Le droit d’auteur des architectes

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Lorsqu’un architecte réalise les plans d’une maison (ou de toute autre forme d’édifice), il dispose potentiellement de droits d’auteurs.

L’objet de la protection

Il est aujourd’hui incontestable que la protection par le droit d’auteur des œuvres architecturales s’étend à la fois aux plans réalisés par l’architecte et à l’édifice construit conformément à ces plans.

L’objet de protection est donc double :

  • les plans, les maquettes… 
  • le bâtiment tel qu’érigé sur la base de ces plans, de ces maquettes…

La condition de protection

La condition de protection de l’œuvre architecturale (telle que définie au point précédent) est la même que pour toutes les autres œuvres : il faut que l’œuvre architecturale soit “originale”.

Cette notion d’originalité est désormais harmonisée au niveau européen, grâce à l’intervention de la Cour de justice de l’Union européenne, laquelle, dans son arrêt Painer (C‑145/10), a jugé que :

  • “le droit d’auteur n’est susceptible de s’appliquer que par rapport à un objet (…) qui est original en ce sens qu’il est une création intellectuelle propre à son auteur” (§87) ;
  • “une création intellectuelle est propre à son auteur lorsqu’elle reflète la personnalité de celui-ci” (§88) ;
  • “tel est le cas si l’auteur a pu exprimer ses capacités créatives lors de la réalisation de l’œuvre en effectuant des choix libres et créatifs” (§89) ;
  • pour que son œuvre soit originale, l’auteur doit être “en mesure d’imprimer sa « touche personnelle » à l’œuvre créée” (§92).

Cette conception de l’originalité, au sens du droit d’auteur, vaut pour toutes les formes d’œuvres et s’applique donc nécessairement aux œuvres architecturales. Pour qu’un architecte bénéficie de la protection par le droit d’auteur, il doit être en mesure d’établir que son œuvre architecturale reflète sa personnalité et, donc, qu’il a pu opérer des choix libres et créatifs lors de la création de celle-ci. Ce qui suppose plusieurs possibilités et des choix créatifs parmi ces possibilités ; et ce qui exclut la protection des éléments purement dictés par la technique.

Le critère de l’originalité ne se confond pas avec celui de la nouveauté (si tel était le cas, il n’y aurait que très peu d’œuvres architecturales protégées par le droit d’auteur). Ceci signifie concrètement qu’une combinaison d’éléments architecturaux déjà connus est susceptible d’être protégée par le droit d’auteur, même si ces éléments architecturaux ne sont pas nouveaux, à condition que cette combinaison soit le résultat de choix libres et créatifs.

Les droits d’auteur de l’architecte

L’architecte dispose exactement des mêmes droits d’auteurs que tous les auteurs ou créateurs, à savoir les droits patrimoniaux (de communication au public, de reproduction…) et les droits moraux (en particulier, le droit à la paternité de l’oeuvre et le droit au respect de celle-ci).

Voyez à ce propos l’article XI.165 du Code de droit économique qui énonce les droits patrimoniaux et moraux de l’auteur.

Les problèmes les plus fréquents qui se posent en présence d’une œuvre architecturale

Parmi les problèmes les plus fréquents qui se posent en matière d’œuvres architecturales, on peut notamment en identifier deux.

D’une part, le conflit qui existe entre l’architecte qui dispose, comme je viens de l’expliquer, de droits d’auteur sur le bâtiment (original) qu’il a conçu et le propriétaire du bâtiment qui souhaite modifier ce bâtiment ou y faire des travaux.

D’autre part, le problème lié aux photographies d’édifices protégés par le droit d’auteur et à leur utilisation publique ultérieure (par exemple, des monuments comme l’Atomium).

Le conflit entre l’architecte et le propriétaire du bâtiment

Ce conflit naît d’une contradiction d’intérêts.

D’un côté, il y a le propriétaire du bâtiment qui peut avoir à effectuer des travaux dans ou sur sa propriété, et donc modifier le bâtiment.

De l’autre côté, il y a l’architecte qui dispose de droits d’auteur sur l’œuvre et qui peut être réticent à ce que soient effectués des travaux qui modifieraient le bâtiment qu’il a conçu.

On le comprend donc :  le propriétaire du bâtiment est propriétaire de la brique mais pas de l’architecture elle-même ; et ce propriétaire ne peut pas effectuer toutes les modifications qui lui plaisent sans obtenir l’autorisation de l’architecte, qui reste – sauf si une cession expresse des droits d’auteur a été contractuellement prévue – le propriétaire de l’architecture, c.à.d. des droits d’auteur sur le bâtiment.

Ce conflit crée une tension entre ces deux personnes car, par exemple, il peut s’avérer indispensable d’effectuer des travaux sur le bâtiment, même si ces travaux modifient l’œuvre de l’architecte.

La législation ne règle pas ce conflit.

La jurisprudence évalue donc, au cas par cas, en présence d’un litige, si les travaux qu’entend effectuer le propriétaire ou que celui-ci a déjà effectués sont acceptables. Autrement dit, c’est le juge qui in fine décide, au terme d’une balance des intérêts, lesquels des droits du propriétaire ou de l’architecte doivent prévaloir.

Dès lors qu’il s’agit, à chaque fois, d’un examen au cas par cas, il est difficile de donner, dans l’abstrait, une ligne de conduite ou une méthode pour la résolution de ce conflit.

Ceci dit, on peut schématiquement considérer ce qui suit.

Si les travaux sont véritablement indispensables (par ex. d’un point de vue technique ou pour la sûreté du bâtiment), les droits du propriétaire doivent prévaloir sur ceux de l’architecte.

Si, au contraire, les travaux ne sont pas véritablement indispensables, le juge aura plutôt tendance à donner raison à l’architecte. Mais, attention, la règle n’est pas générale (je rappelle que l’examen se fait au cas par cas). Il peut, en effet, arriver que le propriétaire ait d’autres raisons de vouloir modifier les lieux (par ex. le besoin d’agrandir). Dans ce cas, en cas de litige, le juge devra arbitrer.

Dans un tel litige, on tiendra aussi compte de l’ampleur des travaux et de leurs conséquences sur l’oeuvre architecturale. Ce n’est, en effet, pas la même chose d’avoir modifié très légèrement un bâtiment, que de l’avoir transformé plus susbtantiellement.

Enfin, la nature des travaux et l’existence éventuelle d’alternatives seront, elles aussi, importantes : est-il possible d’effectuer des travaux moins invasifs (c.à.d. qui dénaturent moins l’oeuvre) pour arriver au même résultat ?

Et finalement tous ces critères s’imbriqueront.

On ajoutera à ce qui précède qu’en tout état de cause, l’architecte ne peut pas abuser de ses droits d’auteur :

“Comme les autres droits, le droit d’auteur est susceptible d’abus : l’artiste n’est pas au-dessus des autres citoyens. L’évolution de la théorie de l’abus de droit conduit d’ailleurs à considérer qu’il n’y a pratiquement plus de droit qui puisse s’exercer de façon discrétionnaire (…) Il est abusif d’user d’un droit dans l’intention de nuire, de causer un dommage en agissant par témérité ou légèreté ou encore, en causant un dommage sans intérêt pour soi-même. On admet aussi qu’un droit exercé « sans intérêt légitime et raisonnable » constitue un abus. En faisant valoir ses droits patrimoniaux, et même ses droits moraux, l’auteur peut être amené à devoir s’expliquer (…)”.

– Alain Berenboom, Le nouveau droit d’auteur – et les droits voisins -, 4e éd., Bruxelles, Larcier, 2008, pp. 40-41.

A propos des abus commis par le titulaire d’un droit intellectuel (en l’occurrence, un brevet), voyez également mon article intitulé “Brevets et abus de droit”, disponible ici.

Les photographies d’édifices protégés par le droit d’auteur

J’ai déjà évoqué ce problème ici.

L’architecte est titulaire des droits d’auteur sur le bâtiment (original) qu’il a dessiné ou conçu.

Par conséquent, et ce pendant 70 ans après la mort de l’architecte (c.à.d. le créateur originaire), le bâtiment est protégé par le droit d’auteur.

Parmi les droits d’auteur, il y a le droit de reproduction.

On ne peut pas reproduire une œuvre sans l’autorisation de l’auteur.

Or, au sens du droit d’auteur, photographier un bâtiment revient à reproduire ce bâtiment.

Jusque là, si vous vous contentez de photographier un bâtiment protégé par le droit d’auteur et que vous gardez ces photos pour vous, il n’y aura pas de problème car personne ne le saura. Mais si, ensuite, vous mettez ces photos en ligne, par exemple sur Facebook ou sur votre blog, vous risquez des problèmes. Car l’utilisation publique que vous ferez de ces photos pourra être poursuivie par l’architecte ou son cessionnaire (c.à.d. la personne à qui l’architecte a cédé ses droits).

Comme je l’expliquais ici, les exceptions au droit d’auteur actuellement en vigueur ne permettent pas vraiment d’échapper aux droits d’auteur de l’architecte et donc à d’éventuelles poursuites.

Prudence donc lorsque vous photographiez un édifice et que vous publiez ensuite cette ou ces photos en ligne !

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Si vous souhaitez plus d’informations sur les droits d’auteur de l’architecte ou sur vos droits en tant que propriétaire en cas de conflit avec un architecte, n’hésitez pas à me contacter.

Je vous invite également à lire cet article de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI), intitulé “Les controverses sur les droits d’auteur liés aux œuvres architecturales”, disponible ici.

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Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles