflète la personnalité de son auteur, en ce sens qu’elle est le résultat des choix libres et créatifs de son auteur.

Comme l’a expliqué la Cour, ces choix libres et créatifs peuvent, notamment, se manifester dans la mise en scène, la pose, l’éclairage, le cadrage, l’angle de prise de vue, l’atmosphère créée, les retouches, etc. :

“Au stade de la phase préparatoire, l’auteur pourra choisir la mise en scène, la pose de la personne à photographier ou l’éclairage. Lors de la prise de la photographie de portrait, il pourra choisir le cadrage, l’angle de prise de vue ou encore l’atmosphère créée. Enfin, lors du tirage du cliché, l’auteur pourra choisir parmi diverses techniques de développement qui existent celle qu’il souhaite adopter, ou encore procéder, le cas échéant, à l’emploi de logiciels”  (§91 de l’arrêt Painer).

4.   Comme je vous le disais en introduction, dans son arrêt du 13 juin 2017, la cour d’appel de Paris s’est penchée sur cette question de l’originalité en matière de photographies.

La photographie litigieuse était une photo de Jimi Hendrix “expirant, avec un demi-sourire et les yeux mi-clos, une bouffée de la cigarette qu’il tient dans sa main gauche, sa main droite soutenant son bras gauche au niveau du coude”.

Le premier juge avait estimé que cette photographie était dépourvue d’originalité.

Aux termes d’un raisonnement intéressant, la cour d’appel, faisant application des critères dégagés dans la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, a réformé cette décision du premier juge, estimant que la photographie litigieuse était, bel et bien, originale.

En substance, la cour d’appel estime que le photographe a pu exprimer ses choix libres et créatifs (et donc faire preuve d’originalité) :

  • en choisissant de prendre la photo en noir et blanc ;
  • en optant pour un appareil et un objectif spécifiques permettant d’apporter une touche grand angle au portrait ;
  • en dirigeant Jimi Hendrix lors de la prise de la photo et, en particulier, en lui demandant de prendre une pose particulière (expirer une bouffée de cigarette, faire un demi-sourire, avoir les yeux mis-clos, soutenir le bras gauche au niveau du coude, etc.).

Les motifs décisoires mobilisés par la cour d’appel de Paris méritent d’être reproduits, tant ils constituent – à mon sens – une excellente application de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne:

“Qu’il incombe à celui qui entend se prévaloir des droits de l’auteur de caractériser l’originalité de l’œuvre revendiquée, c’est-à-dire de justifier de ce que cette œuvre présente une physionomie propre traduisant un parti pris esthétique et reflétant l’empreinte de la personnalité de son auteur ;

Considérant, en l’espèce, que, comme le tribunal l’a relevé, l’œuvre dont l’originalité est revendiquée est une photographie en noir et blanc en plan taille de face de Jimi Hendrix expirant, avec un demi-sourire et les yeux mi-clos, une bouffée de la cigarette qu’il tient dans sa main gauche, sa main droite soutenant son bras gauche au niveau du coude ;

Que les appelants font valoir que c’est M. X. qui a organisé la séance au cours de laquelle la photographie dont il s’agit a été prise, au mois de février 1967, qui a guidé et dirigé Jimi Hendrix lors de la prise de vue et qui lui a demandé de prendre la pose reproduite sur la photographie en cause ; qu’ils indiquent que M. X. a choisi de prendre la photographie en noir et blanc afin de donner plus de contenance à son sujet et donner de lui l’image d’un musicien sérieux et que le photographe a opté pour un appareil photo Hasselblad 500c avec un objectif Distagon 50 mm afin d’apporter un touche de grand angle au portrait sans créer de distorsion ; qu’ils exposent encore que M. X. a choisi le décor, l’éclairage, l’angle de vue et le cadrage ;

Que ces éléments, ajoutés au fait, non contesté et établi par les pièces versées aux débats, que M. X. est un photographe reconnu au plan international, notamment pour avoir été le photographe des Rolling Stones, dont les photographies jouissent d’une forte notoriété, établissent que la photographie en cause est le résultat de choix libres et créatifs opérés par le photographe traduisant l’expression de sa personnalité”.

Le seul élément interpellant c’est la référence à la notoriété du photographe. Je n’aperçois pas en quoi cette notoriété rendrait la photographie litigieuse originale (ou plus originale que si, par exemple, elle avait été prise par un photographe débutant). Comme je l’écrivais ici:

“Autrement dit, ce n’est pas parce que l’on dispose d’un savoir-faire particulier, d’une compétence spécifique ou d’une expérience considérable dans tel ou tel domaine (par ex. la photographie) que l’on aurait automatiquement un droit d’auteur sur telle ou telle oeuvre (par ex. une photographie) et que celle-ci serait automatiquement protégée par le droit d’auteur. Non, au contraire, il faut encore démontrer concrètement que l’oeuvre en question est susceptible d’être protégée et, pour ce faire, prouver qu’elle est originale.

Par conséquent, même si l’on est un photographe chevronné ou réputé, cela ne veut pas dire que toutes les photographies que l’on prendra seront protégées par le droit d’auteur. Elles ne le seront que si ces photographies sont originales (ce qui devra être prouvé au cas par cas, photo par photo).

Et, à l’inverse, cela signifie également qu’un photographe amateur, voire même novice, peut très bien prendre un cliché qui sera original et donc protégé par le droit d’auteur”.

5.   La photo litigieuse étant protégée par le droit d’auteur, et ne disposant pas de l’autorisation pour la publier dans le présent article, je me suis rabattu sur une jolie photo de basse disponible en licence gratuite. Ceci explique cela !

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Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles