Une couleur peut-elle constituer, en tant que telle, une marque ?

Photo de Codioful (Formerly Gradienta) sur Unsplash

Introduction

Ce week-end, je suis parti à La Haye voir un ami de longue date, expatrié là-bas pour exercer son métier dans une juridiction internationale. Je vous recommande d’ailleurs l’excellent blog dédié à la justice internationale, auquel il participe activement.

A la fin de ce week-end à arpenter les rues haguenoises, on s’est amusés à compter les livreurs Deliveroo que l’on voyait débouler de toutes parts, vêtus de leur fameux manteau à la couleur typique et immédiatement reconnaissable.

Et finalement la question a jailli : est-ce que cette fameuse couleur constitue ou, à tout le moins, pourrait constituer une marque ? En effet, à la simple vue de cette couleur, on identifie immédiatement Deliveroo et ses services de livraisons.

Il me semble donc intéressant de clarifier ici les principes applicables aux couleurs et à leur aptitude à constituer une marque.

Principe juridique

Ne prolongeons pas inutilement le (faux) suspens : oui, une couleur peut constituer, en tant que telle, une marque, pour autant que cette couleur permette de distinguer les produits et/ou les services d’une entreprise de ceux des autres entreprises (fonction essentielle de la marque).

Le principe est d’ailleurs exprimé noir sur blanc à l’article 3 de la Directive (UE) 2015/2436 du 16 décembre 2015 rapprochant les législations des États membres sur les marques :

Peuvent constituer des marques tous les signes, notamment les mots, y compris les noms de personnes, ou les dessins, les lettres, les chiffres, les couleurs, la forme d’un produit ou de son conditionnement, ou les sons, à condition que ces signes soient propres à : a) distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises; et b) être représentés dans le registre d’une manière qui permette aux autorités compétentes et au public de déterminer précisément et clairement l’objet bénéficiant de la protection conférée à leur titulaire”.

On retrouve le même principe à l’article 4 du Règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l’Union européenne.

Exemples de marques de couleur

L’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle nous offre 6 exemples de marques de couleur (3 couleurs uniques et 3 combinaisons de couleurs) :

Et en jurisprudence alors ?

Les marques de couleur ont été au coeur de plusieurs affaires intéressantes en Belgique.

J’en citerai deux emblématiques.

D’abord l’affaire Veuve Clicquotqui donna lieu à un arrêt de la cour d’appel de Bruxelles du 24 juin 2004. Dans cette affaire, il était question d’une nouvelle bière appelée « Malheur Brut Réserve » qui était commercialisée dans des bouteilles à la forme de type Champagne et dont l’étiquette avait un fond orange. Ces bouteilles de bière étaient emballées dans une boîte en carton glacé dont la couleur dominante était l’orange. Cela n’avait pas plu au groupe commercialisant le champagne Veuve Clicquotlequel introduisit alors une action en justice, en invoquant notamment sa marque de couleur orange (Pantone 137 C). Veuve Clicquot a obtenu gain de cause.

Ensuite l’affaire Jupiler Bluequi donna lieu à un arrêt de la cour d’appel de Bruxelles du 21 octobre 2013. Dans cette affaire, les Brasseries Alken-Maes reprochaient au groupe InBev Belgium de porter atteinte à sa marque de couleur bleue (Blue PMS 2748 C) avec son nouveau produit Jupiler Blue.

Dans cette affaire la cour d’appel de Bruxelles a décidé que, même si la couleur bleue est une couleur primaire, il n’empêche que le bleu PMS 2748 C est une couleur très inhabituelle pour de la bière. A ce titre, ce bleu peut être considéré comme distinctif pour de la bière et peut, dès lors, constituer une marque valable pour de la bière. Maes a obtenu gain de cause.

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Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles